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Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)

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par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004
  

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Section II - Le double mouvement de pénalisation, dépénalisation dans une finalité d'adaptation du droit aux évolutions de la société.

Le double mouvement de pénalisation, dépénalisation a été guidé par un impératif : celui d'encadrer aux mieux les mutations que la société a pu connaître au cours de la période étudiée. La dépénalisation a été le moyen de rationaliser le champ d'application du droit pénal dans la sphère des affaires qui est un domaine qui n'a connu jusqu'alors que des phases de pénalisation successives (§1). La pénalisation a également été le moyen de cadrer les évolutions techniques récentes dont le développement suscite l'inquiétude des pouvoirs publics (§2).

§ 1 - Le double mouvement de pénalisation, dépénalisation en droit des affaires.

Le double mouvement de pénalisation, dépénalisation apparaît très nettement en droit des affaires ; après l'émergence d'un noyau dur d'incriminations, la sphère des affaires a fait l'objet d'une pénalisation croissante à partir de la seconde guerre mondiale (A). Ce n'est que récemment que l'on observe un certain reflux du droit pénal qui traduit la nécessité de se dégager du schéma interventionniste qui caractérisait le droit des affaires au sortir de la seconde guerre mondiale (B).

Le droit pénal des affaires est né depuis, voire même un peu avant, le Code pénal de 1810 qui contenait déjà quelques incriminations spécifiques à la pratique des affaires. Ainsi, figuraient déjà dans ce code, dès son origine, le faux monnayage (art.132 et s.), la banqueroute (art.402 à 404), l'abus des besoins, faiblesses ou passions d'un mineur (art.406), la tenue non autorisée de maisons de prêt, gages ou nantissement (art.411), les entraves apportées à la liberté des enchères (art.412), la violation d'un secret de fabrique (art.418), l'altération des prix (art.419 et 420) sans compter la répression de l'usure issue d'une loi du 3 septembre 1807.

Ces premières incriminations vont globalement constituer le noyau dur du droit pénal des affaires jusqu'à la première moitié du XXème siècle. Cette dernière période est ensuite marquée par trois grandes étapes dans l'émergence d'un droit pénal des affaires. Tout d'abord, la loi du 1er août 1905, pionnière des textes du droit de la consommation, vient réprimer les fraudes et les falsifications. Ensuite, le Décret-loi du 8 août 1935 crée, notamment, trois nouveaux délits en droit des sociétés : la présentation ou la publication d'un bilan inexact, l'abus des biens sociaux ou du crédit et l'abus des pouvoirs ou des voix. Enfin, les deux grandes ordonnances du 30 juin 1945 marquèrent une étape décisive dans la construction progressive de cette nouvelle branche du droit pénal puisqu'elle est à la fois révélatrice d'une certaine conception de l'intervention de l'Etat au sortir de la guerre et qu'elle marquent le début d'un mouvement de pénalisation caractérisé de la sphère des affaires.

A - La pénalisation croissante du droit des affaires depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale.

Ces deux ordonnances du 30 juin 1945 sont relatives, pour la première, à la réglementation sur les prix (ordonnance n° 45-1983), et pour la seconde, à la procédure applicable aux infractions à la législation économique (ordonnance n° 45-1984). L'ordonnance relative aux prix est venue définir notamment les délits de prix illicites, de pratique des prix illicites et des actions assimilées à cette pratique. Ces deux ordonnances de 1945 ont très vite vieilli même si elles ont eu une durée de vie formelle de plus de quarante ans, cependant, elles ont marqué leur époque par la conception hautement interventionniste qui découle de leur dispositif : au lendemain de la seconde guerre on est en effet entré dans une économie dirigiste, fortement encadrée par l'Etat qui réglemente strictement le marché174(*). C'est à partir de cette période que l'on observe en droit pénal des affaires, une tendance inflationniste caractérisée, et ce, dans tous les domaines touchant au droit des affaires.

Tout d'abord, dans le domaine des finances, et plus précisément dans le secteur boursier, la loi du 23 décembre 1970 crée deux nouvelles incriminations, insérées dans l'ordonnance du 28 septembre 1967 qui avait institué la COB : la publication d'informations inexactes et surtout le délit d'initié, amélioré par plusieurs textes successifs. La politique criminelle d'adaptation aux nouveaux enjeux économiques devient ensuite plus nette par la suite, puisque la loi du 22 juillet 1988 crée la manipulation des cours et la loi du 2 août 1989 criminalise la communication d'une information privilégiée. C'est ensuite la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 dite de modernisation des activités financières qui remodèle quelque peu les incriminations majeures en la matière. A tout cela s'ajoute la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 qui ouvre de nouveaux horizons aux infractions boursières. La lutte contre le blanchiment de l'argent sale résulte quant à lui principalement de la loi n° 96-392 du 13 mai 1996.

Ensuite, dans le domaine du droit des sociétés, le texte fondamental résulte de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 dont un titre entier (le titre II) est consacré aux dispositions pénales et équivaut à un véritable Code pénal des sociétés commerciales. D'ailleurs, la loi du 31 décembre 1970 sur les sociétés immobilières a été fortement marquée par ce modèle.

En matière de concurrence, le choix du législateur a été celui de la répression para pénale en ce qui concerne les ententes abusives, les abus de position dominante et les concentrations. Ce choix se confirmera d'ailleurs plus nettement avec la création du Conseil de la concurrence par la grande ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence qui sera par la suite remodelée par la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales175(*). La répression pénale stricto sensu s'impose cependant pour protéger les concurrents contre les diverses agressions qu'il est susceptible de subir, avec la loi du 31 décembre 1964 à laquelle se substitue la loi du 4 janvier 1991 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.

La consommation a également fait l'objet d'une pénalisation non moins substantielle, par des interventions parcellaires et compartimentées qui, en s'additionnant, forment un véritable monument législatif, prélude d'une codification. Au titre des textes essentiels, on peut citer la loi du 2 juillet 1963 qui a créé le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, loi qui sera d'ailleurs remodelée par la célèbre « loi ROYER » du 27 décembre 1973. La loi s'est ensuite évertuée à protéger les consommateurs contre les agressions incessantes dont ils sont victimes, avec notamment la loi du 22 décembre 1972 qui réglemente sévèrement le démarchage de marchandises à domicile ou sur le lieu de travail. La loi n° 78- 22 du 10 janvier 1978 assurera quant à elle l'information et la protection des consommateurs dans certaines opérations de crédit. Il y aura également la loi du 23 juin 1989 sur l'information et la protection des consommateurs contre diverses pratiques commerciales. La loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 a renforcé la protection des consommateurs et la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 a finalement institué le Code de la consommation. Le marché immobilier est lui aussi un domaine dans lequel la pénalisation sera effectuée en faveur du consommateur, par l'édiction de nombreuses règles qui le protègent tout spécialement.

Parallèlement à cette inflation pénale en droit des affaires, une innovation se distingue de par les répercussions qu'elle implique dans ce domaine : c'est la responsabilité des personnes morales (art.121-2 CP) qui trouve son origine dans la réforme du Code pénal de 1994. Cette nouveauté relative à l'imputation des infractions a eu un retentissement tout particulier en droit pénal des affaires qui est un domaine dans lequel les incriminations sont la plupart du temps assorties d'amendes conséquentes afin de tenir compte de l'ampleur des intérêts financiers en jeu. Ce nouveau domaine de responsabilité pénale a dès lors été conçu de façon pragmatique en droit pénal des affaires ; c'est en effet le moyen imaginé par le législateur pour rendre possible le recouvrement de ces lourdes amendes dont les dirigeants de société ne pouvaient pas toujours s'acquitter176(*).

Toutes ces lois successives montrent bien la volonté du législateur de s'adapter au mieux aux mutations socio économiques qui rythment l'évolution de la société. Cela révèle également que l'Etat a fait le choix délibéré du recours au droit pénal pour veiller à la bonne santé de cet ordre socio économique. A cet égard, certains auteurs dénoncent d'ailleurs ce mouvement de pénalisation comme étant abusif et proposent même des solutions pour opérer une réglementation de la sphère des affaires, sans recourir au droit pénal177(*). Parallèlement à ce mouvement de pénalisation en droit des affaires, s'est récemment dessiné un mouvement inverse de dépénalisation. Certes, ce mouvement de dépénalisation ne contrebalance pas la pénalisation dont le monde des affaires a jusqu'alors fait l'objet, mais il révèle néanmoins la volonté de remettre en cause l'intervention infructueuse du droit répressif en procédant à l'épuration de cette branche du droit pénal grevée de nombreuses dispositions inappliquées.

* 174 Ces ordonnances de 1945 ont d'ailleurs été suivies de la célèbre loi du 30 août instituant l'interdiction générale d'exercer une profession industrielle ou commerciale.

* 175 La création du Conseil de la concurrence emporte un transfert du pouvoir de sanction vers cette autorité administrative indépendante et ne constitue pas une dépénalisation. en vertu de la typologie d'acceptions adoptée dans le cadre de cette étude.

* 176 La responsabilité pénale des personnes morales qui a bien entendu des implications dans d'autres branches du droit pénal, obéissait à son origine au principe de spécialité et a d'ailleurs fait l'objet d'une extension successive de son champ d'application qui va déboucher sur le principe de généralité dont l'entrée en vigueur est programmée pour le 31 décembre 2005 en vertu de l'article 54 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » (J.O, 10 mars 2004).

* 177 En ce sens, v. CALAIS-AULOY M-TH., La dépénalisation en droit pénal des affaires, D.1988, chr, p.315.

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