5.4.1. Guide alimentaire canadien
Le guide alimentaire canadien est l'un des principaux outils
utilisés par les nutritionnistes communautaires pour promouvoir les
saines habitudes alimentaires auprès des familles immigrantes et aussi
pour faire de l'éducation nutritionnelle auprès de ces familles.
Du point de vue de certains nutritionnistes, le guide constitue un outil
universel et accessible à tout le monde, quoi qu'il ne soit pas toujours
adapté à la réalité et aux besoins des personnes
immigrantes et de leurs familles : « Il y a évidemment
Santé Canada qui a mis
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au point le guide alimentaire canadien, qui est l'une des
stratégies de promotion des saines habitudes alimentaires. C'est un
outil qu'on utilise quand même dans notre travail qui n'est pas toujours
parfaitement adapté à la réalité de nos familles.
Donc des fois on l'utilise des fois non, mais c'est quand même un outil
qui se veut universel et quand même accessible à tous (entrevue 2,
26 juin 2023) ». Selon de nombreux nutritionnistes
interviewés, le guide alimentaire canadien est accessible puisqu'il est
traduit en différentes langues : « avec les guides, ils l'ont
traduit en plusieurs langues, fait que c'est disponible mais ce n'est pas
disponible c'est sûr, en toutes les langues non plus (entrevue 5, 4
juillet 2023) ». Cependant, il n'est ni inclusif, moins encore
adapté aux besoins ethnoculturels et aux différentes classes
socio-économiques. Le guide n'est pas inclusif dans la mesure où
le modèle de l'assiette qui y est présenté n'est pas
représentatif des pratiques alimentaires ou de la façon de manger
d'une bonne proportion de personnes appartenant aux communautés
ethnoculturelles. Par exemple, plusieurs familles immigrantes d'Afrique de
l'Ouest ne mangent pas dans une assiette, mais plutôt dans un bol. De
plus, les légumes ne sont pas consommés tel que
présenté dans le guide, mais plutôt souvent
intégrés dans une sauce.
Non, je pense qu'il ne l'est vraiment pas. Un, il n'est
pas inclusif, je veux dire ça. On oublie toute une couche de la
société qui mange pas dans une assiette. Je veux dire, moi je ne
mange pas tous mes repas dans une assiette, soit des petites assiettes à
partager ou une grosse assiette. Il y a des gens qui mangent donc un bol
déjà à la base, ce n'est pas une assiette, c'est un petit
peu, ça te dit qu'il faut que tu prennes ton assiette et tu mets des
petits légumes et des féculents, ensuite, c'est pas comme
ça que les gens, beaucoup de personnes mangent parce que les
légumes sont intégrés dans une sauce, les gens mangent en
mijoté ou en sauce, surtout les gens qui sont pas
québécois de souche. Non y a toute une approche derrière,
à revoir. Il y a tout un... puis c'est sûr qu'on peut pas
représenter tout le monde, mais en faisant un effort d'inclure plus
qu'un modèle où d'avoir un modèle plus inclusif.
Peut-être que tu ne vas pas représenter la personne qui habite une
certaine culture d'Algérie, qui est vraiment très minoritaire.
Mais elle va voir que y a plus qu'un modèle possible et elle fera
l'effort d'adapter son alimentation. Mais quand tu vois une assiette avec des
petites salades, des petites laitues, ta petite tomate et ton petit riz, ton
petit morceau de saumon. C'est tellement loin de ce que la majorité des
personnes mangent, que c'est comme je ne veux même pas essayer. C'est
comme loin, c'est ailleurs (entrevue 4, 3 juillet 2023).
L'assiette du guide est très occidentale et ne
présente pas la diversité culturelle des cuisines qu'on pourrait
retrouver au Québec et au Canada, ce qui fait que plusieurs
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personnes immigrantes pourraient ne pas se reconnaître
à travers le guide alimentaire canadien tel qu'il existe
présentement. Sur le plan socio-économique, l'assiette du guide
n'est pas non plus représentative des différentes classes
socio-économiques pouvant exister au Québec. Par exemple, dans le
nouveau guide, les fruits et légumes illustrés dans l'assiette
sont frais, alors que de nombreuses familles à faible revenu vont
consommer davantage des fruits et légumes surgelés et en
conserve, étant donné qu'ils sont plus économiques et donc
financièrement plus abordables.
Euh enfin moi la problématique que je vois, c'est
toujours comme l'adaptation culturelle. T'sais le guide alimentaire canadien,
c'est une façon de promouvoir. Mais encore une fois, quand je le
regarde, je vois des problématiques côté culturel. Et
justement, beaucoup de gens comme qui viennent de différents pays ne
vont pas se reconnaître à travers ces guides-là... Je
trouve que le guide alimentaire canadien, le nouveau, il y a beaucoup de choses
qui sont mieux par rapport à l'ancien...Mais une des grosses lacunes,
c'est sûr, c'est au niveau de l'adaptation pour les différentes
cultures. Euh. Premièrement, pas uniquement pour les différentes
cultures, mais je dirais même pour les différents niveaux
socio-économiques par exemple quand tu regardes l'assiette,
déjà les fruits et légumes ont l'air frais. Tu sais, dans
l'ancien guide, il y avait par exemple la représentation des
légumes en conserve et des légumes congelés. Et ça
aurait été bien que ça soit comme clairement mieux aussi
dans l'assiette parce que justement, ça c'est une façon des fois
d'aller chercher les légumes de façon plus accessible, soit au
niveau des sous.... Et juste quand tu regardes les guides, il n'y a pas quelque
chose qui est très culturel là-dedans et oui c'est correct de
montrer les fruits et légumes d'ici. Mais même quand tu regardes
l'assiette...tu vas voir beaucoup les fruits et légumes crus... les gens
qui viennent me voir, ils sont surpris de savoir que les légumes cuits
ça va être bon aussi pour leur santé. Puis euh, ce qu'on
projette c'est la salade, c'est les crudités et ça peut
être un bloqueur parce que ben les gens ne sont pas forcément
habitués à manger la salade, les crudités...bref quand tu
regardes ce guide, ça représente pas nécessairement ton
assiette (entrevue 5, 4 juillet).
5.4.2. Quelques programmes communautaires existants et
les recommandations de santé publique
Quelques initiatives intéressantes mises sur pied dans
différentes villes de la province et visant la promotion de la saine
alimentation ont été mentionnées par les participants au
projet, entre autres, le Programme Olo, le Programme Carte Proximité,
les Jardins collectifs, RécupérAction alimentaire de Charlesbourg
ou encore Concert'Action AlimenTerre Charlesbourg.
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Plusieurs participants ont parlé du Programme Olo qui
est un programme national mis sur pied par la Fondation Olo et qui offre
gratuitement aux femmes enceintes à faible revenu un suivi et des
conseils nutritionnels personnalisés et adaptés aux besoins de la
femme enceinte et de son bébé, pendant et après la
naissance, et ce jusqu'à l'âge de 2 ans. Les participants y
réfèrent plusieurs de leurs clientes immigrantes à ce
programme. Des suppléments alimentaires, dont les multivitamines, sont
aussi régulièrement distribués gratuitement aux familles
par des intervenants du programme : « Ben c'est sûr qu'il y a
des programmes comme le programme Olo, la Fondation Olo soutient beaucoup les
familles durant la grossesse et après la grossesse, donc quand l'enfant
est né jusqu'à l'âge de 2 ans (entrevue 2, 26 juin 2023)
». La Fondation Olo a développé en partenariat avec le
Dispensaire diététique de Montréal, le Guide des habitudes
alimentaires des communautés culturelles `'Découvrir le monde et
ses diverses saveurs» qui est un outil complet de promotion des saines
habitudes alimentaires adapté à la diversité culturelle
des cuisines de 11 régions du monde et destiné aux intervenants
et professionnels de la nutrition oeuvrant auprès des communautés
ethnoculturelles : « Donc il y a ça. Ensuite, il y a un guide
qu'on a développé qui s'appelle découvrir le monde et ses
diverses saveurs, je ne sais pas si t'as connu ça, il est bien. Il a
été développé par le dispensaire et OLO (entrevue
4, 3 juillet 2023) ».
Un autre programme qui a été mentionné
est le Programme Carte Proximité du Carrefour solidaire qui est un
programme déployé chaque année à Montréal
entre juillet et octobre et visant à améliorer l'accès aux
aliments sains pour les personnes vivant en situation
d'insécurité financière et soutenir les systèmes
alimentaires locaux. Dans le cadre de ce programme, des coupons nourriciers
dits `'nutri-dollars» sont distribués aux ménages pour leur
permettre de se procurer diverses denrées notamment les fruits et
légumes, les oeufs et les produits laitiers.
Dans la ville, il y a le projet de carte proximité,
que j'ai personnellement entendu parler. bah c'est chaque été de
juillet à octobre, ça fait trois ou quatre ans que le projet
existe. Ils peuvent remettre jusqu'à 100$ par mois selon la grosseur de
la famille et ils vont dans les marchés solidaires, les familles vont
dans le marché solidaire avec la carte et ils peuvent acheter des
aliments qui ont un genre de tampons spécial. Au début,
c'était que des fruits et légumes. C'était pour faire
connaître les produits locaux. Ça s'est maintenant agrandi un peu
plus aux oeufs, au lait, aux produits laitiers. Donc c'est un projet de
promotion des saines habitudes de vie (entrevue 4, 3 juillet 2023).
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Il y a aussi les jardins collectifs qui ont été
mentionnés comme des initiatives pertinentes pouvant favoriser
l'autonomie alimentaire des personnes à faible revenu et des nouveaux
arrivants. Certains organismes à travers la province ont mis sur pied
diverses initiatives relatives aux jardins collectifs, par exemple, le
Carrefour alimentaire Centre Sud de Montréal qui a
développé une serre collective et un marché public afin de
lutter contre l'insécurité alimentaire chez les personnes
à faible revenu. Toutefois, les participants mentionnent que
l'accès à ces initiatives de jardins collectifs sont pour
l'instant peu accessibles aux populations migrantes. Les populations migrantes
connaissent très peu ces initiatives. Elles font également face
à des difficultés pour participer à ces initiatives. De
plus, le gouvernement, les municipalités et les organismes
communautaires s'impliquent actuellement très peu dans ce type
d'initiatives.
Moi, j'aime beaucoup par exemple l'idée du
jardinage urbain ou des jardins collectifs pour augmenter l'autonomie
alimentaire des personnes à faible revenu, des nouveaux arrivants, c'est
encore très limité. L'accès à ces jardins là
ce n'est pas toujours facile pour eux de 1 de savoir que ça existe, de 2
de pouvoir trouver comment rentrer dans ces groupes-là donc, mais je
pense que ça serait quelque chose peut être à
développer davantage, que ça soit soutenu par les villes, par le
les différents paliers de gouvernement et les organismes communautaires
pourraient s'impliquer. Mais moi, c'est une idée que je pense qu'il
mériterait d'être explorée davantage. Il y a des organismes
qui le font super bien. Là, le carrefour alimentaire Centre-Sud à
Montréal réussit des choses incroyables avec différentes
initiatives dont je pense qu'ils ont même une serre collective qui
produit des denrées à l'année, ils ont un marché
public aussi, ils ont beaucoup d'initiatives contre l'insécurité
alimentaire pour les gens à faible revenu. Donc il y a de la place pour,
disons, implanter des initiatives un petit peu partout (entrevue 2, 26 juin
2023).
Les participants au projet ont évoqué à
maintes reprises la question du sous-financement, de la pérennisation et
de la faible implication des instances gouvernementales dans les initiatives de
promotion de la saine alimentation mises sur pied à travers la province.
En effet, le manque de financement et la faible implication des acteurs
politiques et communautaires dans ces programmes font que d'une part il devient
difficile d'étendre les initiatives déployées et d'autre
part d'assurer leur pérennisation.
Non, mais c'est d'avoir quelque chose de plus
pérenne dans le temps, T'sais par exemple le projet en ce moment, Carte
proximité c'est quatre mois, je veux dire quatre mois dans une
année, tu ne sauves pas le monde
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que d'avoir quelque chose de plus régulier, de plus
inclusif. Tu sais par exemple y a déjà eu des modèles mais
qui n'ont pas perduré dans le temps comme de, de jardins collectifs. Des
choses que les gens cultivent même participent à ça pour
rendre ça plus pérenne dans le temps, mais toujours des manques
de financement dans ce genre de projet là. Puis ça finit par
mourir après quelque temps. Un projet de carte de proximité,
c'est très cool, c'était très bien. Ensuite, c'est
ça, ce n'est pas toute l'année donc c'est juste
l'été donc après les gens se sont habitués à
ça ou ont appris à adapter leur budget avec ce 100$ -là
qui disparaît. Faut faire attention, t'sais toujours ça dans
l'insécurité alimentaire, c'est qu'il faut faire attention de ne
pas donner une béquille que tu vas enlever (entrevue 4, 3 juillet
2023).
Enfin, des lacunes en lien avec les recommandations de
santé publique ont été mentionnées. Certains
participants ont déclaré que la façon dont les
recommandations de santé publique en lien avec l'alimentation sont
émises ne permet pas de rejoindre la proportion de la population qui en
a le plus besoin. En effet, les recommandations de santé publique
semblent être accessibles aux personnes plus technophiles et
possédant un niveau relativement bon de littératie. Ainsi, de
nombreuses personnes avec un niveau de littératie plus faible, une
charge mentale plus élevée due notamment à des contraintes
socio-économiques ou encore moins technophiles sont moins
touchées par ces recommandations. Les participants déplorent en
outre le manque de communication entre la santé publique et les
organismes.
C'est parce que j'ai fait un podcast avec quelqu'un
où est-ce qu'on en parle juste de ça, de comment les
recommandations de santé publique en général sont faites
pour les personnes qui vont chercher l'information. C'est fait pour des
personnes dans la trente-quarantaine, qui qui a une bonne littératie,
qui ont la place pour la charge mentale, c'est que tout va bien dans leur vie,
qui ont des grands-parents, des cousins, qui vont garder leurs enfants et donc
eux vont aller sur Internet et chercher quelle est la meilleure façon de
nourrir mon enfant. c'est pas fait pour la personne qui est monoparentale, pas
d'argent, a trois enfants à sa charge, qui n'a pas le temps d'aller
lire, qui n'a pas le temps de faire les recherches. Les recommandations ne sont
pas faites pour aller rejoindre la partie de la société qui en a
le plus besoin parce que c'est ces personnes-là qui ont le plus besoin.
C'est eux qui sont isolés, c'est eux qui n'ont pas une amie qui va lui
dire, tu sais, c'est pas comme ça qu'on prépare un biberon, tu
sais, c'est pas bien de donner ça à son enfant. C'est tout une
couche qui est isolée, à qui ces recommandations-là
devraient le plus... c'est eux qu'on devrait faire un effort pour aller
rejoindre, parce que la santé publique devrait rejoindre tout le monde,
donc c'est ça (entrevue 4, 3 juillet 2023).
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