I.3.2. Augmentation du cheptel et réduction des
territoires d'élevage
Le territoire dédié à l'élevage
s'est fortement transformé au cours des dernières
décennies. Le cheptel a augmenté sans modification notable dans
le système d'élevage. Les parcours de transhumance se sont
considérablement rétrécis à l'Extrême-Nord et
s'étendent eux aussi vers la vallée de la Bénoué
où le nombre de bovins par habitant est déjà assez
élevé (Dugué et al., 1994). Depuis une trentaine
d'années, la densité en bovins détenus par les Peul s'est
accrue du fait du croît naturel mais aussi d'un flux migratoire
d'éleveurs Mbororo venant du Nigeria. De plus, la proximité de la
ville de Garoua où nombre de fonctionnaires et de notables locaux ont
capitalisé une part de leurs revenus dans l'élevage, y augmente
encore les densités animales et partant, les conflits avec les
agriculteurs. Ainsi, l'augmentation des effectifs des bovins et l'accroissement
des surfaces cultivées ont engendré la réduction des
territoires d'élevage.
L'élevage des ruminants (bovins principalement) en
pleine expansion, est pratiqué par différentes catégories
sociales : éleveurs Mbororo et Fulbé qui possèdent la
majorité du bétail bovin, agriculteurs producteurs de
céréales et de coton dont les troupeaux sont de petite taille et
de fonctionnaires et commerçants qui confient leurs troupeaux aux
éleveurs. Les effectifs du cheptel sont en augmentation alors que les
superficies pâturables ont fortement régressé. Elles sont
passées pour la Région du Nord de 7 millions d'hectares pour 160
000 têtes de bovins en 1974 à 3,5 millions d'hectares en 1996 pour
un effectif 8 fois plus important de bovins. Ce chiffre va crescendo tandis que
les surfaces continuent de diminuer. L'élevage pratiqué par les
éleveurs peuls semi-sédentaires ou transhumant est conduit de
façon extensive sans recourir à la culture fourragère, ni
à l'achat massif d'aliments du bétail ou à la mise en
défens des parcours les plus dégradés. Il s'appuie d'une
part sur le prélèvement par les troupeaux de ressources
fourragères « collectives », non appropriées par des
individus - vaine pâture après les récoltes, parcours
naturels exondés et de bas-fonds - et d'autre part, sur la
mobilité du bétail au cours de l'année. En zone de
surcharge en bétail, on peut considérer que ces systèmes
d'élevage se caractérisent par une exploitation minière
des ressources pastorales dont la dégradation peut être
exacerbée par les feux de
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brousse. La saturation de l'espace suite à l'extension
des cultures au détriment des pâturages, rend difficile la
coexistence de l'agriculture et de l'élevage sur ces territoires. La
concurrence et les conflits pour l'accès aux ressources agropastorales
se multiplient et l'avenir du pastoralisme est incertain (Dongmo et
al., 2009). Les éleveurs utilisent divers types de territoires
pour leurs activités : les territoires d'attache, les territoires
proches pour la petite transhumance et les territoires lointains pour la grande
transhumance (Kossoumna Liba'a, 2008).
La plupart des techniciens chargés d'élaborer et
de mettre en oeuvre les politiques foncières ont longtemps avancé
l'appropriation individuelle (et l'arrêt de la transhumance) comme
condition de développement du secteur d'élevage. L'état
actuel des travaux de la recherche fournit des éléments nouveaux
et la condamnation des utilisations communautaires des parcours. De même
des principes considérés comme les piliers du pastoralisme
(capacité de charge, dégradation...) sont remis en cause ou du
moins relativisés (Scoones, 1999 ; Onana, 1995). Une étude de
Boutrais (1978) notait déjà que « les éleveurs ne
possèdent pas leurs pâturages et n'ont jamais l'assurance de
pouvoir y rester longtemps. L'incertitude foncière entrave tout
investissement quelconque des éleveurs, aussi bien dans leur habitat que
dans leurs pâturages. Régler le problème foncier des
pâturages représente le préalable indispensable à
toute amélioration de l'élevage traditionnel... ».
Malgré de nombreux échanges entre les
communautés d'éleveurs et d'agriculteurs (travail,
matériel, produits, etc.), l'amélioration de productivité
et de la gestion des parcours bornés de petite surface et des grands
parcours n'a pu se faire. Ce manque de collaboration s'explique en partie par
le poids inégal qu'occupe l'élevage au sein des deux
communautés. Les agriculteurs cherchent d'abord à accroitre leur
surface cultivée sans par exemple envisager de valoriser
l'excédent de fumure animale produit par les animaux des éleveurs
lors des parcages sur l'espace de pâturage.
Par contre, les éleveurs veulent préserver un
vaste espace de parcours, capable au moins d'accueillir toute l'année
une partie du troupeau pour la production de lait. Les comités de
gestion mis en place par les projets de développement ou d'appui
à la gestion des territoires ruraux (DPGT, GESEP, APESS, PDOB...) pour
le maintien des
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parcours sécurisés n'apparaissent pas comme un
dispositif de gestion stable, performant et confirmé à moyen et
long terme. Ce qui montre que la situation pastorale ne peut pas
s'améliorer avec des règles subsidiaires créées par
des projets malgré leur engagement et leur efficacité en dehors
du cadre législatif. Vu la faiblesse des superficies de parcours
sécurisés en question et les difficultés techniques et
sociales pour en améliorer la productivité, la transhumance
apparait incontournable pour les éleveurs de cette région.
La durabilité basée sur le maintien de la
transhumance reste aujourd'hui fonction, d'une part du règlement de
l'insécurité des biens et des personnes et d'autre part, de la
capacité des éleveurs à s'organiser collectivement pour
revendiquer des espaces suffisants en y assurant la gestion des ressources
naturelles pastorales. Cette situation est exacerbée par
l'omniprésence des autorités traditionnelles dans la gestion des
territoires ruraux.
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