I.3.1. Migrations et augmentation des surfaces
agricoles
Les surfaces dédiées à l'agriculture sont
en constante augmentation à cause de l'accroissement de la population
rurale due au croît naturel et aux migrations. En effet, la croissance
démographique et l'ouverture du Nord-Cameroun aux marchés
régionaux et internationaux ont fortement modifié le
fonctionnement des sociétés rurales (Roupsard, 1987). Dès
les années 1950, le colonisateur se distingue par une volonté de
promouvoir la mise en valeur économique de la région par
l'introduction notamment des cultures de rente parmi lesquelles le coton et
l'arachide. C'est dans ce souci que la CFDT (Compagnie Française pour le
Développement des Textiles) va apparaître au Nord-Cameroun. Les
populations païennes des plaines et des rives du Logone vont ainsi
bénéficier de programmes de formation et de vulgarisation
agricoles, auxquelles
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vont venir s'adjoindre l'extension de la scolarisation et
l'évangélisation. Certains groupes qui se trouvaient nombreux sur
un espace pauvre et exigu vont également être
déplacés de gré ou de force. Pendant le premier plan
quinquennal (1960-1965), on s'est soucié dans la région
septentrionale, de rééquilibrer population et ressources par le
biais de petits projets (Ndembou, 1998).
Les performances cotonnières, compromises par les
sécheresses des années 1970, vont obliger cependant l'État
à déplacer le pôle géographique de la culture du
coton vers la vallée de la Bénoué où les
densités à ce moment-là étaient inférieures
à 20 habitants/km2. Entretemps, la CFDT devient une
société nationale (SODECOTON) avec le déplacement de la
Direction Générale de Kaélé (Extrême-Nord)
à Garoua dans le Nord. De plus, à partir des années 1980,
les terroirs de l'Extrême-Nord vont se dégrader et se saturer.
Dans les Monts Mandara par exemple, les densités atteignent 50 à
plus de 100 habitants/km2. C'est pour cela que, dans le souci de
corriger l'inégale répartition de la population dans le Nord et
l'Extrême-Nord par rapport aux ressources naturelles et faire mettre en
valeur les immenses réserves foncières, l'administration
camerounaise va favoriser et même provoquer les déplacements de
certains groupes ethniques (Toupouri, Massa, Guiziga, Guidar, Moundang, Mafa,
Mofou...) vers le bassin de la Bénoué.
L'Etat du Cameroun a toujours joué un rôle
important dans les déplacements des hommes et de leurs biens à
travers les instances publiques de gestion et d'aménagement du
territoire rural. C'est ainsi qu'une Mission d'Étude pour
l'Aménagement de la Vallée Supérieure de la
Bénoué (MEAVSB) va être créée en 1974 pour
organiser et encadrer les migrations à travers les projets Nord-Est
Bénoué (NEB16) et Sud-Est Bénoué (SEB)
qui vont déplacer plus de 100 000 personnes entre 1974 et 1986
(Koulandi, 1986).
16 Le NEB a fait reposer toute son action sur la
mise en place d'une infrastructure avec comme élément clé
le pont sur le Mayo Kebbi qui, en 1975, ouvrait les espaces des lamidats de
Bé et de Bibémi, et sur le déplacement des populations de
l'Extrême-Nord. Dès le début, le suivi des migrants n'a pas
été sérieusement pris en compte. Par la suite et
jusqu'à la fin du NEB en 1993, le projet a déchiffré et
identifié entre 90 000 et 130 000 migrants (Seignobos, 2002).
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Le flux migratoire, une fois amorcé, induit ensuite son
propre flux. Les premiers arrivés donnent l'information à ceux
restés au pays, fournissent les moyens de déplacement et
d'hébergement à l'arrivée. C'est ainsi que de 1986
à nos jours, au flux organisé des migrants a ensuite suivi un
flux spontané, de plus en plus important, faisant toujours courir le
risque pour les zones d'accueil d'une « crise migratoire » car des
seuils d'acceptabilité n'ont jamais été définis, ni
par les encadrements de projets, ni par les administrations concernées
(Seignobos, 2002). Ces migrations sont favorisées par l'État, la
SODECOTON et certaines ONG comme le Comité Diocésain de
Développement (CDD) qui réfectionnent une ancienne piste des
troupeaux ou une route temporaire17, ouvre une
pénétrante à partir d'un axe principal, jusqu'à un
site éventuel d'installation des populations, crée un point
d'eau, une école ou un centre de santé... Ainsi, depuis 1976, le
bassin de la Bénoué connaît une augmentation
régulière du nombre de migrants « spontanés ».
La population a presque doublé entre 1976 et 1987 grâce à
un taux de croissance annuelle d'environ 3,5% et un taux d'immigration de 2,8%
(Bonifica, 1992). Dans certains villages, la proportion des migrants avoisine
70% de la population totale (Boutinot, 1995). Le croît
démographique annuel en milieu rural entre 1980 et 2000 est ainsi
estimé pour la région du Nord à 6% dont 3% environ de
croît naturel et l'équivalent lié aux flux migratoires.
Aujourd'hui, la densité de population rurale du
Nord-Cameroun dépasse 50 habitants/km2 avec certaines zones
à plus de 100 habitants/km2 (Dongmo, 2009). Ces
évolutions ont entraîné une forte concurrence entre ces
différents acteurs (notamment agriculteurs et éleveurs) pour
l'accès aux ressources naturelles. La culture continue sans pratique de
la jachère s'est généralisée. Ce qui engendre une
forte dégradation des terres agricoles et des parcours (baisse de
fertilité du sol, prolifération d'adventices et de plantes non
appétées par le bétail).
17 Par exemple la route
Ngong-Tchéboa-Touroua. Avant 1985, cette route n'était praticable
qu'en saison sèche (entre octobre et juin). La SODECOTON
(Société d'État) entreprend sa réfection pour la
rendre permanente à partir de cette date.
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