Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)( Télécharger le fichier original )par Gatien-Hugo RIPOSSEAU Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004 |
B - La lutte contre le trafic d'êtres humains.Le législateur depuis la réforme du Code pénal de 1994, a voulu s'attaquer tout particulièrement a une forme singulière de criminalité : celle qui vise à tirer profit de la particulière vulnérabilité de certaines personnes : les mineurs, les personnes étrangères, les personnes démunies, etc. La protection de ces personnes s'est traduite par une véritable politique de pénalisation qui s'est organisée sur trois terrains. Le législateur a tout d'abord pris le parti de lutter contre les « conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine » avant d'accroître la protection des mineurs et des personnes particulièrement vulnérables dans le cadre de l'exploitation sexuelle qu'ils sont susceptibles de subir. Enfin, le dernier secteur pénalisé fut celui de l' « exploitation de la mendicité d'autrui ». L'engagement des pouvoirs publics dans la lutte contre l'exploitation de la vulnérabilité ou de la dépendance d'autrui s'est achevée par la criminalisation de la « traite des êtres humains ». L'édiction de cette dernière infraction est venue parachever cette volonté de protection en réprimant les comportements spécifiques qui visent à permettre ou à faciliter la commission des infractions précédemment pénalisées en la matière depuis maintenant une dizaine d'années. Dans l'optique de protection des personnes particulièrement vulnérables, le législateur a tout d'abord pris l'initiative de criminaliser les conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine à l'occasion de la réforme du code pénal de 199449(*). « La lecture des travaux parlementaires révèle que la création des deux incriminations qui y correspondent (article 225-13 et 225-14 CP), résulte de la volonté de lutter contre les phénomènes d'exploitation qui se sont multipliés à la faveur de la crise économique des deux dernières décennies »50(*). Les articles 225-13 et 225-14 CP sanctionnent deux types de comportements différents qui procèdent de la même intention blâmable d'aboutir à l'assujettissement d'un être humain vis à vis d'un autre et ce, sans aucune considération pour la dignité de la victime asservie. L'article 225-13 vise à protéger la personne vulnérable ou en état de dépendance contre l'exploitation qui consiste pour elle à fournir des services à autrui non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli. L'hypothèse initialement visée ici est essentiellement celle de l' « esclavage domestique ». Ce phénomène est bien connu : une jeune étrangère est prise en charge par une famille française en vue d'y effectuer des tâches ménagères et garde d'enfants. L'employeur lui confisque ses papiers et la victime est contrainte de travailler 15 à 18 heures par jour sans être rémunérée ou pour une rémunération dérisoire, etc. L'article 225-14 érige quant à lui en infraction le fait de soumettre une personne vulnérable ou en état de dépendance à des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine. Cette nouvelle incrimination vise, outre l'esclavage domestique qui peut également entrer dans son champ d'application, l' « esclavage économique » qui est un phénomène qui touche particulièrement les travailleurs clandestins. Par ailleurs, la circulaire du 14 mai 1993 précise que ces infractions sont destinées à « sanctionner plus sévèrement les « marchands de sommeil » et autres personnes exploitant des travailleurs en situation irrégulière, même si ces incriminations protègent de façon générale toutes les personnes vulnérables ou en situation de dépendance ». En effet, force est de constater que si ces textes ont été à l'origine instaurés pour combattre un type particulier de délinquants, ceux qui tirent profit de la misère des clandestins, la généralité des termes employés par le législateur permet de réprimer l'esclavage économique dans son acception la plus large : sont susceptibles de tomber sous le coup de ces textes, aussi bien l'exploitation de travailleurs en situation irrégulière que l'exploitation, par un employeur d'une entreprise utilisant une main d'oeuvre non clandestine, imposant à ses salariés, brimades, vexations et conditions de travail attentatoires à leur dignité. Initialement punis de 2 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amendes (article 225-13 et 225-14) ou de 5 ans et 150 000 € lorsqu'elles étaient commises à l'égard de plusieurs personnes (article 225-15), les deux incriminations ont fait l'objet de nettes modifications par la loi n°2003-239 du 18 mars 2003. Cette loi ouvertement volontariste et répressive, comme le suggère d'ailleurs son intitulé51(*), a procédé à une surpénalisation des deux délits allant dans la sens d'une protection accrue des personnes particulièrement vulnérables bien sûr, mais aussi et surtout dans le sens d'une protection particulièrement ferme des mineurs52(*). La loi du 18 mars 2003 a en outre quelque peu précisé la notion de « personnes vulnérables ou en situation de dépendance » grâce à l'introduction de l'article 225-15-1 qui fait référence aux mineurs et aux étrangers qui bénéficient désormais vraisemblablement d'une présomption légale de vulnérabilité attachée à leur qualité. Ainsi, le législateur a relevé que c'est précisément parce que ces victimes sont en situation de clandestinité ou de minorité, qu'elles sont vulnérables et que les auteurs de ces délits parviennent à commettre ces méfaits.
La seconde direction prise par le législateur dans sa politique de pénalisation de l'exploitation des personnes en situation de faiblesse, a été la protection des mineurs et des personnes particulièrement vulnérables dans le cadre de leur exploitation sur le plan sexuel. Outre l'aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur un mineur53(*) et l'aggravation de la répression du proxénétisme simple par la loi du 15 novembre 200154(*), le législateur a axé sa politique de protection des plus faibles sur la lutte contre l'exploitation sexuelle et mercantile dont certains mineurs font l'objet. Cette pénalisation du proxénétisme et même du recours à la prostitution des mineurs répond à un funeste phénomène qui a fortement affecté l'opinion publique ces dernières années. La France compterait officiellement près de 3000 enfants prostitués. En 1998, un rapport émanant du Conseil de l'Europe avançait même le chiffre de 8000. En France comme dans la plupart des pays européens, l'immigration clandestine joue un rôle de première importance dans l'apparition d'une nouvelle prostitution enfantine, les enfants d'Afrique du Nord et d'Europe de l'Est étant d'ailleurs les plus nombreux. Plus préoccupante encore est la situation de certains pays relativement à la prostitution enfantine. La prostitution enfantine et le tourisme sexuel sont deux phénomènes en pleine expansion « qui se sont développés à grande échelle dans plusieurs pays asiatiques, d'Amérique du Sud et d'Europe de l'Est »55(*). Les pouvoirs publics français ont alors décidé de réprimer ce type de pratiques plus sévèrement encore que par le passé et ce, à cause de leur accroissement et du caractère insupportable de cette prolifération. C'est la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale56(*) qui a été l'instrument de cette pénalisation du proxénétisme des mineurs et du tourisme sexuel. Cette loi va en effet introduire un article 225-7-1 qui incrimine spécifiquement le proxénétisme de mineurs de 15 ans qui constitue désormais un crime assorti de 15 ans de réclusion criminelle et d'une amende de 3 000 000 €. Ensuite, cette même loi a crée le délit de recours à la prostitution d'un mineur (article 225-12-1) puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Cet article a d'ailleurs particulièrement vocation à réprimer la pratique du tourisme sexuel grâce aux dispositions dérogatoires qui y sont attachées concernant l'application de la loi française dans l'espace (article 225-12-3). Cet article 225-12-1 sera ensuite complété par l'article 50 de la loi du 18 mars 2003 qui y ajoute un alinéa 2 relatif au recours à la prostitution des personnes particulièrement vulnérables. Le troisième secteur pénalisé dans l'optique d'une protection accrue des victimes vulnérables, est l'exploitation de la mendicité d'autrui. Jusqu'à présent, l'article 227-20 CP punissait la « provocation de mineurs à la mendicité » de 2 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende (alinéa 1) et de 3 ans et 75 000 € lorsque ce délit était commis à l'égard d'un mineur de 15 ans (alinéa 2). Ce dispositif tendait à lutter contre les pratiques consistant pour certains parents démunis et peu scrupuleux , à inciter leurs enfants à mendier pour procurer une source de revenu supplémentaire au foyer. Seulement, il existe d'autres formes de provocation à la mendicité qui s'avèrent beaucoup plus graves, tant par leur ampleur que par la diversité des personnes qui peuvent en être victimes. En effet, se développe de plus en plus à travers le monde, l'exploitation de la mendicité des plus faibles par de véritables réseaux criminels organisés. Ce sont souvent des enfants errants et étrangers (indiens ou asiatiques notamment) qui sont les victimes de cette exploitation. L'article 64 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure abroge l'article 227-20 relatif à la provocation de mineur à la mendicité et introduit les articles 225-12-5 à 225-12-7 réprimant l'exploitation de la mendicité d'autrui. Ce nouveau délit prend en compte l'existence de réseaux criminels (avec la circonstance de « bande organisée » prévue par l'article 225-12-7) et érige la minorité ou la particulière vulnérabilité de la victime en circonstance aggravante de l'incrimination. Ce nouveau dispositif réprime donc des hypothèses plus larges d'exploitation de la mendicité d'autrui car il étend la protection aux personnes particulièrement vulnérables et envisage la réalité criminelle des réseaux d'exploitation mafieux, ce qui constitue l'innovation la plus substantielle au regard du droit antérieur qui permettait déjà de protéger les personnes particulièrement vulnérables de ces pratiques avec l'incrimination d'abus frauduleux de l'état de faiblesse ou d'ignorance. Enfin, la dernière innovation du législateur a été la criminalisation de la « traite de êtres humains » aux articles 225-4-1 à 225-4-8 CP et ce, par l'article 32 de la loi du 18 mars 2003. Il faut savoir que « la traite des êtres humains représente la troisième source de profit pour les organisations criminelles, immédiatement après le trafic de stupéfiants et le trafic d'armes »57(*). Le phénomène de la traite des êtres humains est un phénomène mondial qui génère un chiffre d'affaires d'environ 30 milliards de dollars par an58(*). Les victimes de ce trafic, vendues en dehors de leur pays d'origine par des trafiquants internationaux, sont devenues de nouvelles sources de revenu pour les mafias mondiales. D'après Pino ARLACCHI, vice secrétaire général de l'ONU, « il y a dans le monde 200 millions d'esclaves, dont un nombre d'enfants compris entre 700 000 et 2 millions ». C'est l'ampleur de ce phénomène qui a conduit la communauté internationale à affirmer sa volonté de réprimer spécifiquement cette forme de criminalité organisée en pleine expansion. Dans le cadre des Nations Unies, un protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir et à réprimer la traite des êtres humains, a été négocié puis adopté par l'Assemblée générale des Nation Unies en novembre 2000 et signé par la France à Palerme le 12 décembre 2000. Ainsi, en France, en janvier 2002, l'Assemblée Nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi créant une infraction de traite des êtres humains et renforçant le dispositif permettant de lutter contre les infractions qui peuvent être commises dans le cadre de la traite. Cette proposition de loi n'a pu être discutée par le Sénat avant la fin de la législature. Examinant le projet pour la sécurité intérieure, le Sénat, à l'initiative de son rapporteur Patrick COURTOIS, a décidé d'insérer dans le projet de loi l'incrimination de la traite des êtres humains, afin de faciliter la lutte contre les réseaux qui exploitent toutes les formes de misère et de vulnérabilité. Le système répressif attaché à cette infraction tient lui aussi compte de la minorité de la victime ou de sa particulière vulnérabilité et parachève ainsi l'oeuvre pénalisatrice emprunte de protection des plus faibles engagée avec une particulière fermeté depuis la loi du 4 mars 2002. Néanmoins, concernant la criminalisation de la traite des êtres humains, la France ne figure pas au rang des pays précurseurs au sein de l'Union Européenne. En effet, le 25 avril 1995, le Parlement belge adoptait une loi destinée à réprimer la traite des êtres humains et la pornographie enfantine. Le droit italien protège les victimes de la traite des êtres humains depuis un décret-loi du 25 juillet 1998 et a même érigé cette infraction en crime depuis une réforme intervenue en 2001. La Suisse quant à elle,(qui n'est pourtant ni membre de l'Union Européenne, ni membre de l'espace Schengen) réprimait déjà avant la France la traite des êtres humains dans son Code pénal59(*). * 49 Loi n°92-634 du 22 juillet 1992. * 50 LICARY S., Des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine résultant d'un abus de la situation de vulnérabilité ou de dépendance de la victime, RSC 2001, pp. 553 à 569. * 51 Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 « pour la sécurité intérieure ». * 52 Les peines encourues au titre des articles 225-13 et 225-14 passent à 5 ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende. Les peines encourues au titre de l'article 225-15 passent à 7 ans et 200 000 € d'amende si les infractions ont été commises, soit l'égard de plusieurs personnes (alinéa 1), soit à l'égard d'un mineur (alinéa 2) ; lorsque les infractions ont été commise à l'égard de plusieurs personnes parmi lesquelles figurent un ou plusieurs mineurs, la peine culmine même à 10 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende. * 53 La loi n° 98-468 du 17 juin 1998 fait passer la répression des atteintes sexuelles sur mineur commises sans circonstances aggravantes de 2 à 5 ans d'emprisonnement et de 30 000 à 75 000 € d'amende (art.227-25 CP). Pour un rapide aperçu du contenu de cette loi de 1998, v. LE GUNEHEC F., Dispositions de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 renforçant la prévention et la répression des infractions sexuelles JCP 1998, Act. n° 27, pp.1257 à 1260. Cette élévation des pénalités est d'une certaine façon la conséquence logique de l'élévation de 5 à 10 ans de l'emprisonnement encouru pour les atteintes sexuelles commises sur un mineur avec une circonstance aggravante, intervenue en 1995 (art.227-26 CP). * 54 La loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 a fait passer les peines encourues au titre du proxénétisme simple (article 225-5 CP), de 5 ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende, à 7 ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende. * 55 Constat effectué lors de la Conférence Internationale sur les disparitions et l'exploitation sexuelle des enfants, Interpol, Lyon, décembre 1999. * 56 Loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. * 57 OIPC-Interpol, Ass. Gén., Budapest, 24-28 septembre 2001. * 58 Ibid. * 59 Concernant les différentes législations nationales de lutte contre la traite des êtres humains, v. DURSCH S., Le trafic d'êtres humains, PUF, Coll. Criminalité internationale, 2002, pp.279 et s. |
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