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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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V.2.4. Acquis des principaux projets passés

V.2.4.1. Pour une meilleure gestion des espaces et des ressources pastorales

Au cours des deux dernières décennies, l'Etat a mis en oeuvre plusieurs projets de développement d'appui à l'élevage afin de rechercher de nouvelles modalités de gestion des ressources communes (pâturages et points d'eau) en règlementant les accès. Les objectifs étaient d'assurer la durabilité des investissements et d'améliorer les performances et la durabilité de tous les systèmes d'élevage.

Le projet Développement Paysannal et Gestion de Terroir (DPGT) mis en oeuvre par la SODECOTON entre 1994 et 2002, comprenait 4 volets (animation et appuis aux OP ; zootechnie ; fertilité des sols ; gestion du terroir, des ressources naturelles, de l'eau et du bois). Il est le premier à conduire une opération de délimitation des aires pastorales et des couloirs à bétail dans le Nord Cameroun. Le volet « gestion de terroirs » a mis au point une démarche afin de résoudre les problèmes d'abreuvement des animaux en saison sèche ainsi que les conflits persistants entre agriculteurs et éleveurs. Les délimitations des hurum (zone de parcours) par l'administration sont anciennes mais ont rarement été respectées faute d'une réelle concertation avec les différents acteurs. Le DPGT a initié à partir de 1996 une méthode plus participative, débouchant sur le repérage et le bornage des limites des parcours. Ce projet, qui a mis en oeuvre une approche recherche-développement, a obtenu beaucoup de résultats qui ont permis d'identifier de nouveaux projets (ESA, GESEP et PRCPB).

Le projet Eau Sol Arbre (ESA) : ce projet qui a pris la suite du DPGT à partir de 2002 a poursuivi le travail de sécurisation des parcours avec l'appui de TERDEL-GIE38. Il a par ailleurs vulgarisé entre autres, (i) des plantes de couverture à travers les SCV dont certaines ont été adoptées par les producteurs comme cultures fourragères et (ii) la construction des biefs et des puits qui ont contribué à améliorer l'alimentation et l'abreuvement des animaux.

L'environnement SODECOTON, maître d'oeuvre des projets DPGT et ESA, a donné à ces deux projets des conditions favorables à la réalisation de leurs activités,

38 Territoire et Développement Local - Groupement d'Intérêt Économique.

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notamment en termes de moyens logistiques, matériels et financiers, et de relations fortes avec le milieu rural et les paysans grâce à l'organisation de la filière coton. Mais ces projets ont surtout appuyé les producteurs de coton et de moins en moins les éleveurs.

Le Projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux) et le Projet de Développement du Bassin de la Bénoué (PDBB) ont valorisé également les résultats du DPGT en matière de sécurisation des parcours avec l'appui de l'APESS et de TERDEL-GIE. Le projet GESEP est allé plus loin en faisant reconnaître par l'administration (par arrêté préfectoral) l'existence des zones de parcours délimitées après accord de toutes les parties prenantes. La reconnaissance officielle des parcours délimités et surtout la constitution de GIC d'éleveurs dont l'objectif est la gestion des zones sécurisées, ont permis de garantir la pérennité de ces actions dans plusieurs situations. Ainsi, dans le Mayo Louti, cette pérennisation a été atteinte car le projet a pu y développer une intervention complète : formation des agro-éleveurs, facilitation des négociations, cartographie, signature de la charte par les usagers, les services techniques et les autorités administratives et traditionnelles, appui à la structuration des GIC des usagers des zones sécurisés (et mise en place d'une union départementale) ; viabilisation de certains parcours (bornage, biefs, mares)... Ailleurs, les résultats de cette action sont moins visibles sur le terrain. Ce projet très ambitieux au départ par rapport aux moyens financiers et humains dégagés n'a cependant pas pu atteindre tous ces objectifs quantitatifs du fait de sa courte durée (3 ans).

Le projet de Réhabilitation et de création de points d'eau pour le bétail (PRCPB) a développé des méthodologies d'intervention comparables à celles initiées par le DPGT : réponse à une demande formulée par les éleveurs et agro-éleveurs, participation financière des populations concernées, consensus entre les différents acteurs sur la localisation du point d'eau, organisation des bénéficiaires en GIC pour gérer les infrastructures (mares, puits, motopompes, etc.). On note que bon nombre de points d'eau n'ont pas été efficacement gérés après la fin du projet du fait d'un manque de concertation initiale entre bénéficiaires potentiels et sur les responsabilités et engagements de chaque type d'acteurs.

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V.2.4.2. Vers une intensification des systèmes d'élevage de ruminants.

L'association internationale APESS (Association pour la Promotion de l'Elevage au Sahel et en Savane) a promu une évolution de l'élevage traditionnel et une meilleure intégration économique, sociale et politique des éleveurs. Elle encourage, à travers des actions de formation, de sensibilisation et d'échanges entre éleveurs de différentes régions et pays, l'évolution des pratiques, allant dans le sens de la diversification des activités agropastorales, et de l'intensification raisonnée de l'élevage. Cette mutation des pratiques ne peut s'opérer, selon l'APESS, que dans le cadre d'une sédentarisation progressive des éleveurs afin, notamment, de sécuriser l'approvisionnement de l'alimentation du bétail en saison sèche par la culture et le stockage du foin. Cette intensification devrait permettre aux éleveurs de tirer des revenus décents de la production de lait et de viande et de contribuer ainsi au développement des filières alimentaires nationales. Par ses actions de sensibilisation (sur la question de la scolarisation notamment), APESS entend également favoriser une meilleure intégration des éleveurs quelle que soit leur origine sur le plan politique afin que les intérêts de ceux-ci soient pris en compte dans les stratégies de développement locales, nationales et internationales.

V.2.5. Conflits d'intérêts entre les utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation

Les territoires pastoraux délimités sont soumis à de fortes contraintes liées à des conflits d'intérêts entre les différents utilisateurs (éleveurs et agriculteurs) et à des conflits de pouvoirs entre les différentes instances de médiation et de régulations (institutions étatiques et autorités traditionnelles) (Figure 20).

Ressources

Institutions de
l'État
(Règles, Lois)

Territoire
des éleveurs

Population

Instance de gestion
(Conventions locales, règles,
participation population)

Territoire
pastoral délimité

Conflit d'intérêt

Ressources

Conflit de pouvoir

Population

Territoire

Des agriculteurs

Ressources

Autorités
traditionnelles
(Coutumes)

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Figure 20. Relations entre les différents acteurs autour du territoire pastoral

Malgré quelques effets positifs les premières années de la mise en place de ces conventions39, ces opérations de sécurisation des parcours n'ont pas donné les résultats escomptés. Les comités de gestion et d'entretien des pistes à bétail et des zones de pâturage mis en place éprouvent encore d'énormes difficultés pour contrôler régulièrement le respect des limites à chaque début de campagne agricole et faire adhérer tous les riverains au respect des espaces bornés. En principe, la délimitation précise des espaces de pâturage avec des bornes numérotées et peintes en vert devrait en faciliter la gestion, mais ces espaces sont violés en plusieurs points par les agriculteurs. L'article 5 de la convention précise pourtant clairement que « toute personne qui tente d'ouvrir un bloc de culture dans le hurum sera traduite devant le comité chargé de la gestion et encourt des sanctions prévues dans l'article 14 de la convention ». Et en fonction de la gravité des faits reprochés au contrevenant, le

39 Il s'agit de l'économie des préjudices particulièrement les dommages subis (broutage et piétinement des récoltes, abattage d'animaux, dommages corporels...) ainsi que les coûts connexes de la gestion de ces conflits résultant de leur traitement devant les instances administratives ou coutumières (frais de déplacement, amendes, frais de corruption).

175

comité pourra saisir les autorités compétentes. De même, la location et l'octroi des parcelles pour les cultures à des tierces personnes dans l'espace de pâturage sont interdits.

Il existe également une ambiguïté dans le comportement des autorités traditionnelles. Malgré son accord de principe pour le bornage des zones de pâturage, tous les agriculteurs qui cultivent dans l'espace délimité affirment que c'est le laamii'do qui leur a donné l'autorisation de continuer à y cultiver. Ce qui remet en cause évidemment les clauses de la convention signée et place les éleveurs dans une position de faiblesse. Cette situation semble entretenue expressément par les autorités traditionnelles pour continuer à bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur versent les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de propriété ou d'usufruit permanent.

Par ailleurs, si ces droits ne sont pas clairement reconnus par les textes légaux, ou si les représentants de l'État ont tendance à les ignorer, les arrangements promus par le projet DPGT deviennent très précaires et vulnérables. Les autorités administratives qui se sont succédé à la tête des unités administratives n'ont pas en effet la même attitude vis-à-vis des conventions écrites mises en place avec l'appui de ce projet. Les responsables des services techniques, notamment forestiers ou les autorités administratives, hésitent à infliger des sanctions en se référant aux conventions locales en argumentant que celles-ci ne sont pas en conformité avec les textes en vigueur.

Pourtant, certaines dispositions du Code pénal permettent de réprimer des personnes qui contreviennent aux lois relatives aux litiges agropastoraux. En effet, selon les lois camerounaises, les conventions librement convenues et formalisées par les parties en présence ont valeur de loi pour ceux qui les ont conclues. Les membres d'une même communauté ou d'un même secteur d'activité peuvent déléguer un représentant (mandataire) qui pourra signer la charte en leur nom ; mais il faut qu'il se munisse d'une procuration qui mentionne au nom de qui il agit. De la sorte, deux personnes seulement peuvent bien conclure une convention mais au nom d'un groupe d'éleveurs et d'agriculteurs bien nommés ou cités.

176

Lorsqu'un responsable coutumier signe une convention, il doit le faire comme partie prenante à telle enseigne que les dispositions lui soient également applicables ainsi qu'au groupe social qu'il représente. Il ne saurait le faire en d'autre qualité que celle de membre de la commission consultative. La pratique consistant à formaliser au préalable, ou plutôt après coup, de telles conventions par une autorité administrative n'a pour seul effet que de leur donner une certaine date, mais leur valeur juridique découle de l'arrêté pris par le préfet en vue d'organiser l'espace rural comme convenu dans ladite convention.

Les conventions sont donc les lois entre parties prenantes issues d'une négociation et acceptées par tous, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte aux lois et règlement en vigueur. Cela sous-entend que lorsqu'elles sont négociées dans le cadre strict de la gestion du domaine national et dans le but de prévenir tout litige dans l'espace rural envisagé, on présume qu'elles ont respecté les textes en vigueur. D'ailleurs l'autorité administrative, avant de prendre son arrêté, s'assure de cette conformité avec les textes législatifs de base. Les textes ont toujours précisé les domaines de compétence de chaque structure. Ainsi, les commissions consultatives sont compétentes pour régler les litiges relatifs aux oppositions à l'immatriculation des terrains des dépendances du domaine national, ainsi que pour régler toute revendication ou contestation d'un droit de propriété sur les terrains non immatriculés, introduites par les collectivités ou les individus devant les tribunaux. Par contre, tous les autres litiges fonciers (à l'exclusion de ceux relatifs aux conflits frontaliers) sont de la compétence des juridictions judiciaires. De même il ne saurait être admis que dans une convention, les membres du comité de gestion déclarent qu'ils sont compétents pour sanctionner.

Par contre, les sanctions qui devraient figurer dans les conventions sont celles relatives au non-respect par les parties des engagements qui y figurent. Si par exemple les parties conviennent de ne pas effectuer de cultures dans l'espace faisant l'objet de délimitation, les parties peuvent prévoir qu'en cas de violation, le champ du contrevenant sera acquis au groupe en guise de réparation. La sanction doit être suffisamment coercitive, mais prise avec un large consensus. Les lois précisent qu'il faut éviter d'insérer dans les chartes ou conventions des sanctions qui portent atteinte

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aux biens ou aux personnes, comme détruire les semences, tuer les boeufs qui dévastent les champs ou encore exercer des actes violents sur les contrevenants.

Au regard des superficies sur lesquelles les Mbororo sont sédentarisés et le nombre d'animaux dont ils ont la charge, la mobilité apparaît comme le moyen le plus efficace pour tirer avantage au mieux de la grande variabilité temporelle et spatiale des ressources pastorales. Au lieu de confirmer les hypothèses des techniciens et décideurs selon lesquels les nomades avec leurs animaux ne peuvent faire autrement que de se sédentariser sur des espaces de pâturage bornés, les Mbororo ont mis en place un système d'élevage original différent. Ils tentent d'adapter leur mobilité à au nouveau contexte en exploitant de nouvelles opportunités (Kossoumna Liba'a, 2008). Les Mbororo développent en effet de nouvelles formes de mobilité basées sur des circuits plus courts avec un nombre d'animaux moins important. Ce qui les oblige à scinder le grand troupeau en sous-unités qu'ils confient à plusieurs bergers salariés afin de maximiser l'accès aux divers espaces de pâturage morcelés. Le coût de la garde du troupeau avec plusieurs bergers est compensé par l'apport monétaire des propriétaires de bétail citadins.

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