I.3.3. Omniprésence des autorités
traditionnelles
Au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une
prééminence du droit traditionnel sur la législation
foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de
pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont
coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin
saanou y sont omniprésents. Ainsi, même si la
législation foncière camerounaise existe depuis 1932, elle
n'empêche pas la prédominance du droit coutumier sur le droit
« moderne » en zone rurale18 : la terre appartient au
laamii'do qui en concède l'usage à ses sujets à
condition de payer l'impôt traditionnel sur les revenus des ruraux, la
zakkat19 et dans certains cas, ils prélèvent
des taxes sur le commerce des produits vivriers (céréales,
arachide) (Beauvillain, 1989).
18 La colonisation européenne va instaurer
une administration étatique au-dessus des lamidats pour la gestion de
l'ensemble du territoire tout en laissant le contrôle foncier aux
lamibé (Ndembou, 1998).
19 Aumône légale instituée par
le Coran. Normalement, la zakkat doit être
prélevée pour constituer un grenier public et distribuée
aux indigents en cas de nécessité. Elle a été
depuis longtemps détournée pour n'être plus qu'une
redevance versée au profit du laamii'do. Le paiement de la
zakkat est une forme d'allégeance au laamii'do
(Seignobos et Tourneux, 2002). Dans le lamidat de Tchéboa par
exemple, chaque chef d'exploitation doit, pour la culture du coton, payer entre
1 000 et 5 000 Fcfa suivant la superficie plantée et donner entre deux
à cinq tasses de céréales suivant l'importance de la
production à ce titre. Tout manquement entraîne bastonnade ou
réduction autoritaire de l'exploitation concédée (Ndembou,
1998).
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Les autorités coutumières restent dans toutes
les situations et aux trois degrés de chefferie une force politique,
sociale et décisionnelle à ne pas négliger, et continuent
à jouer un rôle fondamental dans l'organisation du territoire,
l'État les reconnaissant comme rouage de l'administration du territoire.
Ces acteurs gardent notamment un rôle important dans la gestion du
foncier (gestion coutumière), le règlement des conflits,
l'organisation des déplacements des troupeaux et de la vie
économique (taxation des productions agricoles et des ménages via
la zakkat). Dans les zones de peuplement
hétérogène les populations rurales cherchent à
s'émanciper, surtout lorsque le pouvoir coutumier entrave leurs
initiatives et les taxent trop fortement. La mise en place des actions du
programme et leur chance de réussite nécessitent d'associer les
autorités coutumières au plus haut niveau, dans le cadre d'un
dialogue constructif et en toute transparence.
En plus de la gestion du foncier rural, le laamii'do
et les chefs sous son autorité gèrent la circulation du
bétail sur le territoire du lamidat. En contrepartie, le
laamii'do doit apporter secours aux plus démunis et aux
populations touchées par des accidents climatiques ou des incendies.
Plus globalement, il doit faire régner la paix et la bonne entente entre
les différents groupes sociaux qui peuplent son lamidat. Cette
capacité à contrôler la totalité de son territoire
(les activités, l'accès aux ressources naturelles et les flux de
biens et de personnes) au besoin en mobilisant ses gardes (daugari),
constitue la principale force du laamii'do.
L'insécurité foncière tant pour les
agriculteurs que pour les éleveurs constitue une entrave majeure aux
politiques de développement et de protection de l'environnement au
Nord-Cameroun. La question foncière s'est donc imposée
d'elle-même dans cette région et a été
progressivement intégrée dans les projets de développement
qui ont essayé de la résoudre mais avec peu de succès.
Aujourd'hui, elle a été momentanément
délaissée parce qu'elle est complexe et que les projets n'ont pas
encore trouvé de solution simple pour la résoudre : les accords
locaux entre acteurs ont beaucoup de mal à se maintenir après
l'arrêt des projets (Raimond et al., 2010). C'est ainsi que
agriculteurs ou éleveurs n'ont aucune emprise définitive sur les
terres car elles sont gérées par les autorités
coutumières dites « autochtones » qui ravivent les mises
à
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distances des migrants. L'État est supposé
dominer le système foulbé et donner la mesure des choses en
même temps qu'il intervient dans la plaine pour permettre aux chefs de
famille de produire plus pour vivre mieux, ce qui dérange les potentats
locaux, peu favorables à la promotion des populations qu'ils
contrôlent. Ne pouvant désobéir à la
hiérarchie foulbé pour bénéficier du
développement promu par un État qui ne les protège pas,
ils vivent donc, au jour le jour, d'autant plus que le climat reste erratique
pour une agriculture non irriguée. Dans ce contexte, les larges zones
exclusives à la biodiversité subit les assauts permanents et
soutenus des agriculteurs et des éleveurs.
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