CHAPITRE II : CHOIX COMPTABLES ET ACTIVITES
ECONOMIQUE
Vue sous un angle purement théorique, le cadre
institutionnel de l'économie mérite plus qu'une simple
analyse conceptuelle. L'approche pratique, dans ce cas, est fortement
recommandé afin d'injecter une certaine forme de réalité
à notre recherche et comprendre les différents aspects
institutionnels qui règnent dans le monde.
D'un autre coté, la portée pratique de la
comptabilité internationale est primordiale, elle permettra de saisir
concrètement la relation existante entre celle-ci et les trois axes du
cadre institutionnelle de l'économie. Toutefois, il
conviendrait avant tout de positionner la comptabilité par
rapport aux deux modèles qui la caractérisent, à savoir
:
- le modèle d'Europe continentale ou modèle latin ;
et
- le modèle comptable anglo-saxon ou modèle
économique.
SECTION I : CLASSIFICATION DES PRINCIPAUX MODELES DE
NORMALISATION ET DE REGLEMENTATION COMPTABLES
En se basant sur quelques constatations on peut
aisément se rendre compte que les méthodes et pratiques
comptables divergent sur plusieurs points fondamentaux d'un contexte
à l'autre. La géante firme automobile
allemande Daimler-Benz affiche pour le premier
semestre 1993, un résultat bénéficiaire
de 168 millions de deutsche mark selon le référentiel comptable
locale. En ajustant ses états financiers selon le
référentiel comptable américain, ce même
résultat a affiché une perte de 949 millions de deutsche
mark.103
103 BERNARD COLLASSE, La comptabilité
générale, Economica, 1996, p.25.
63
De cet exemple, il découle que les divergences
comptables constituent une réalité et leurs incidences sont
d'importance significative. Parmi les principales différences, on
peut citer les éléments relatifs :
- aux actifs corporels et incorporels ;
- aux stocks ;
- aux leasing ou contrat de location financement ;
- aux amortissements et provisions ;
- aux modalités de traitement des informations dans les
états financiers.
Les systèmes de normalisation et de
réglementation comptables varient d'un pays à l'autre. Les
différences qui existent entre eux tiennent en particulier :
· au cadre juridique : de ce point de vue, on peut
distinguer des pays de droit
écrit et des pays de droit coutumier ;
· au système économique : de ce point de
vue, le rôle de l'Etat et l'importance des marchés financiers
sont des facteurs importants de différenciation des
systèmes comptables ;
· au niveau de développement ;
· aux liens entre fiscalité et
comptabilité.
Elles tiennent également à l'ancienneté,
à la compétence et à l'organisation de la
profession comptable et donc au rôle qu'elle est susceptible de jouer en
matière d'élaboration
et de mise en application des normes comptables.104
Au cour de ce qui suit, nous allons essayer d'aborder
l'analyse des caractéristiques fondamentales des deux modèles
comptables les plus importants à savoir :
· le modèle anglo-saxon ; et
· le modèle continental.
104 BERNARD COLLASSE, la comptabilité
générale, Economica, 1996, p.52.
64
Paragraphe 1 : Le modèle continental ou
modèle juridique latin
La comptabilité d'Europe Continentale est marquée
par une longue histoire (on situe
ses origines au XVIIème siècle en
France).105 Sa qualification d'Europe Continentale (ou
modèle latin) ne limite en aucun cas son champ d'application aux pays du
vieux continent ainsi, on y trouve des pays tels que le Maroc, la Côte
d'Ivoire, le Japon, etc.
Le modèle Continental regroupe environ 28 pays, on
y trouve à titre d'exemple des pays tels que : l'Algérie,
l'Allemagne, la Belgique, la Côte d'Ivoire, le Danemark, l'Espagne,
la France, la Grèce, l'Italie, le Japon, le Maroc, le
Portugal, la Suède, la Suisse, etc.
Les systèmes comptables de l'ensemble de ces
pays présentent des caractéristiques communes (ce qui permet
dés lors de parler d'un modèle). Au fil des temps, ces pays ont
échangé leurs conceptions sur la comptabilité et
son organisation, construisant ainsi un système commun.
Les principales caractéristiques du modèle
latin, que nous allons traiter portent
essentiellement sur :
· la nature juridique ;
· le pouvoir de normalisation ;
· l'influence fiscale ;
· la réglementation comptable ;
· les principes de base de l'information financière
; et
· la destination privilégiée de l'information
financière.
Les pays appartenant au modèle continental sont
des sociétés de droit codifié à la
manière des codes napoléoniens. Il s'agit de lois
détaillées ne laissant aucunement de place à
l'interprétation des juges et ceci est vérifié en
matière comptable.
Le système comptable porte sur un grand nombre de
procédures de prescriptions et de présentation uniforme et
formelle. Il se base sur un corps de règles comptables rigides,
figées
65
ne laissant pas de place aux appréciations. Un tel
système favorise beaucoup plus l'apparence juridique sur le fond
économique.
L'Etat est le principal acteur de la normalisation
comptable dans ces pays. Les organisations professionnelles n'ont ainsi
qu'un rôle secondaire de conciliation a travers les avis
publiés.
En France, par exemple, les règles comptables
sont l'oeuvre du législateur, plus précisément d'un
organisme placé sous l'autorité du Ministre
chargé des affaires économiques (le conseil national de
comptabilité). Les universitaires et professionnels se chargent
seulement de donner leurs avis préalable sur toutes
réglementations, instructions ou
recommandations d'ordre comptable proposées par les
administrations ou services publics.106
Dans les pays appartenant au modèle continental, le
droit fiscal influence largement les pratiques comptables. Ainsi, seul les
charges comptabilisées sont déductibles fiscalement. Il convient
dés lors de constater leur tendance à aligner leurs comptes aux
règles fiscales les plus favorables, même si cela abouti
à des aberrations touchant la réalité
économique de l'entité (exemple : Constatation d'amortissement
et de provisions non justifiées économiquement, mais
prévus par le droit écrit).
La comptabilité est un moyen de calcul de l'assiette de
différents impôts. En effet, le bénéfice et le
chiffre d'affaires (assiette des principaux impôts : L'impôt sur
les Société : IS,
et la Taxe sur la Valeur Ajouté : TVA) sont
tirés des documents comptables. Le droit fiscal, intéressé
au premier chef par la détermination du bénéfice
imposable est donc intervenu progressivement dans le domaine comptable
pour fixer les règles que les commerçants doivent suivre
pour la tenue de la comptabilité et les évaluations qui s'y
attachent. Il en est résulté alors une
interpénétration croissante des problèmes fiscaux
et des problèmes comptables.
Ce pendant, l'utilisation progressive de la
comptabilité comme moyen de preuve, d'information et de calcul
de l'assiette de l'impôt se heurtait à des
difficultés. En effet,
105 PETER WALTON, La Comptabilité en
Grande-Bretagne, Encyclopédie de comptabilité de
contrôle de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.319.
106 DANIEL BOUSSARD, La modélisation comptable
en question (s), Economica, 1997, p-p.104-105.
66
chaque commerçant pouvait organiser sa
comptabilité comme il l'entendait, en fonction de ses besoins, sous
réserve de respecter des réglementations parcellaires de fond et
de forme. Chaque entreprise pouvait, suivant ses propres concepts, choisir le
mode de présentation de ses résultats. En l'absence d'une
terminologie adoptée par tous, les comptes des différentes
entreprises ne pouvaient être que disparates. Les conceptions et les
structures économiques évoluant rapidement, la
nécessité d'une politique économique au niveau national se
faisait de plus en plus pressante. L'amélioration de la connaissance
de l'économie devait conduire à rechercher des
renseignements homogènes. La comptabilité du modèle
continentale devait donc être réglementée sous le
régime des codes de commerce (France, Allemagne, etc.), des codes civils
(Italie) ainsi, que des plans comptables généraux adoptés
par la plupart des pays
appartenant au modèle juridique.107
En Allemagne, le texte de base est le code de commerce
allemand de 1867 (Handels Geset Zbuch, HGB) et notamment les articles
238 et suivants, qui s'est substitué à la loi prussienne
de 1794 inspirée du code Savary de 1673 (France). Le code de
commerce allemand comprend des règles comptables relatives :
· a la tenue des comptes et à l'inventaire ;
· a l'établissement des comptes annuels ;
· a la conservation des documents comptables et leur
utilisation en matière de preuve ;
· aux dispositions applicables aux sociétés de
capitaux.108
La normalisation comptable française impose l'utilisation
d'un cadre comptable et d'un plan de comptes strictement défini et
faisant l'objet d'une codification décimale impérative ;
ce plan de comptes, cette codification ont pour
rôle d'assurer l'homogénéité des
enregistrements de base dans toutes les entreprises et,
partant celle des rubriques et des postes des comptes annuels, rendant
possibles et pertinentes les comparaisons dans le temps
et dans l'espace ; de surcroît, il évite aux PME le
coût de l'élaboration d'un plan spécifique
de comptabilité générale et, en outre, il
simplifie la tâche des auditeurs externes dans toutes
les entreprises. Cette normalisation codificatrice de
caractère général n'est possible qu'en raison du
classement par nature des éléments du bilan et, surtout, des
charges et des produits.
107 FRANCIS LEFEBVRE, Comptable 2000,
19ème édition Francis Lefebvre, 1999, p.29.
108 ROBERT OBERT, Synthèse droit et
comptabilité : audit et commissariat aux comptes, aspects
internationaux, 2ème édition Dunod, 1997,
p-p.317-318.
67
La simplicité de l'affectation garantit rigueur et
objectivité, on ne manque pas de lui
reprocher l'absence de pertinence qui en résulterait,
l'affectation des charges aux fonctions étant plus riche et
significative ; c'est confondre information interne et externe. Pour
cette dernière, seul le classement par nature est objectif, la
laisse à l'abri de manipulations et conduit à une
réelle pertinence en matière d'indicateurs de
synthèse pour la majorité des destinataires de
l'information.
A défaut d'un cadre conceptuel formalisé (comme
ceux élaborés dans les pays anglo- saxons) où seraient
précisés les objectifs, les principes de base et les fonctions
assignées à la comptabilité, un cadre conceptuel implicite
peut être décelé dans le modèle comptable latin.
Ainsi, certains principes comptables communs peuvent être
appréciés :
- le principe de prudence ;
- le principe de la continuité d'activité ou
d'exploitation ; et
- le principe de la permanence des méthodes ou principe de
fixité ; etc.
Le principe de prudence, selon le plan comptable
général français constitue une
« appréciation raisonnable des faits afin
d'éviter le risque de transfert, sur l'avenir,
d'incertitudes présentes susceptibles de grever le patrimoine et les
résultats de l'entreprise ».109
Il semble que ce principe soit inséparable des
modalités de fonctionnement des grandes sociétés par
action à partir du XIXème siècle. Dans les grandes
sociétés anonymes, les dirigeants doivent s'efforcer de garder
la confiance des nombreux épargnants qui détiennent
ou envisagent d'acheter des actions de la
société. Cette confiance ne peut être maintenue que dans la
mesure où les épargnants « croient » dans les comptes
qui leur sont présentés et l'on peut penser qu'elle serait
très compromise si le patrimoine et les résultats de la
société se révélaient a posteriori avoir
été quelque peu surestimés. D'où ce principe dont
l'application raisonnable consiste non pas à sous-estimer
systématiquement le patrimoine de l'entreprise
mais à éviter de le sur estimer, à
éviter la démesure.110
109 FRANCIS LEFEBVRE, Comptable 2000,
19ème édition, 1999, p.52.
110 BERNARD COLLASSE, La comptabilité
générale, Economica, 1996, p-p.38-40.
68
Le principe de continuité d'activité ou
d'exploitation consiste à prévoir pour
l'établissement des comptes annuels l'engagement
implicite de poursuivre les activités d'exploitation du
commerçant, personne physique ou morale.
En conséquence, d'une manière
générale, on doit se placer dans la perspective d'une
continuité de l'exploitation et non d'une liquidation, sauf, bien
entendu, pour les éléments du patrimoine qu'il a
été décidé de liquider ou si l'arrêt
ou la réduction de l'activité est prévisible
qu'elle résulte d'un choix ou d'une obligation. Ainsi,
il est supposé que l'entreprise n'a ni l'intention ni la
nécessité de mettre fin à ses activités, ni
de réduire de
façon importante la taille de son
exploitation.111
Le principe de permanence des méthodes ou principe
de fixité considère qu'à moins qu'un changement
exceptionnel n'intervienne dans la situation du commerçant,
personne physique ou morale, la présentation des comptes annuels comme
les méthodes d'évaluation retenues ne peuvent être
modifiées d'un exercice à l'autre. Si des
modifications
interviennent, elles sont décrites et justifiées
dans l'annexe.112
Parce qu'elle est tenue par l'entreprise (par ses dirigeants
et ses comptables), et parce que l'information qu'elle produit est
destinée à des tiers sans prise sur elle, la comptabilité
générale se voit soumise à des normes et des
règles dont la fin ultime est d'en assurer la fiabilité
et la crédibilité. Ainsi, la comptabilité sert de cadre
à la répartition de la richesse ; elle est donc au centre des
conflits d'intérêt entre les différents stackholders. Ce
rôle social rend nécessaire la création d'un cadre
comptable servant de base d'un système d'information
au service des utilisateurs privilégiés de
l'information financière.
Dans le modèle continental, la comptabilité ne
vise pas à privilégier la satisfaction des besoins des
investisseurs à risque, mais répond plutôt aux exigences
d'une part de l'Etat, en matière de fiscalité et
d'indicateur macro-économique, d'autre part des institutions
financières qui fournissent aux entreprises l'essentiel de leurs
ressources. La préoccupation principale de l'information
financière est donc d'assurer la protection des créanciers
d'où l'importance à accordée au principe de prudence qui
l'emporte sur le principe d'image fidèle.
111 DANIEL BOUSSARD, La modélisation comptable
en question (s), Economica, 1997, p.115.
112 DANIEL BOUSSARD, La modélisation comptable
en question (s), Economica, 1997, p-p.115-116.
69
Ainsi, les pratiques comptables et l'information
financière divulguées sont
particulièrement conservatrice et visent la protection des
créanciers (actionnaires ou non) et
le respect des politiques gouvernementales.
|