5.3.2. Banques alimentaires
Au Québec, les banques alimentaires jouent un
rôle crucial dans l'alimentation de nombreuses familles vivant en
situation d'insécurité alimentaire (MELCCFP, 2019). Les
données montrent qu'environ 600 000 personnes ont chaque mois recours au
dépannage alimentaire afin de combler leurs besoins nutritionnels
(MELCCFP, 2019). En 20192021, le nombre de personnes ayant eu recours à
une banque alimentaire a augmenté d'environ 22%. L'aide apportée
par ces banques alimentaires vise à combler les besoins nutritionnels de
base des personnes vivant en situation d'insécurité alimentaire.
La capacité des banques alimentaires à répondre aux
besoins en denrées et produits alimentaires essentiels à une
alimentation saine et équilibrée, dépend dans une large
mesure de dons provenant de différentes sources, notamment de donateurs
individuels, de producteurs agroalimentaires, de restaurants et
d'épiceries (MELCCFP, 2019).
Les nutritionnistes avec qui nous avons réalisé
des entretiens semi-directifs ont rapporté que de nombreuses personnes
immigrantes aux prises avec une situation de précarité
financière ou d'insécurité alimentaire sont
généralement contraintes de recourir aux banques alimentaires
afin de se procurer des produits alimentaires à faible pour combler
leurs besoins nutritionnels.
Ouais. Pour la plupart, notre réponse
première à l'insécurité alimentaire, c'est de les
référer vers des banques alimentaires (entrevue 4, 3 juillet
2023)
Euh. comme j'ai dit dans ma clientèle, pratique
privée, ça m'est pas vraiment arrivé, peut-être une
fois, mais c'est moins commun dans la clientèle. Par contre, quand
j'étais au dispensaire, puis justement que c'est des gens vraiment qui
ont une grande précarité financière. C'est sûr,
c'était la base. Là c'était d'emblée, presque
toujours voir où la personne habitait les banques qui étaient
à proximité (entrevue 5, 4 juillet 2023)
Afin de les aider à atteindre les objectifs
nutritionnels du guide alimentaire canadien, les nutritionnistes des CLSC et
des organismes communautaires réfèrent
régulièrement les familles immigrantes à faible revenu aux
banques alimentaires. Ces familles vivent des
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contraintes pour se procurer certains aliments coûteux,
mais essentiels à une bonne alimentation, tels que les fruits et les
légumes.
Oui. C'est sûr que le coût des aliments qui a
explosé, ça doit jouer là. J'imagine que c'est pas si
évident que ça de consommer autant de légumes avec des
budgets limités. D'où l'intérêt des banques
alimentaires. Donc pour certaines familles, c'est presque nécessaire
d'avoir accès à des aliments à faible coût comme
dans les banques alimentaires, pour réussir à atteindre les
objectifs nutritionnels de santé Canada. Donc ouais, veut veut pas c'est
cher. C'est cher des légumes, c'est cher des fruits. Puis d'en consommer
les quantités qu'on devrait, Ben ça coûte des sous fait que
pour les familles à faible revenu c'est pas évident (entrevue 2,
26 juin 2023).
Les entretiens ont révélé certains
défis auxquels sont confrontés les banques alimentaires et qui
limitent leur offre alimentaire auprès des communautés migrantes
non occidentales. En effet, les banques alimentaires étant très
dépendantes de divers dons ou encore de surplus d'épiceries, leur
offre alimentaire n'est généralement pas variée. Leur
offre alimentaire est caractérisée par un manque d'aliments
ethniques et une forte présence d'aliments ultra-transformés. Les
aliments ultra-transformés, tels que les biscuits, les grignotines et
les collations sucrées représentent une proportion importante des
paniers de banques alimentaires : « j'ai aussi fait des stages dans
des milieux communautaires avant ça, des fois les paniers ne sont pas
toujours intéressants au niveau nutrition, des fois c'est plein de
biscuits, plein de produits ultra-transformés aussi... (entrevue 5, 4
juillet 2023) ». Parfois, des produits alimentaires frais sont
proposés aux familles immigrantes non occidentales. Toutefois, ces
aliments frais font habituellement partie des cuisines occidentales et sont
nouveaux pour ces familles qui ne les intégreront finalement pas dans
leur alimentation
Si c'est des produits frais, ben des fois c'est pas
nécessairement des produits que tu connais non plus. Euh. Par exemple,
quelqu'un m'avait dit qu'ils avaient reçu un artichaut, ils savaient
vraiment pas c'était quoi un artichaut, puis comment cuisiner, fait que
c'est comme oui, c'est le fun tu reçois un aliment, mais si ça te
dit rien et ce n'était pas nécessairement des gens qui avaient
accès à l'internet ou bien un ordi à la maison. En fait,
tu vois ça, tu ne sais pas comment le cuisiner ? Ben des fois c'est
comme poubelle, c'est fait (entrevue 5, 4 juillet 2023).
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D'un autre côté, certaines familles immigrantes
ont déclaré connaître parfois les légumes
proposés, notamment les haricots, les lentilles ou les pois chiches,
mais qu'ils ne sont pas présentés dans la forme qu'ils
connaissent et ne savent donc pas comment les cuisiner.
Ensuite, le challenge, c'est que les ressources qu'on leur
met à disposition, comme des banques alimentaires et tout, bah, il n'y a
pas des aliments qui sont culturellement adaptés ou des aliments
qu'elles connaissent, mais qu'elles ne savent pas comment utiliser sous cette
forme-là ? T'sais en Afrique, on utilise des haricots, des lentilles,
des pois chiches, mais sous forme naturelle, donc ici on va leur donner dans
des boîtes en conserve et donc c'est comme mais je le mets à quel
moment dans la sauce je le fais comment, il est déjà cuit
(entrevue 4, 3 juillet 2023)
Une autre lacune soulevée dans l'offre alimentaire des
banques alimentaires est que leurs paniers sont généralement non
adaptés à la diversité des cuisines, aux besoins culturels
et aux restrictions religieuses. Ceci est dû à un manque de
ressources financières faisant que les banques alimentaires doivent
constamment trouver un équilibre précaire entre les besoins des
familles et la disponibilité des denrées. Des efforts ont
été déployés ces dernières années par
ces organismes afin de diversifier l'offre alimentaire et l'adapter aux besoins
culturels et religieux.
Il y a beaucoup de contraintes de ce
côté-là parce que les banques alimentaires dépendent
beaucoup des surplus des épiceries et ils n'ont pas toujours, les
organismes n'ont toujours les moyens d'acheter les aliments qui sont
parfaitement adaptés culturellement aux besoins des gens. Donc je ne
suis pas certaine qu'on trouve tant que ça des aliments halals comme du
poulet ou de la viande. Je ne suis pas certaine que les légumes sont
toujours culturellement connus et adaptés et reconnus par ces
gens-là donc. Moi j'ai donné un atelier récemment dans un
organisme communautaire qui a des paniers alimentaires et on m'indiquait par
exemple Bon, Ben voici les légumes qui sont souvent
délaissés ou les produits qui sont souvent
délaissés dans les paniers de denrées. Est-ce que c'est
possible d'en parler pour que les gens apprennent à les utiliser. Donc
on cherche plutôt à éduquer les gens à comment
utiliser les produits qui sont disponibles... qu'on n'arrive pas toujours
à adapter les paniers aux besoins culturels il y a un effort qui est
fait dans ce sens-là, il y a une volonté, il y a un
intérêt à le faire, mais des fois, c'est pas toujours
possible avec ce qui est disponible donc. Là, je sais que les organismes
sont vraiment comme sur un équilibre précaire entre les besoins
des familles et qu'est-ce qui est disponible (entrevue 2, 26 juin
2023).
Les nutritionnistes interviewés rapportent que ces
services d'aide alimentaire peuvent être inaccessibles aux immigrants
fraîchement arrivés et aux immigrants illégaux en
situation
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d'insécurité financière, étant
donné que la majorité des banques alimentaires exigent des
preuves de revenus ou d'adresse. Pour pallier ce défi, l'organisme
Médecins du Monde a développé à Montréal un
programme intitulé « Montréal sans peur » dans lequel
des cartes d'identification sont distribuées aux immigrants en situation
irrégulière afin de leur permettre d'accéder aux banques
alimentaires sans avoir à fournir une preuve de revenus ou d'adresse. On
devrait étendre ce type de programmes à l'ensemble des villes de
la province afin d'améliorer l'accessibilité de ces
catégories d'immigrants aux services de dépannage alimentaire.
Et ben y a plusieurs banques, ça s'améliore
de mieux en mieux maintenant, mais plusieurs banques que si tu n'as pas de de
preuve de revenus, une preuve d'adresse, ben tu peux pas avoir accès
à ça. Beaucoup de personnes issues de l'immigration quand ils
arrivent dans un pays habitent pas dans un appartement, ils habitent chez
quelqu'un, ami, connaissance de la famille donc Il n'y a pas de preuve
d'adresse mais ils n'ont pas de preuve de revenu surtout s'ils ont pas un
statut légalisé. Donc c'est sûr que ça devient plus
difficile dans cette situation-là. Maintenant, Médecins du monde
a développé un programme qui s'appelle `'Montréal sans
peur» juste comme ça où est ce que tu vas faire une carte et
tu peux mettre ton nom, le nom que tu veux soit ton prénom seulement
prénom et nom de famille, et tu peux mettre soit l'adresse soit juste
les trois premières lettres de ton code postal. Puis c'est une carte
d'identification qui te donne accès à ce genre de ressources, euh
comme des banques alimentaires (entrevue 4, 3 juillet 2023).
5.4. Défis liés à la promotion de
la saine alimentation auprès des communautés ethnoculturelles du
Québec
L'alimentation représente un déterminant
essentiel de la santé des populations. Elle a un impact
considérable sur les dépenses publiques directes et indirectes
liées à la santé au regard de son importante contribution
dans le fardeau des maladies chroniques. Au Québec, la promotion de la
saine alimentation représente depuis plusieurs décennies une
préoccupation majeure pour le gouvernement comme pourraient en
témoigner les nombreux rapports, politiques et plans d'action ayant
documentés la relation entre la santé et une saine alimentation,
notamment la Politique québécoise en matière de nutrition
de 1977, la Politique de la santé et du bien-être de 1992, le
Programme national de santé publique de 2003 et 2015 ou encore la
Politique de souveraineté alimentaire de 2013 (Vérificateur
général du Québec, 2015). En outre, le gouvernement Jean
Charest a créé
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en 2007 le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie
dont l'objectif est de financer des projets visant à promouvoir la saine
alimentation et l'activité physique en complémentarité
avec le Plan d'action gouvernemental en matière de saine alimentation et
de mode de vie actif (Vérificateur général du
Québec, 2015). En dépit de tous les efforts
déployés par le gouvernement du Québec pour promouvoir la
saine alimentation, un rapport du Vérificateur général du
Québec a montré que le gouvernement à travers son
Ministère de la santé et des services sociaux n'a pas
assumé le leadership requis pour la promotion d'une saine alimentation
au Québec (Vérificateur général du Québec,
2015). Selon ce rapport, la promotion de la saine alimentation au Québec
souffre de graves lacunes limitant l'atteinte des objectifs gouvernementaux.
D'autre part, en ce qui concerne les communautés
migrantes et ethnoculturelles, lors de notre analyse documentaire ainsi que des
entretiens semi-directifs que nous avons réalisés auprès
des nutritionnistes, nous n'avons trouvé aucun programme de promotion de
la saine alimentation d'envergure provinciale ciblant spécifiquement ces
communautés. Toutefois, les intervenants interviewés ont
timidement mentionné quelques programmes principalement à
Montréal qui ciblent la population en général incluant les
communautés migrantes. Ces programmes n'étant
généralement pas spécifiques aux communautés
ethnoculturelles sont peu adaptés à leurs réalités
et besoins. Les intervenants ont également mentionné le guide
alimentaire canadien comme principal outil de promotion de la saine
alimentation, mais aussi les recommandations de la santé publique
provenant des directions régionales de la santé publique et de
l'Institut national de santé publique du Québec. Les intervenants
ont mentionné plusieurs lacunes liées à ces programmes, au
guide alimentaire canadien et aux recommandations de santé publique en
lien avec la promotion de la saine alimentation auprès des
communautés ethnoculturelles.
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