Etude linguistique et sociolinguistique de l'argot contenu dans les textes de rap au Sénégal, l' Exemple Du DAar Jpar Mamadou Dramé Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA 2000 |
I . APERCU HISTORIQUEI - 1 Aux origines américaines Le mouvement hip-hop est né vers la fin des années 1970 dans les ghettos noirs de New York et plus précisément dans le Bronx. C'est un phénomène social qui inclut une manière particulière de parler, une manière de se comporter mais aussi un mode d'habillement tout spécial. ce mouvement trouve son prolongement naturel dans la musique rap. Selon Alioune Badara Dieye, c'est la musique jamaïcaine qui serait à l'origine du rap, notamment avec le mouvement des « last poets »23(*) et la musique noire américaine. Cette influence s'exerce avec les « camelots musicaux » qui sillonnaient la Jamaïque portant avec eux une sorte de discothèque mobile portative. Celle-ci leur permettait de se livrer à des manipulations manuelles et/ou électroniques sur lesquelles le « talk over » (improvisateur musical) pouvait se livrer à des interventions orales ou chantées appelées « toasting » alors que la technique dans son ensemble s'appelait « dubbing ». C'est ainsi que le « dubbing », considéré comme l'ancêtre du rap, va évoluer avec les techniques de piratage sonore et de mixage pour aboutir au « sound system » ou « musique sans musiciens ». Le « sound system » sera amélioré par J.J. Theodore qui inventa en 1975 le « scratch » (grattage de disque) et le « cut » qui permettront d'obtenir des effets sonores répétitifs, des répétitions à l'infini de courtes phases musicales, mais aussi de faire des « samples » qui sont des procédés d'échantillonnage souvent obtenus grâce à l'informatique. Le « sound system » requiert deux intervenants : d'un coté il y a le « selector » qui se charge de mettre les disques et de l'autre côté, il y a le maître de cérémonie qui improvise plus ou moins les textes. Ils sont appelés le D.J. (disc jockey) pour celui qui est préposé au son et le M.C. (master of ceremony) pour celui qui s'occupe du micro. L'un des DJ les plus célèbres s'appelle Kool Herc alias Clive Campbel qui introduisit en 1973 le « toaster » dans la culture noire américaine (new yorkaise) et l'américanisa en le substituant au pidgin jamaïcain en compagnie de Coke-la-Rock et de Clark Kent. Mais déjà dans les années 1950, le rythme saccadé se retrouvait dans la musique « soul » et était à l'époque appelé « Jive Talk ». Ce parler sera inauguré par les « Last Poets » composés de Alafia Pudim, Omar Ben Hassen et Abidun Oyewala. Le premier album rap sera finalement enregistré en 1979 par les Sugarhill Gang (Sylvia Robinson et M.Wright); il sera intitulé « Rappers Delight ». Ils seront suivis de Grand Master Flash dans « The message » et des Furious Five qui inspireront de grands groupes comme Public Ennemy, Mwa, etc. Depuis, le rap subit une poussée extraordinaire avec l'introduction de grandes maisons de disques comme « Def Jam »24(*). Et c'est tout naturellement qu'il s'installe dans tous les pays du monde, ceux de l'Afrique compris. I - 2 Le rap au SénégalL'engouement des jeunes pour le mouvement rap n'a pas épargné le Sénégal et Ndiouga Adrien Benga, dans une étude consacrée à l'évolution de la musique sénégalaise situe son apparition dans ce pays aux environs de l'année 1988. Il la met en rapport avec l'année blanche qui fait suite aux élections présidentielles et législatives très contestées de la même année et de ses conséquences notamment le fait que de nombreux jeunes vont abandonner l'école25(*). Face à cette jeunesse désemparée la Seule voie proposée fut l'expression de leur amertume au moyen du rap. C'est ainsi que Benga précise que : « mettant un nom sur le désespoir, le rap donne une voix auxproscrits, leur permet de revendiquer de communiquer. D'abord mimétique, le rap sénégalais met une dizaine d'années à digérer son modèle américain (et français) avant de s'affranchir »26(*). Cette remarque est d'autant plus importante que les premiers groupes de rap au Sénégal ont d'abord chanté avec des instrumentaux américains et reprenaient les musiques américaines. Mais on doit se rappeler que les premiers groupes de rap dakarois étaient d'abord des groupes de danse qui s'exerçaient au « break dance », au « smurf » ; danses américaines qui étaient vulgarisées par des émissions télévisées comme « Génération 80 » de Moïse Ambroise Gomis ou radiophoniques comme « Hit Inter Sky » animée par Aziz Coulibaly. Ce dernier faisait passer les exclusivités qui faisaient l'affiche aux Etats-Unis et avait aussi l'exclusivité de la diffusion des premiers titres hip-hop sénégalais. Parallèlement, Aziz Coulibaly animait sur Dakar FM l'émission « Puissance FM » consacrée spécialement au rap. C'est en 1990 qu'on verra la première apparition discographique qui s'apparente réellement au rap. Il s `agit de l'album de Mbacké Dioum (c'est un émigré Sénégalais qui vit en Italie). L'album s'appelle Sama Yaye . La première cassette de qualité sera l'oeuvre de MC Lida (un autre émigré Sénégalais vivant en Italie) : M.C Number One. Depuis, avec les apparitions discographiques assez fréquentes des groupes comme le Positive Black Soul, le P. Froiss ou le Daara J le rap s'est développé et prend chaque jour une ampleur nouvelle. Le rap n'a pas connu de difficultés majeures pour s'implanter au Sénégal. Cela s'explique par le fait que cette musique n'est pas apparue en terrain neuf. Elle présente des similitudes avec certains types musicaux traditionnels du pays. Plusieurs genres qui lui sont apparentés existent depuis très longtemps. Il y a entre autres le « tassou », le « xaxar », le « bakk », etc. Ce sont des genres traditionnels connus de la plupart des Sénégalais et dont l'exécution (rythmique saccadée et rapide) ressemble à celle du rap. Seulement, il faut souligner que certaines couches de la population ont rejeté le rap non parce que la musique n'était pas agréable à écouter, mais plutôt parce que les jeunes qui s'y adonnaient étaient mal perçus à cause de leur comportement, et de leur manière de parler jugés incorrects. A propos de cette parenté avec la musique traditionnelle sénégalaise, Benga précise que : « c'est sur ce terrain qu'ils échafaudent leur propre mode d'expression, unique, spontané, à mi chemin entre poésie moderne et tradition orale « tassou » (...). Du conteur au rappeur, du griot au journaliste social des temps modernes, une filiation recomposée est revendiquée, celle qui suit le chemin de la « littérature orale » et se produit dans la poésie urbaine. Dans cette tradition, certains rappeurs revendiquent une filiation avec le griot ».27(*) Le développement du rap s'explique ainsi par le fait qu'il a trouvé un terrain d'accueil favorable à son développement. En définitive, voulant assurer une prise de conscience et exprimer la révolte de plusieurs centaines de milliers de jeunes confrontés aux problèmes de chômage, de maladie, de pauvreté, etc., le rap s'est imposé dans un pays comme le Sénégal ou le terrain d'éclosion s'est trouvé favorable à son éclosion. Et à l'instar de leurs collègues des autres continents, les rappeurs Sénégalais vont lui donner une signification culturelle, idéologique et musicale. * 23 Dieye Alioune Badara : « le hip-hop sénégalais : origines et perspectives » in Sud détente(Sud quotidien),n°63 du 12 février 1999, pp.7-8-9-10. * 24 Idem. * 25 Benga Ndiouga Adrien (1998) : L'air de la ville rend libre ;musique urbaine et modernité métisse ; des groupes de musique des années 1950 aux possees des années1990 (Dakar - Saint-Louis) ; Dakar, FLSH, np ; p.11. * 26 Idem. * 27 Benga Ndiouga Adrien (1998) :op.cit.p.11. |
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