V.2.4. Acquis des principaux projets passés
V.2.4.1. Pour une meilleure gestion des espaces et des
ressources pastorales
Au cours des deux dernières décennies, l'Etat a
mis en oeuvre plusieurs projets de développement d'appui à
l'élevage afin de rechercher de nouvelles modalités de gestion
des ressources communes (pâturages et points d'eau) en
règlementant les accès. Les objectifs étaient d'assurer la
durabilité des investissements et d'améliorer les performances et
la durabilité de tous les systèmes d'élevage.
Le projet Développement Paysannal et Gestion de Terroir
(DPGT) mis en oeuvre par la SODECOTON entre 1994 et 2002, comprenait 4 volets
(animation et appuis aux OP ; zootechnie ; fertilité des sols ; gestion
du terroir, des ressources naturelles, de l'eau et du bois). Il est le premier
à conduire une opération de délimitation des aires
pastorales et des couloirs à bétail dans le Nord Cameroun. Le
volet « gestion de terroirs » a mis au point une démarche afin
de résoudre les problèmes d'abreuvement des animaux en saison
sèche ainsi que les conflits persistants entre agriculteurs et
éleveurs. Les délimitations des hurum (zone de parcours)
par l'administration sont anciennes mais ont rarement été
respectées faute d'une réelle concertation avec les
différents acteurs. Le DPGT a initié à partir de 1996 une
méthode plus participative, débouchant sur le repérage et
le bornage des limites des parcours. Ce projet, qui a mis en oeuvre une
approche recherche-développement, a obtenu beaucoup de résultats
qui ont permis d'identifier de nouveaux projets (ESA, GESEP et PRCPB).
Le projet Eau Sol Arbre (ESA) : ce projet qui a pris la suite
du DPGT à partir de 2002 a poursuivi le travail de sécurisation
des parcours avec l'appui de TERDEL-GIE38. Il a par ailleurs
vulgarisé entre autres, (i) des plantes de couverture à travers
les SCV dont certaines ont été adoptées par les
producteurs comme cultures fourragères et (ii) la construction des biefs
et des puits qui ont contribué à améliorer l'alimentation
et l'abreuvement des animaux.
L'environnement SODECOTON, maître d'oeuvre des projets
DPGT et ESA, a donné à ces deux projets des conditions favorables
à la réalisation de leurs activités,
38 Territoire et Développement Local -
Groupement d'Intérêt Économique.
172
notamment en termes de moyens logistiques, matériels et
financiers, et de relations fortes avec le milieu rural et les paysans
grâce à l'organisation de la filière coton. Mais ces
projets ont surtout appuyé les producteurs de coton et de moins en moins
les éleveurs.
Le Projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces
Pastoraux) et le Projet de Développement du Bassin de la
Bénoué (PDBB) ont valorisé également les
résultats du DPGT en matière de sécurisation des parcours
avec l'appui de l'APESS et de TERDEL-GIE. Le projet GESEP est allé plus
loin en faisant reconnaître par l'administration (par arrêté
préfectoral) l'existence des zones de parcours délimitées
après accord de toutes les parties prenantes. La reconnaissance
officielle des parcours délimités et surtout la constitution de
GIC d'éleveurs dont l'objectif est la gestion des zones
sécurisées, ont permis de garantir la pérennité de
ces actions dans plusieurs situations. Ainsi, dans le Mayo Louti, cette
pérennisation a été atteinte car le projet a pu y
développer une intervention complète : formation des
agro-éleveurs, facilitation des négociations, cartographie,
signature de la charte par les usagers, les services techniques et les
autorités administratives et traditionnelles, appui à la
structuration des GIC des usagers des zones sécurisés (et mise en
place d'une union départementale) ; viabilisation de certains parcours
(bornage, biefs, mares)... Ailleurs, les résultats de cette action sont
moins visibles sur le terrain. Ce projet très ambitieux au départ
par rapport aux moyens financiers et humains dégagés n'a
cependant pas pu atteindre tous ces objectifs quantitatifs du fait de sa courte
durée (3 ans).
Le projet de Réhabilitation et de création de
points d'eau pour le bétail (PRCPB) a développé des
méthodologies d'intervention comparables à celles initiées
par le DPGT : réponse à une demande formulée par les
éleveurs et agro-éleveurs, participation financière des
populations concernées, consensus entre les différents acteurs
sur la localisation du point d'eau, organisation des
bénéficiaires en GIC pour gérer les infrastructures
(mares, puits, motopompes, etc.). On note que bon nombre de points d'eau n'ont
pas été efficacement gérés après la fin du
projet du fait d'un manque de concertation initiale entre
bénéficiaires potentiels et sur les responsabilités et
engagements de chaque type d'acteurs.
173
V.2.4.2. Vers une intensification des systèmes
d'élevage de ruminants.
L'association internationale APESS (Association pour la
Promotion de l'Elevage au Sahel et en Savane) a promu une évolution de
l'élevage traditionnel et une meilleure intégration
économique, sociale et politique des éleveurs. Elle encourage,
à travers des actions de formation, de sensibilisation et
d'échanges entre éleveurs de différentes régions et
pays, l'évolution des pratiques, allant dans le sens de la
diversification des activités agropastorales, et de l'intensification
raisonnée de l'élevage. Cette mutation des pratiques ne peut
s'opérer, selon l'APESS, que dans le cadre d'une sédentarisation
progressive des éleveurs afin, notamment, de sécuriser
l'approvisionnement de l'alimentation du bétail en saison sèche
par la culture et le stockage du foin. Cette intensification devrait permettre
aux éleveurs de tirer des revenus décents de la production de
lait et de viande et de contribuer ainsi au développement des
filières alimentaires nationales. Par ses actions de sensibilisation
(sur la question de la scolarisation notamment), APESS entend également
favoriser une meilleure intégration des éleveurs quelle que soit
leur origine sur le plan politique afin que les intérêts de
ceux-ci soient pris en compte dans les stratégies de
développement locales, nationales et internationales.
V.2.5. Conflits d'intérêts entre les
utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et
de régulation
Les territoires pastoraux délimités sont soumis
à de fortes contraintes liées à des conflits
d'intérêts entre les différents utilisateurs
(éleveurs et agriculteurs) et à des conflits de pouvoirs entre
les différentes instances de médiation et de régulations
(institutions étatiques et autorités traditionnelles) (Figure
20).
Ressources
Institutions de l'État (Règles, Lois)
Territoire des éleveurs
Population
Instance de gestion (Conventions locales,
règles, participation population)
Territoire pastoral
délimité
Conflit d'intérêt
Ressources
Conflit de pouvoir
Population
Territoire
Des agriculteurs
Ressources
Autorités traditionnelles (Coutumes)
174
Figure 20. Relations entre les différents
acteurs autour du territoire pastoral
Malgré quelques effets positifs les premières
années de la mise en place de ces conventions39, ces
opérations de sécurisation des parcours n'ont pas donné
les résultats escomptés. Les comités de gestion et
d'entretien des pistes à bétail et des zones de pâturage
mis en place éprouvent encore d'énormes difficultés pour
contrôler régulièrement le respect des limites à
chaque début de campagne agricole et faire adhérer tous les
riverains au respect des espaces bornés. En principe, la
délimitation précise des espaces de pâturage avec des
bornes numérotées et peintes en vert devrait en faciliter la
gestion, mais ces espaces sont violés en plusieurs points par les
agriculteurs. L'article 5 de la convention précise pourtant clairement
que « toute personne qui tente d'ouvrir un bloc de culture dans le
hurum sera traduite devant le comité chargé de la gestion et
encourt des sanctions prévues dans l'article 14 de la convention
». Et en fonction de la gravité des faits reprochés au
contrevenant, le
39 Il s'agit de l'économie des
préjudices particulièrement les dommages subis (broutage et
piétinement des récoltes, abattage d'animaux, dommages
corporels...) ainsi que les coûts connexes de la gestion de ces conflits
résultant de leur traitement devant les instances administratives ou
coutumières (frais de déplacement, amendes, frais de
corruption).
175
comité pourra saisir les autorités
compétentes. De même, la location et l'octroi des parcelles pour
les cultures à des tierces personnes dans l'espace de pâturage
sont interdits.
Il existe également une ambiguïté dans le
comportement des autorités traditionnelles. Malgré son accord de
principe pour le bornage des zones de pâturage, tous les agriculteurs qui
cultivent dans l'espace délimité affirment que c'est le
laamii'do qui leur a donné l'autorisation de continuer à
y cultiver. Ce qui remet en cause évidemment les clauses de la
convention signée et place les éleveurs dans une position de
faiblesse. Cette situation semble entretenue expressément par les
autorités traditionnelles pour continuer à
bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur versent
les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non
cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient
alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de
propriété ou d'usufruit permanent.
Par ailleurs, si ces droits ne sont pas clairement reconnus
par les textes légaux, ou si les représentants de l'État
ont tendance à les ignorer, les arrangements promus par le projet DPGT
deviennent très précaires et vulnérables. Les
autorités administratives qui se sont succédé à la
tête des unités administratives n'ont pas en effet la même
attitude vis-à-vis des conventions écrites mises en place avec
l'appui de ce projet. Les responsables des services techniques, notamment
forestiers ou les autorités administratives, hésitent à
infliger des sanctions en se référant aux conventions locales en
argumentant que celles-ci ne sont pas en conformité avec les textes en
vigueur.
Pourtant, certaines dispositions du Code pénal
permettent de réprimer des personnes qui contreviennent aux lois
relatives aux litiges agropastoraux. En effet, selon les lois camerounaises,
les conventions librement convenues et formalisées par les parties en
présence ont valeur de loi pour ceux qui les ont conclues. Les membres
d'une même communauté ou d'un même secteur d'activité
peuvent déléguer un représentant (mandataire) qui pourra
signer la charte en leur nom ; mais il faut qu'il se munisse d'une procuration
qui mentionne au nom de qui il agit. De la sorte, deux personnes seulement
peuvent bien conclure une convention mais au nom d'un groupe d'éleveurs
et d'agriculteurs bien nommés ou cités.
176
Lorsqu'un responsable coutumier signe une convention, il doit
le faire comme partie prenante à telle enseigne que les dispositions lui
soient également applicables ainsi qu'au groupe social qu'il
représente. Il ne saurait le faire en d'autre qualité que celle
de membre de la commission consultative. La pratique consistant à
formaliser au préalable, ou plutôt après coup, de telles
conventions par une autorité administrative n'a pour seul effet que de
leur donner une certaine date, mais leur valeur juridique découle de
l'arrêté pris par le préfet en vue d'organiser l'espace
rural comme convenu dans ladite convention.
Les conventions sont donc les lois entre parties prenantes
issues d'une négociation et acceptées par tous, pourvu qu'elles
ne portent pas atteinte aux lois et règlement en vigueur. Cela
sous-entend que lorsqu'elles sont négociées dans le cadre strict
de la gestion du domaine national et dans le but de prévenir tout litige
dans l'espace rural envisagé, on présume qu'elles ont
respecté les textes en vigueur. D'ailleurs l'autorité
administrative, avant de prendre son arrêté, s'assure de cette
conformité avec les textes législatifs de base. Les textes ont
toujours précisé les domaines de compétence de chaque
structure. Ainsi, les commissions consultatives sont compétentes pour
régler les litiges relatifs aux oppositions à l'immatriculation
des terrains des dépendances du domaine national, ainsi que pour
régler toute revendication ou contestation d'un droit de
propriété sur les terrains non immatriculés, introduites
par les collectivités ou les individus devant les tribunaux. Par contre,
tous les autres litiges fonciers (à l'exclusion de ceux relatifs aux
conflits frontaliers) sont de la compétence des juridictions
judiciaires. De même il ne saurait être admis que dans une
convention, les membres du comité de gestion déclarent qu'ils
sont compétents pour sanctionner.
Par contre, les sanctions qui devraient figurer dans les
conventions sont celles relatives au non-respect par les parties des
engagements qui y figurent. Si par exemple les parties conviennent de ne pas
effectuer de cultures dans l'espace faisant l'objet de délimitation, les
parties peuvent prévoir qu'en cas de violation, le champ du contrevenant
sera acquis au groupe en guise de réparation. La sanction doit
être suffisamment coercitive, mais prise avec un large consensus. Les
lois précisent qu'il faut éviter d'insérer dans les
chartes ou conventions des sanctions qui portent atteinte
177
aux biens ou aux personnes, comme détruire les
semences, tuer les boeufs qui dévastent les champs ou encore exercer des
actes violents sur les contrevenants.
Au regard des superficies sur lesquelles les Mbororo sont
sédentarisés et le nombre d'animaux dont ils ont la charge, la
mobilité apparaît comme le moyen le plus efficace pour tirer
avantage au mieux de la grande variabilité temporelle et spatiale des
ressources pastorales. Au lieu de confirmer les hypothèses des
techniciens et décideurs selon lesquels les nomades avec leurs animaux
ne peuvent faire autrement que de se sédentariser sur des espaces de
pâturage bornés, les Mbororo ont mis en place un système
d'élevage original différent. Ils tentent d'adapter leur
mobilité à au nouveau contexte en exploitant de nouvelles
opportunités (Kossoumna Liba'a, 2008). Les Mbororo développent en
effet de nouvelles formes de mobilité basées sur des circuits
plus courts avec un nombre d'animaux moins important. Ce qui les oblige
à scinder le grand troupeau en sous-unités qu'ils confient
à plusieurs bergers salariés afin de maximiser l'accès aux
divers espaces de pâturage morcelés. Le coût de la garde du
troupeau avec plusieurs bergers est compensé par l'apport
monétaire des propriétaires de bétail citadins.
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