Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)( Télécharger le fichier original )par Gatien-Hugo RIPOSSEAU Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004 |
B - Le récent processus de dépénalisation en droit des affaires.Avant d'évoquer le domaine du droit des affaires au sein duquel le mouvement de dépénalisation s'est montré le plus important (le droit des sociétés), il faut évoquer le cas particulier des procédures collectives qui ont elles aussi bénéficié d'une dépénalisation relativement importante. Tout d'abord, l'ordonnance du 23 novembre 1958 correctionnalisa la forme la plus grave de la banqueroute : la banqueroute frauduleuse qui était jusqu'alors punie de peines criminelles. Le droit de la faillite sera ensuite profondément réformé par la loi du 13 juillet 1967, pour enfin subir un important mouvement de dépénalisation avec la loi du 25 janvier 1985. Cette loi a eu pour but la suppression d'incriminations alors considérées comme désuètes. Des multiples cas de banqueroute et de délits assimilés, la loi de 1985 en a retenu seulement quatre, qui correspondent aux faits les plus graves. Ainsi, cette loi se caractérise d'une part, par un certain nombre de décriminalisations, et d'autre part, par un mouvement de dépénalisation partielle qui est le fait de la substitution de la faillite personnelle aux peines d'emprisonnement et/ou d'amende antérieurement encourues pour les mêmes faits178(*). En ce qui concerne le droit des sociétés, le mouvement de dépénalisation est remarquable et procède d'une réaction des praticiens et de la doctrine face à la conception éminemment répressive du droit des sociétés qui ressortait de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. Cette loi accordait une place prépondérante à la sanction pénale en ce que son titre II, exclusivement consacré aux « dispositions pénales », comptait plus de soixante dix articles qui définissaient souvent plusieurs infractions. A cet égard, la doctrine n'a même pas réussi à s'accorder sur le nombre d'infractions contenues dans la loi de 1966 : variant entre « environ 126 »179(*) et « environ 200 »180(*). Un décret n° 67-236 du 23 mars 1967, complétant la loi de 1966 avait confirmé cette orientation du droit des sociétés en prévoyant de nombreuses contraventions. Cette présence presque permanente de la peine a bien sûr posé la question de sa pertinence. Les commentateurs n'ont jamais cessé de contester l'utilité d'un recours aussi abondant au droit pénal pour sanctionner des actes consistant souvent dans l'inobservation d'une obligation professionnelle. Il en a résulté le projet d'opérer une dépénalisation du droit des sociétés sous la pression des milieux d'affaires et avec l'assentiment de la doctrine. Les partisans d'une « dépénalisation massive » du droit des sociétés se sont tous alliés derrière un rapport au Premier ministre181(*), qui préconisait non seulement la suppression de toutes les infractions non intentionnelles, mais aussi une rédaction plus restrictive des infractions intentionnelles. Ces recommandations étaient vraisemblablement bien trop excessives car elles prônaient une dépénalisation massive qui n'épargnait pas les délits-phares d'abus de biens sociaux par le biais d'une redéfinition restrictive de leur incrimination. Ce ne fut pas l'ambition de la dépénalisation à laquelle la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), a procédé. La loi NRE a en effet opéré une dépénalisation en droit des sociétés, mais cette dernière s'avère bien plus modeste et moins spectaculaire que celle qui avait été préconisée par le rapport MARINI. Elle a en effet porté sur des délits qui avaient été peu, sinon jamais appliqués. Il n'empêche qu'elle a supprimé vingt délits182(*), ce qui lui donne une portée indiscutable, nonobstant la faiblesse de leur mise en oeuvre antérieure. La loi NRE de 2001 a tiré les conséquences du constat que la sanction pénale s'est avérée un moyen inefficace pour contraindre les dirigeants à exécuter un certain nombre des obligations de faire auxquels ils sont astreints. La loi leur a ainsi substitué des « référés injonctions » par lesquels les actionnaires ou associés peuvent demander au président du tribunal de commerce d'imposer aux dirigeants qu'ils exécutent leurs obligations au moyen d'une astreinte ou par la désignation d'un mandataire chargé de procéder à la communication (art 122 et 123 de la loi NRE). La sanction pénale a également été supprimée dans les cas où le droit pénal commun prévoit des infractions qui s'appliquent aux faits qui en font l'objet. C'est le cas des délits punissant des fraudes dans la constitution des sociétés anonymes qui ont été supprimés, parce qu'ils visent des faits qui relèvent sans aucune difficulté des délits de faux ou d'escroquerie : ces suppressions, parce qu'elles n'enlèvent en rien le caractère punissable des pratiques qu'elles sanctionnaient jusqu'alors, ne constituent pas de réelles décriminalisations stricto sensu. Même si elle a peu de conséquences répressives, la dépénalisation opérée par la loi NRE constitue un moment important de l'évolution du droit pénal des sociétés, en ce qu'elle procède d'une nouvelle conception de la place de la sanction pénale en droit des sociétés commerciales. Cette nouvelle conception se veut utilitariste , c'est ce qui explique la suppression de la sanction pénale lorsqu'elle est manifestement incapable de parvenir à l'effet pour lequel elle avait été prévue, ou encore lorsqu' elle s'avère constituer un doublon dénué d'utilité au regard de l'existence de délits de droit commun. Cette première dépénalisation opérée en 2001 constitue la première manifestation législative de l'abandon d'un recours systématique à la sanction pénale comme support des obligations imposées aux dirigeants de société commerciale. Ce mouvement de dépénalisation a eu une postérité en 2003 et 2004, par le biais de lois et d'ordonnances. Ce sont en effet deux lois du 1er août 2003183(*) et deux ordonnances du 25 mars 2004184(*) et du 24 juin 2004185(*) qui ont poursuivi la rationalisation du droit pénal des sociétés commerciales entamée avec la loi NRE du 15 mai 2001. Ces quatre lois et ordonnances abrogent des incriminations qui étaient parfaitement inappliquées ou qui faisaient double emploi avec des textes du Code pénal mieux adaptés. Ces lois et ordonnances de 2003 et 2004 opèrent en effet une dépénalisation de certaines infractions, la plupart du temps formelles, qui concernaient, soit les règles relatives au capital, soit les règles relatives au fonctionnement des organes de décision, soit la protection des obligataires et des actionnaires prioritaires sans droit de vote186(*). Ces diverses décriminalisations, lorsqu'elles ne concernent pas des infractions spécifiques constituant des doublons au regard du droit pénal classique, s'accompagnent de l'instauration d'injonctions judiciaires ou encore de nullité des actes dont la forme n'a pas été respectée. Toute cette évolution récente en droit des sociétés commerciales traduit un net reflux du droit pénal au profit du droit civil, qui, dans une optique purement pragmatique, a été préféré au symbole que constitue le recours à l'arme pénale jugée quant à elle inefficace, voire superfétatoire dans certains cas. Le droit pénal se voit ainsi rationalisé, et le contrôle du fonctionnement des sociétés commerciales optimisé par des mesures plus adaptées aux enjeux en cause. Cette évolution dépénalisatrice s'avère salutaire et a certainement vocation à prendre de l'ampleur à l'avenir dans le contexte libéral qui est le nôtre et qui ne cesse de s'imposer comme étant « le » modèle de société moderne, voire « post-moderne » * 178 Sur cette loi du 25 janvier 1985 et la dépénalisation qui en découle, v. DERRIDA F., La dépénalisation dans la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, RSC 1989, p.663. * 179 BOULOC B., La liberté et le droit pénal, Rev. Sociétés 1989. 377, p.379. * 180 DELMAS-MARTY M. et GIUDICELLI DELAGE G. (sous la dir. de), Droit pénal des affaires ,4e éd., 2000, PUF, p. 315. * 181 MARINI P., Rapport au Premier ministre, La modernisation du droit des sociétés, 1996, La documentation française, pp. 100 et s. * 182 Pour une liste complète des délits décriminalisés par la loi NRE, v. REBUT D., Rép. Pénal, sociétés, p.6. * 183 Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière et loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique. Pour un bilan des dépénalisations consécutives à ces deux lois de 2003, v. ROBERT J-H., Dépénalisations saupoudrées, Dr. pén., Octobre 2003, pp. 17 et s. * 184 Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises. * 185 Ordonnance n° 2004-604 du 24 mai 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. * 186 Pour un panorama détaillé des dépénalisations opérées en 2003 et 2004, v. ROBERT J-H., Tableau récapitulatif des dépénalisations opérées depuis 2003 dans le droit des sociétés par action, Dr. pén., février 2005, pp. 6 et s. |
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