2.2.3.2. Niveau de littératie alimentaire
Le concept de littératie alimentaire renvoie d'une part
à la capacité de trouver, d'évaluer et de comprendre les
informations alimentaires et nutritionnelles de base, et d'autre part à
la compétence d'appliquer ces informations (Krause & al., 2018). Ce
concept englobe les compétences dans la préparation des aliments
ainsi que celles permettant aux individus de faire des choix alimentaires sains
et de mieux comprendre les effets de ces choix alimentaires sur leur
santé, leur environnement et leur budget (Krause & al., 2018).
Très peu d'études ont évalué directement le niveau
de littératie alimentaire des populations migrantes
québécoises. Toutefois, l'étude de Sercia et al. (2018) a
montré que de nombreux immigrants se percevaient
généralement compétents en matière de cuisine et de
nutrition et rapportaient avoir pleinement confiance en leurs connaissances,
pratiques et compétences alimentaires prémigratoires. Ces
données déclaratives des immigrants relatives au niveau de
littératie alimentaire ne présentaient pas de différences
significatives selon le niveau d'instruction, le temps écoulé
depuis l'arrivée au Québec, le genre ou encore l'âge
(Sercia & al., 2018). Par ailleurs, une étude réalisée
en 2022
26
auprès des femmes immigrantes d'origine africaine
vivant dans le quartier Parc-Extension à Montréal suggère
que les immigrants récents, particulièrement ceux faisant face
à des défis linguistiques, peuvent présenter des niveaux
de littératie alimentaire assez faibles (Prud'homme & Doyon, 2023).
Ainsi, l'association positive entre un faible niveau de littératie
alimentaire et une consommation accrue d'aliments hautement transformés
d'une part et d'autre part une faible consommation de fruits et légumes
(Begley & al., 2019) explique mieux pourquoi les immigrants
confrontés à des barrières linguistiques présentent
généralement un risque accru de transition nutritionnelle et de
mauvaises pratiques alimentaires (Sanou & al., 2014; Stone, 2017).
2.2.4. Facteurs environnementaux
2.2.4.1. Rythme de vie trépidant de la
société canadienne
Immigrer dans un nouvel environnement social, culturel et
géographique implique généralement des bouleversements
majeurs dans les modes de vie (Girard & Sercia, 2014). À leur
arrivée au Canada, les nouveaux arrivants font habituellement face
à un rythme de vie effréné et très agité,
typique d'une société industrialisée (Lane &
Vatanparast, 2023). Ce rythme de vie trépidant engendre des contraintes
de temps pouvant avoir des répercussions importantes sur les habitudes
et pratiques alimentaires (Lane & Vatanparast, 2023; Sanou & al., 2014;
Girard & Sercia, 2014). En effet, ces contraintes de temps découlant
du rythme de vie rapide au Canada ont été identifiées
comme des obstacles au maintien des pratiques alimentaires traditionnelles
(Sanou & al., 2014). Elles augmentent le recours à des plats
cuisinés surgelés et à de la restauration rapide (Lane
& Vatanparast, 2023). L'étude de Lane et Vatanparast (2023) indique
que les familles immigrantes ont rapporté fréquenter de
façon régulière et ce, depuis l'arrivée au Canada,
les fast-foods et autres établissements de restauration rapide,
principalement en raison du manque de temps, conduisant ainsi à des
changements dans leurs pratiques alimentaires. L'accessibilité et la
disponibilité accrues de la restauration rapide au Canada
couplées aux contraintes de temps exposent significativement les
nouveaux arrivants à une grande disponibilité d'options
alimentaires malsaines (Lane & Vatanparast, 2023). Selon Lane et
Vatanparast (2023), les pratiques et habitudes alimentaires traditionnelles des
familles immigrantes changent à mesure que les responsabilités
liées à leur nouvelle vie au Canada augmentent. Ce qui a pour
effet de réduire le temps pouvant être consacré
27
à la préparation d'aliments sains et d'augmenter
le recours à des plats déjà cuisinés. En effet, le
manque de temps pour cuisiner ou pour faire les provisions impose donc de
nouvelles stratégies culinaires pouvant permettre de gagner du temps en
cuisine, par exemple en introduisant de nouveaux aliments plus faciles et
rapides à cuisiner ou de nouvelles techniques de cuisson plus rapides ou
encore ne nécessitant que très peu de présence au four
(Girard & Sercia, 2014).
2.2.4.2. Accessibilité et disponibilité
accrues des aliments à forte densité
énergétique
Les environnements alimentaires canadiens, comme ceux de
plusieurs sociétés industrialisées, favorisent un
accès accru aux produits alimentaires à forte densité
énergétique et hautement transformés (Lane &
Vatanparast, 2023; Polsky & al., 2020). Ils influencent en ce sens la
transition nutritionnelle en favorisant le développement d'une mauvaise
alimentation. Selon Polsky et al. (2020), le Canada est l'un des cinq pays
où les ventes par habitant d'aliments et boissons
ultra-transformés sont les plus importantes. Les aliments et boissons
hautement transformés renferment, de façon
générale, une quantité relativement importante de
nutriments, notamment les sucres libres, les gras saturés et le sodium,
et des faibles quantités en fibres et en micronutriments (Polsky &
al., 2020). Ils comprennent notamment, les boissons gazeuses et diverses autres
boissons sucrées, les collations riches en sucre et en sel, les pains
industriels, les plats cuisinés surgelés, les produits de viande,
les hamburgers et les hot dogs (Polsky & al., 2020). Ces aliments et
boissons ne faisant pas partie de saines habitudes alimentaires, Santé
Canada a formulé en 2019 des recommandations visant à
réduire leur consommation, étant donné leur association
avec le développement des maladies chroniques (Polsky & al., 2020).
La présence au Canada de nombreux supermarchés proposant un large
éventail de produits alimentaires hautement énergétiques
ainsi que l'exposition à des publicités
télévisées faisant la promotion de ces produits,
contribuent fortement aux transitions nutritionnelles chez les nouveaux
arrivants (Lane & Vatanparast, 2023 ; Blanchet & al., 2018).
2.2.4.3. Enjeux liés à
l'accessibilité et à la disponibilité des aliments
ethnoculturels
Les immigrants récents montrent
généralement un fort attachement aux pratiques alimentaires et
culinaires prémigratoires (Girard & Sercia, 2014). Cependant,
certains défis d'acculturation alimentaire, tels que ceux liés
à la disponibilité et à l'accessibilité
28
aux aliments familiers ou traditionnels, font qu'ils voient
progressivement ces pratiques alimentaires et culinaires se transformer
à mesure que le séjour au Québec se prolonge (Lane &
Vatanparast, 2023; Girard & Sercia, 2014). Les nombreux marchés,
restaurants, boulangeries et cafés ethniques (traditionnels)
présents dans tout le Québec témoignent de ce fort
désir des communautés ethnoculturelles de rendre disponible les
aliments ethniques, de recréer les cuisines traditionnelles et de
maintenir les pratiques alimentaires traditionnelles (Girard & Sercia,
2014). Cependant, malgré tous les efforts déployés par les
communautés migrantes pour améliorer la disponibilité et
l'accessibilité des aliments traditionnels, de nombreuses personnes
immigrantes font face à des difficultés importantes liées
à l'accès aux sources d'aliments traditionnels, notamment les
épiceries qui vendent des denrées alimentaires ethniques (Lane
& Vatanparast, 2023). Diverses études ont fait état de la
faible disponibilité et accessibilité des produits alimentaires
ethniques comme étant l'un des principaux enjeux de l'acculturation
alimentaire et déterminants de la transition nutritionnelle chez les
populations immigrantes récentes (Sanou & al., 2014; Lane &
Vatanparast, 2023; Stone, 2017 ; Blanchet & al., 2018). Stone (2017) dans
son enquête auprès des femmes immigrantes récentes a
montré que les contraintes relatives à l'accès aux
aliments ethniques frais et de bonne qualité représentaient un
facteur fréquent d'insécurité alimentaire, d'acculturation
alimentaire et d'amenuisement de l'effet de l'immigrant en bonne santé.
Les défis liés à l'accessibilité et à la
disponibilité des aliments ethniques semblent varier en fonction de la
localisation géographique. Girard et Sercia (2014) soutiennent que les
immigrants déclarent rencontrer très peu de difficultés
pour trouver des aliments et ingrédients dans les grandes villes comme
Montréal. Environ 60% des participants à l'étude
susmentionnée considèrent qu'il est assez facile de trouver ces
aliments et ingrédients dans les grandes épiceries
québécoises ainsi que celles spécialisées dans la
vente des produits ethniques importés (Girard & Sercia, 2014). Il
semblerait que dans les grandes villes comme Montréal, l'enjeu serait
davantage lié à l'accessibilité financière aux
aliments ethniques qu'à leur disponibilité (Girard & Sercia,
2014). Les contraintes financières rendraient ainsi peu accessibles ces
aliments ethniques importés (Girard & Sercia, 2014). Ce sont 39% des
participants à l'étude de Girard et Sercia (2014) qui ont
rapporté que les contraintes financières les empêchaient
souvent de se procurer les aliments traditionnels désirés. En
outre, Sanou et al. (2014) et Stone (2017) soutiennent qu'en dépit d'une
disponibilité acceptable des aliments traditionnels, l'enjeu du
transport (déplacement)
29
limite de façon significative leur
accessibilité, particulièrement chez les immigrants
âgés de plus de 59 ans.
2.2.4.4. Influence des enfants et de l'environnement
alimentaire scolaire
Étant des agents sociaux à part entière,
les enfants immigrants de première génération jouent un
rôle prépondérant dans l'acculturation des pratiques
alimentaires et culinaires au sein des familles immigrantes (Girard &
Sercia, 2014; Tichit, 2012). Les enfants exercent une influence
considérable dans le processus d'acculturation alimentaire des parents,
car ils font l'objet peu de temps après l'arrivée au
Québec d'une socialisation alimentaire importante. Ceci en raison d'un
contact accru avec l'environnement alimentaire et culturel de la
société d'accueil (Tichit, 2012; Girard & Sercia, 2014). Ce
contact accru des enfants avec les cuisines occidentales fera que sous leur
influence, les parents immigrants vont opérer des changements à
leurs habitudes et préférences alimentaires (Girard & Sercia,
2014). Lane et Vatanparast (2023) soutiennent que les enfants immigrants sont
les premiers au sein des familles à opérer des changements dans
leurs préférences alimentaires, étant donné qu'ils
sont plus sensibles à la pression des pairs. Ainsi, ils ont tendance
à guider leurs parents vers l'achat des produits alimentaires non
traditionnels qu'ils ont vu leurs amis consommer à l'école ou
à la garderie. La consommation de plus en plus régulière
par les parents immigrants de ces aliments hautement énergétiques
exigés par leurs enfants est susceptible de mener progressivement
à une transition nutritionnelle et sanitaire complète (Lane &
Vatanparast, 2023).
L'environnement alimentaire scolaire a été
identifié dans plusieurs études comme l'un des facteurs les plus
déterminants dans les transformations des pratiques et
préférences alimentaires des enfants immigrants de
première génération (Lane & Vatanparast, 2023). Il a
donc aussi un effet indirect sur les préférences alimentaires et
culinaires des parents et représente à cet effet un des
déterminants de la transition nutritionnelle au sein des familles.
L'école constitue pour les enfants immigrants l'environnement principal
d'initiation à la consommation d'aliments ultra-transformés. Ce
qui a généralement pour effet de se répercuter sur les
pratiques alimentaires familiales (Lane & Vatanparast, 2023). Des
données soutiennent que les environnements scolaires canadiens ont
tendance à normaliser la consommation de la malbouffe et constituent des
espaces où l'alimentation traditionnelle est souvent discriminée
(Lane & Vatanparast, 2023 ;
30
Blanchet & al., 2018). De nombreuses mères
immigrantes rapportent que les repas traditionnels que leurs enfants apportent
à l'école comme déjeuners retournent souvent sans avoir
été consommés, car les enfants déclarent
préférer les déjeuners occidentaux que leurs amis
apportent à l'école (Lane & Vatanparast, 2023). Divers autres
obstacles à la consommation des repas traditionnels à
l'école ont été rapportés par les enfants,
notamment la forte odeur épicée des aliments, les courtes
durées des déjeuners, l'absence de micro-ondes et le besoin des
enfants de s'intégrer et se fondre dans le décor (Lane &
vatanparast, 2023).
Les environnements alimentaires scolaires semblent jouer un
rôle majeur dans le développement d'habitudes alimentaires pouvant
perdurer toute la vie et de ce fait avoir des répercussions non
seulement sur la santé des enfants et des adultes qu'ils deviendront,
mais aussi et surtout sur les pratiques alimentaires de l'ensemble de la
famille (Lane & Vatanparast, 2023).
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CHAPITRE 3 : SYNDROMES CORONARIENS AIGUS :
DESCRIPTION, FACTEURS DE RISQUE ET FARDEAU ÉCONOMIQUE ET SANITAIRE AU
QUÉBEC
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