Paragraphe 2 : Le modèle comptable anglo-saxon
ou modèle économique
La comptabilité anglo-saxonne apparaît au
XIXème siècle avec la révolution
industrielle,113 le modèle regroupe une large gamme de pays
notamment, les pays membres
du commen-wealth, on y trouve ainsi environ 43 pays :
l'Australie, le Canada, les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne,
Hong Kong, l'Indonésie, la Nouvelle Zélande, le Pakistan,
les Pays-Bas, la Singapour, et presque la totalité des
pays du commen-wealth.
La distinction entre le modèle anglo-saxon ou
modèle économique et celui d'Europe Continentale, est
intimement liée à certaines caractéristiques
incombant au cadre économique, juridique et culturel des pays
appartenant à chaque modèle. Les principales
caractéristiques du modèle économique portent
essentiellement sur :
· la nature juridique ;
· l'entendue du pouvoir des professionnels ;
· la faible contribution fiscale ;
· l'existence d'un cadre conceptuel comptable ;
· la prédominance de la notion d'image fidèle
(true and fair view) ;
· les objectifs de la diffusion d'information
financière ;
· un cadre économique fortement influencé par
le marché ; etc.
Contrairement au modèle Latin, les pays
anglo-saxons sont des pays de tradition (la France est un pays de droit).
Dans un tel système de droit coutumier, les lois se contentent
d'énoncer les principes généraux laissant aux juges le
soin d'appréciation pour le règlement judiciaire.
113 PETER WALTON, Comptabilité en
Grande-Bretagne, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion
et d'audit, Economica, 2000, p.319.
70
La jurisprudence, les usages et la pratique sont
prépondérants, c'est ainsi que l'aspect pragmatique l'emporte sur
l'aspect formaliste, principale caractéristique du modèle
juridique. Bien que l'Etat occupe aujourd'hui une place plus
importante dans le processus de normalisation, les pays anglo-saxons
restent convaincus que, d'une part, la comptabilité est une
matière trop complexe et d'autre part, la loi est un
instrument trop lent, pour que la réglementation, dans ses
détails, lui soit confiée. De ce fait, le droit comptable
anglo-saxon favorise l'exercice du jugement professionnel.
Cette culture comptable anglo-saxonne concourt
à l'émergence d'associations professionnelles puissantes.
Historiquement, la réglementation relative à la divulgation
d'information financière est peu contraignante. Elle laisse aux
professionnels la responsabilité d'élaborer les règles
d'application très générales fixées par la
loi, ainsi que celle d'organiser la tenue de la comptabilité à
l'intérieur des entreprises.
En Grande-Bretagne, le conseil des normes comptables L'ASB
(Accounting Standards Board) est l'organisme professionnel chargé
d'émettre les normes comptables (les FRS : Financier Reporting
Standard). L'ASB agit indépendamment de l'Etat, en apportant le
complément aux dispositions de la loi sur les sociétés
(the Company Act), sur la forme et le contenu des comptes annuels et
résout par ses publications un certain nombre de problèmes
précis non prévus par la loi. Cet
organisme nouvellement crée (1er août 1990,
en
remplacement du comité des normes comptables
: ASC ; the Accounting Standards Committee) jouit d'une
très grande autonomie par rapport aux autres organisations
professionnelles (notamment the Association of Chartered Certified
Accountants ; ACCA ; etc.) et se voit doté de la responsabilité
complète de l'établissement des normes et de moyens
financiers importants.114
Dans les pays anglo-saxons, la fiscalité n'a aucune
influence sur le droit comptable. Le résultat fiscal se calcule
indépendamment du résultat comptable de façon à
fournir un double jeu de compte : l'un purement financier, l'autre est purement
fiscal.
114 JACQUELINE LANGOT, Comptabilité
anglo-saxonne : normes, mécanismes et documents financiers,
Economica, 1997, p-p.21-22.
71
Les états financiers fiscaux tiennent compte du
contexte fiscal et donnent lieu au calcul d'une charge d'impôt qui
est reportée dans les comptes sociaux afin de traduire la
réalité économique de l'entreprise.
Alors que la normalisation et la réglementation
comptables anglo-saxonnes portent essentiellement sur les principes
comptables et sur la présentation et le contenu des
états financiers de synthèse qui véhiculent à
travers un cadre conceptuel, la réglementation comptable d'Europe
continentale porte à la fois sur le processus comptable (la
comptabilité entant que processus de saisie, de stockage et de
traitement de l'information), et sur ses produits (les états
financiers de synthèse).
Le cadre conceptuel est défini comme « un
système cohérent d'objectifs et de principes fondamentaux
liés entre eux, susceptible de conduire à des normes solides et
d'indiquer la nature, le rôle et les limites de la comptabilité
financière et des états financiers ».115
Outre les Etats-Unis (1978), et quelque fois avant eux,
plusieurs pays appartenant au modèle économique, ont
tenté de se doter d'un cadre conceptuel : l'Australie (1972),
la Grande Bretagne (1975), le Canada (1989). Ils s'agit dans ces pays, de
rendre plus cohérente
la normalisation en donnant à celle-ci un
référentiel.
Le modèle anglo-saxon est composé de pays
orientés marchés. Dans ces pays, on trouve des
marchés financiers très développés assurant le
financement de l'économie entière. Ainsi, les objectifs de la
diffusion d'information financière par les entreprises favorisent
surtout les investisseurs boursiers intéressés par la
rentabilité de leur placement.
La comptabilité génère ainsi une
grande quantité d'information sur les performances
financières de l'entreprise orientée vers les besoins
décisionnels des investisseurs. Ces derniers ont une connaissance
satisfaisante des affaires, de l'activité économique du pays en
question et de la comptabilité financière.
115 BERNARD COLASSE, Cadres comptables
conceptuels, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.94.
72
Suivant l'ASB (le normalisateur anglais), l'objectif de la
comptabilité financière est de fournir aux utilisateurs, pour
qu'ils puissent prendre leurs décisions d'investissement, des
informations utiles sur la situation financière, la performance
et l'adaptabilité financière d'une entreprise.
Par ailleurs, Le droit comptable anglo-saxon s'appuie sur le
concept très large d'image fidèle ``true and fair view''. Il
exige de la part de ceux qui l'appliquent une certaine aptitude
à interpréter et à appliquer des principes
et à résoudre des cas particuliers.
L'entreprise doit interpréter son propre cas ;
elle a même le droit de déroger aux recommandations des
organismes professionnels si elle estime qu'une autre méthode pourrait
mieux traduire sa réalité économique.
Le concept (ou la notion) d'image fidèle, a
plutôt une valeur de mythe en tant que qualité
extérieure à la comptabilité puisqu'il est rendu
opératoire par l'application des normes comptables en vigueur. Son
importance sur le plan doctrinal réside essentiellement dans le fait
que son existence indique une préférence chez le
législateur pour des états financiers traduisant la
réalité de la situation financière d'une entreprise.
Un second principe comptable anglo-saxon domine dans
l'interprétation de l'information comptable traduite dans les
contrats ou les états de synthèses, il s'agit du principe
de l'objectivité ou principe de la prééminence de la
réalité sur l'apparence (objective principle ou substance over
form).
Ainsi, selon ce principe « tous les
évènements de la vie de l'entreprise sont pris en compte
objectivement conformément à leur nature et à la
réalité financière, c'est à dire, sans prendre en
compte leur seule apparence juridique ».116 Ainsi, la
réalité économique et financière doit primer sur
l'habillage juridique formaliste.
Convaincus qu'un système comptable de qualité
est nécessaire pour attirer les capitaux extérieurs en
provenance des banques, des organismes internationaux ou des
investisseurs privés, les Anglo-saxons souhaitent tous des documents
comptables et des rapports objectifs
116 LAURENCE BINET, Les états
financiers anglo-saxons : Comparaison avec les états financiers
français dans le cadre de l'harmonisation internationale, Economica,
1991, p.16.
73
et exploitables. Pour cela, ces pays exigent une
information véhiculée par les états de
synthèse favorisant d'une part les investisseurs, et d'autre
part les autorités boursières puissantes et exigeantes. Les
états financiers doivent donc permettre de traduire le plus
fidèlement possible la situation économique, juridique et
financière de l'entreprise. Il s'agit généralement :
· du bilan ;
· du compte de résultat ;
· d'un état de flux de trésorerie ; et
· de l'annexe.
Dans les pays anglo-saxons, il existe rarement une nomenclature
des comptes. Les états
de synthèse ne sont pas formalisés. Ces
états sont valables s'ils tiennent compte sérieusement
du principe d'image fidèle et représentent
ainsi la réalité économique de l'entité. Dans
ce modèle, il n'y a pas souvent d'obligation légale de
révision des comptes, mais de fait, les sociétés
demandent à des réviseurs contractuels d'exprimer les
opinions sur les comptes qu'elles présentent. Ceci assure
crédibilité et moralité à la vie des
affaires. L'audit est en quelque sorte le complément indispensable du
libéralisme économique.
Le système anglo-saxon a une tendance orientée vers
la comptabilité de management
ou comptabilité analytique, ce qui explique la
présentation habituelle des comptes de résultat par fonction.
En conclusion, on peut dire que le processus de normalisation,
dans un pays donné, est
lié à son contexte. Dans les pays
anglo-saxons, contrairement à ce qui se passe dans la plupart
des pays d'Europe continentale, la normalisation est le fait du
secteur privé : professionnels et syndicats. Le principe du
libéralisme économique s'oppose à toute tentative
de réglementation des pratiques comptables par
l'Etat. En conséquence, dans ces pays, la
comptabilité répond essentiellement aux besoins
d'information des entreprises, le système comptable est
plutôt économique.
Par contre, dans les pays d'Europe continentale, la
comptabilité a pour objectif de satisfaire les besoins de
nombreux utilisateurs, spécialement les bailleurs de fond
(actionnaires ou non), les entreprises ainsi que l'Etat qui a le
souci de la collecte de l'impôt et
74
de l'orientation économique du pays. Pour mieux
satisfaire aux besoins d'élaboration de statistiques
macro-économique, la normalisation comptable se traduit alors par
l'élaboration d'un plan comptable comprenant, outre le plan de
compte, une terminologie, des règles d'évaluation et de
fonctionnement des comptes et des modèles de présentation des
documents
de synthèse. Le tableau 2 synthétise les
principales caractéristiques des deux modèles comptables les
plus dominants dans le monde.
75
TABLEAU 2 : CARACTERISTIQUES FONDAMENTALES DES SYSTEMES
COMPTABLES CONTINENTAUX ET ANGLO-SAXONS
Modèles comptables
|
Continentale (Latins)
|
Anglo-Saxons
(ou économique)
|
Cadre institutionnel de l'économie
|
Typologie d'entreprise
|
Principalement des entreprises familiales : forte concentration
du capital.
|
Principalement des firmes managériales : capital
fortement atomisé.
|
Origine du financement
|
Secteur bancaire principalement : marché interbancaire.
|
Marchés financiers principalement.
|
Culture
|
Orientation étatique.
|
Individualiste.
|
Système juridiq
|
Dominé par le droit écrit.
|
Dominé par le droit coutumier.
|
Environnement comptable
|
Pouvoir de normalisation
|
Etatique.
|
Règles élaborées par des organisations
professionnelles autonomes.
|
Objet de la normalisation comptable
|
Tout commerçant industriel personne physique
ou
morale.
|
Essentiellement les entreprises cotées en bourse.
|
76
TABLEAU 2 : CARACTERISTIQUES FONDAMENTALES DES SYSTEMES
COMPTABLES CONTINENTAUX ET ANGLO-SAXONS
Modèles comptab
|
Continentale (Latins)
|
Anglo-Saxons
(ou économique)
|
Environnement comptable
|
Base conceptuel
|
Plan comptable générale.
|
Cadre conceptuel de la comptabilité.
|
Destination de l'information
financière
|
Principalement les créanciers, l'Etat et les
investisseurs.
|
Essentiellement les investisseurs.
|
Etendue de la publication
|
Tendance a une publication limitée :
* système de gouvernance croisé ;
* répondant aux exigences juridiques et fiscales.
|
Tendance à une large publication :
* répondant aux besoins des marchés financiers ;
* traduisant la réalité économique.
|
rincipes compta
|
Domination du principe de prudence : influence
néfaste de la fiscalité sur l'utilité
décisionnelle de l'information comptable.
|
Juste représentation : Image fidèle : ``true
and fair view'', et la
prédominance du fond sur la forme.
|
Structure des état financiers
|
Etats financiers formalisés servant les besoins
de
fiscalité.
|
Etats financiers variable, évolutif servant la notion
d'image fidèle.
|
Exemples de pays
|
Allemagne, Belgique, France, Japon, etc.
|
Australie, Canada, Etats-Unis, Pays-Bas, Grande-Bretagne, etc.
|
77
|