V.3. Proposition d'une démarche d'appui à la
gestion concertée des
territoires de mobilités pastorales
Les problèmes décisionnels à
référence spatiale réfèrent à tout
problème dont l'espace géographique constitue un
élément prépondérant en tant que milieu de vie,
d'activité et d'intervention humaine, en tant que support
d'évaluation de toute décision, mais aussi en tant que lieu
d'implémentation de cette décision. Ces problèmes spatiaux
sont (i) de natures multidimensionnelle, interdisciplinaire et
semi-structuré, (ii) impliquant plusieurs personnes et institutions,
ayant généralement des préférences et des objectifs
conflictuels, (iii) nécessitant la définition de plusieurs
critères contradictoires et dont l'importance n'est pas la même,
et (iv) demandent une quantité considérable des données
quantitatives et qualitatives (Pusceddu et Chakhar, 2010). Tous ces
éléments confèrent aux problèmes spatiaux une
nature multicritère et semi-structurée requérant, selon
Epstein (1989), l'usage d'analyse et de modèles. Ces
spécificités des problèmes spatiaux fait que le
modèle classique du processus de décision linéaire de
Simon (1960) et les différentes extensions qui y sont apportées
sont insuffisants pour faire face à cette complexité
décisionnelle.
Plusieurs modèles sont disponibles dans la
littérature : Vance (1960), Simon (1960), Mintzberg et al.,
(1976), Mintzberg (1991), etc. La plupart de ces modèles assument
l'existence de trois phases : intelligence, conception et choix. Cependant, le
modèle le plus diffusé est vraisemblablement celui de Simon
(1960). Comme mentionné plus haut, ces modèles ne sont pas
adaptés aux problèmes de décision à
référence spatiale.
Dans le cadre de notre travail, nous adopterons et
étendrons le modèle de Simon au contexte spatial. Le processus de
décision à référence spatiale proposé
conserve la

- Identifier et formuler les problèmes avec tous les
acteurs concernés
- Mettre en évidence les enjeux à prendre en
compte autour des territoires
- Clarifier les objectifs à atteindre pour chaque type
d'acteur et pour la communauté
1. Phase d'identification et de formulation
phase d'intelligence mais il la complète par une phase
de formulation, subdivise la phase de conception en cinq étapes :
analyse, négociation et concertation, choix et mise en oeuvre (Figure
21).
4. La phase de concertation -
Agréger les différents points de vue en tenant compte des
arguments avancées et de leur pertinence
- Faire émergence de solutions supportées par les
différents intervenants
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Démarche d'appui à la
gestion concertée des territoires de mobilité
pastorale
5. La phase de choix - Investigation
profonde des différentes variantes proposées par chaque partie -
Sélection des alternatives jugées comme les plus
appropriées
2. Phase d'analyse - Identification des
atouts socioculturels locaux
- Définition des alternatives potentielles aux
problèmes posés
- Clarification des critères d'évaluation des
actions à envisagées
6. La phase de mise en oeuvre
- Choix méthodologiques
- Sensibilisation et information
- Sélection des unités spatiales (villages,
communes, intercommunalités)
- Recrutement et formation des
animateurs
- Démarrage du processus
3. Phase de négociation
- Permettre à chaque acteurs intervenant dans le processus
décisionnel de promouvoir et défendre ses idées au
détriment des autres
- Faire émergence au fil des négociations et avec
la pression du temps la nécessité de collaborer plutôt de
que de se confronter
180
Figure 21. Démarche d'appui à la
gestion concertée des territoires de mobilités pastorales
Le but de la phase d'identification et formulation est
d'identifier, puis formuler le problème en termes d'enjeux à
prendre en compte et des objectifs à atteindre. La phase d'analyse
focalise sur la définition des alternatives potentielles et des
critères d'évaluation. Durant la phase de négociation,
chaque intervenant (individu ou groupe) dans le processus décisionnel
essaie de promouvoir et défendre ses idées (en terme d'objectifs,
préférences, critères d'évaluation et des
alternatives potentielles) au détriment des autres intervenants. Avec
l'avancement dans le processus décisionnel et la pression du temps, les
différents intervenants sentent la nécessité de
collaborer plutôt que de se confronter. Une phase de
concertation commence alors. Son objectif est d'agréger les
différents points de vue afin de faire surgir les solutions supporter
par les différents intervenants. La phase du choix nécessite une
investigation profonde des
181
différentes variantes afin de sélectionner une
(ou éventuellement plusieurs) alternative(s) jugée(s) comme la
(les) plus appropriée(s).
Bien évidemment, le processus proposé est
itératif et non nécessairement séquentiel. Il est
fondé selon Pusceddu et Chakhar (2010) sur une démarche
participative dans laquelle on met à contribution la compétence
et l'expérience de chaque intervenant dans le processus
décisionnel. Il incarne ce que Chassande (2002) désigne par la
« rationalité procédurale », dans laquelle une action
est jugée comme rationnelle parce qu'elle aura été choisie
au terme d'une procédure jugée appropriée, par opposition
à la « rationalité positive » de Simon (1960). Sa
première nouveauté revient au fait qu'il fait de la formulation
du problème une partie intégrante du processus
décisionnel. Sa deuxième nouveauté découle du fait
qu'il couple deux concepts importants, celles de négociation et de
concertation, qui sont assez souvent traités séparément.
En effet, la négociation est valable dans un contexte conflictuel,
caractérisé par l'affrontement et l'antagonisme. Mais en
pratique, cette étape de négociation est souvent suivie par une
phase complémentaire de concertation cherchant à converger des
points de vue divergents, voire contradictoires.
Remarquons enfin que la frontière entre la phase de
négociation et celle de concertation n'est pas définie de
manière exacte. En fait, il se peut que les deux phases se chevauchent
mais au fur et à mesure de progression dans le processus de
décision, il y aura de moins en moins de négociation et de plus
en plus de concertation.
Ainsi, la gestion durable des ressources agricoles et
pastorales demande de profondes modifications des pratiques. Ces
évolutions auront un coût à la fois pour l'État et
les acteurs40. Pour investir, tant en capital qu'en travail, ces
acteurs devront être d'abord persuadés de la pertinence et de
l'intérêt des changements, compte tenu de leurs objectifs et des
situations qu'ils vivent. Ils auront aussi besoin de garanties.
40 Les acteurs ruraux sont l'ensemble des personnes
ou groupes ayant des intérêts à faire valoir sur la terre
rurale : il s'agit tant d'acteurs privés (exploitants agricoles
familiaux, éleveurs transhumants, agro businessmen ou nouveaux
acteurs...) que d'acteurs publics (État, administration territoriale,
services techniques, collectivités territoriales, entreprises
publiques...).
182
À partir de ce constat, deux grands types d'actions
sont à mener : la sécurisation foncière41 et
l'élaboration de plans de mise en valeur (d'aménagement et de
gestion) des terres et des ressources naturelles. Le lien entre actions de
sécurisation, d'une part, et investissements et production durable,
d'autre part, doit être clairement affirmé pour éviter
toute dérive d'appropriation ou de constitution de rente
foncière.
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