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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale : les aires protégées

Le Nord-Cameroun abrite deux types d'espaces : un réseau d'aires protégées dont la vocation est la conservation de la biodiversité et des espaces de production au sein desquels les sociétés agro-pastorales pratiquent l'élevage transhumant et une agriculture souvent pionnière. Les logiques qui régissent l'accès à ces deux types d'espace sont extrêmement différentes et souvent conflictuelles. Malgré cet antagonisme apparent entre conservation et production, les décideurs et les organisations internationales soutiennent de plus en une approche inscrivant les

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programmes de conservation de la faune sauvage et de ses habitats dans les logiques de développement durable (Binot, 2004).

Les migrations et les transhumances autour et dans les aires protégées ont pris de l'ampleur ces dix dernières années. L'emplacement de ces aires protégées dans la région du Nord constitue une des raisons de cette pression. En plus des terres de culture et le pâturage recherché, cette zone a position stratégique sécurisée entre l'Extrême-Nord Saturé et dégradé, l'Adamaoua convoité, la RCA en guerre, le Tchad désertique et le Nigeria confronté aux exactions de la secte islamiste boko haram. Tous ces pays exercent de nombreuses activités commerciales entre-deux et pratiques de manière extensive l'élevage mobile. La région du Nord en général et les parcs nationaux en particulier sont ainsi très convoités. Déjà en 1981, Mahamat Amine (1981) avait fait prendre conscience à la fois de l'augmentation de la transhumance locale et transfrontalière et les activités de chasse menaçant la faune et la flore de la réserve Faro, qui venait d'être érigé en un parc. En effet, la région du Nord dans laquelle se localisent les parcs est une zone de transit. Elle est divisée administrativement en quatre départements (Bénoué, Faro, Mayo Louti, Mayo Rey) et Garoua est la capitale régionale. Elle partage une frontière commune avec la région de l'Adamaoua au sud, avec l'Extrême-Nord au nord, le Nigeria à l'ouest, le Tchad et la République centrafricaine, à l'est. Cette position géographique de la région du Nord du Cameroun lui procure l'avantage d'échanges transfrontaliers importants et diversifiés (Figure 15).

Limite nationale
Limite régionale

Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique N°18

0 80 km

LEGENDE

Echanges Parc National

Barrage de Lagdo

N

Faro

Z13

Z16

Z18 bis

Z18

Z18

EXTRÊME-NORD

Z14

ADAMAOUA

Z26

Z2

Z15

Z5 Z1

Z18

Z4

Z7

Z9

Z3

Z10

Z25

Z24

Z11

Z22 bis Z22

Z20

Z12

Z17

Z23

Z21

Z27

142

Source : Enquêtes de terrain (2014)

Figure 15. Échanges transfrontaliers autour des parcs nationaux et des zones d'intérêt

cynégétique

À cause de leur enclavement, le Tchad et la RCA transitent par le Cameroun pour

évacuer leurs produits d'exportation. La région est également une zone de transit pour les bovins tchadiens en partance pour les marchés nigérians mais aussi en destinations des différents marchés de bétail du Cameroun Les Nigérians quant à eux achètent du

bétail et des céréales sur les marchés camerounais situés dans la région du Nord, de l'Adamaoua et de l'Extrême-Nord. Dans certaines villes et villages proches des

frontières, les échanges se font avec le Naïra, la monnaie nigériane. Un nombre important de braconniers dans cette région du Cameroun viennent d'ailleurs du

Nigeria. La croissance rapide des activités commerciales de cette région est une conséquence de sa frontière poreuse avec un géant économique comme le Nigeria et un pays émergent économiquement comme le Tchad (Djamen Nana, 2008).

La figure 16 présente les caractéristiques et le fonctionnement des territoires illicites pour la mobilité pastorale.

Relations sociales

- Accès en principe interdit pour les agriculteurs, les éleveurs, les cueilleurs, les chasseurs

- Forte amende en cas de contravention

- Corruption des gardes-chasses pour l'accent clandestin

- Information au préalable du sarkin saanou à l'arrivée des éleveurs et rôles ambigus des chefs traditionnels

TERRITOIRES ILLICITES DE MOBILITES PASTORALES

Modes d'accès

- Complicité avec les gardes-chasses pour l'accès illicite dans les parcs

- Indulgence et connivence avec les autorités traditionnelles lors du séjour autour et dans les parcs

- Abattage des animaux d'éleveurs par les gardes-chasses peu véreux ou mal rémunérés - Échanges entre les éleveurs et les agriculteurs des villages voisins (lait, céréales) - Vente de lait sur les marchés voisins

- Incursion régulière dans les parcs à la recherche d'un pâturage de bonne qualité et abondant

- De nombreux campements installés à l'intérieur des parcs

- Les éleveurs d'origine camerounaise viennent du Nord, de l'Extrême-Nord et de l'Adamaoua

- De nombreux éleveurs venant de l'étranger (Tchad, Nigéria, Niger)

- Les éleveurs parcourent de longues distances pour atteindre ces parcs (150-300 km)

- Transhumance pendant la saison sèche (janvier - juin)

- Construction des campements dans les zones périphériques des parcs , mais aussi installation dans les villages autour des parcs

Activités pastorales pratiquées

Statut du territoire

- Zones classées juridiquement comme espaces protégés pour la biodiversité - Géré et contrôlé par les autorités administratives et des exploitants privés - Approprié par les gestionnaires et supervisé par les gardes-chasses

- Interdit de pâturage, de culture, de chasse et de cueillette

Activités agricoles pratiquées

- Terres fertiles et convoitise des

populations riveraines

- Une violation permanente des agriculteurs pour la culture du maïs et du sorgho pluvial dans les extrémités intérieures

- Une agriculture sur-brûlis dégradant la végétation

143

Figure 16. Caractéristiques des territoires illicites de la mobilité pastorale

IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les aires protégées

Tous les éleveurs de bétail qui pâturent dans les aires protégées de la région du nord ne sont pas de nationalité camerounaise. Nombreux viennent du Nigeria, du Niger et du Tchad. Il faut préciser qu'au niveau de la nationalité, les personnes impliquées dans la transhumance dans le Parc National de Faro ne sont pas les mêmes que ceux qui sont impliqués dans le Parc national de la Bénoué. En effet, l'origine des éleveurs et leur localisation dans les différents parcs est d'influencée directement par leur situation géographique. Bien qu'il existe des éleveurs camerounais dans tous les parcs, il y a plus de Tchadiens dans le Parc national de la Bénoué et plus de Nigérians dans le parc national de Faro.

Il convient de noter que le Parc national de la Bénoué est situé à la frontière nord-est de la région du Nord, partageant ainsi une distance 10 km avec le Tchad au niveau notamment du village de Gambou. Les villages de Malih et Laro sont quant à eux situés le long de la frontière du parc national de Faro au sud-ouest de la région du

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Nord à seulement 10 km de la frontière avec le Nigeria. Le tableau suivant donne plus de détails sur l'origine des éleveurs qui transhument dans les parcs.

Tableau III. Nationalités des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-

Cameroun

Parc

Pays d'origine

Total

Cameroun

Tchad

Nigeria

Niger

Parc National de la Bénoué (107)

75

2

30

-

107

Parc National de Bouba Ndjidda

14

31

-

-

45

Parc National du Faro

34

4

82

12

132

Total

123

37

112

12

284

Pourcentage

43,3%

13%

39,4%

4,3%

100%

Le tableau III montre un fait important : il y a plus d'étrangers qui paissent dans les

parcs dans le Nord du Cameroun que les nationaux. Ces derniers viennent des trois régions septentrionales du Cameroun à savoir la région du Nord, qui est l'hôte, la

région de l'Extrême Nord, ainsi que la région de l'Adamaoua.

Tableau IV. Régions d'origine des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du

Nord-Cameroun

Parc

Région d'origine

Total

Nord

Extrême-Nord

Adamaoua

Parc National de la Bénoué

53

2

20

75

Parc National de Bouba Ndjidda

6

4

4

14

Parc National de Faro

7

8

19

34

Total

66

14

43

513

Pourcentage

53,6%

11,38%

35,1%

100%

Le tableau IV montre que le Parc National de la Bénoué est celui qui reçoit beaucoup plus d'éleveurs transhumants et que la plupart viennent de la région du Nord. De nombreux éleveurs viennent également de la région de l'Adamaoua. Les grandes villes de départ sont Tcheboa, Tchamba, Voko et Poli pour le Parc National de faro ; Barnake, Touroua, Tcheboa, Ngong, Gouna et Gashiga pour le Parc National de la Bénoué ; Koum, Touborou, Madingring, Galke, Tcholleri et Mayo Djerandi pour le Parc National de la Bénoué.

En ce qui concerne les éleveurs transhumants en provenance de la région de l'Adamaoua, ils viennent pour la plupart des départements du Faro et Deo, de la Vina et du Mbéré. Plusieurs éleveurs qui transhument dans le Parc National de la Bénoué en provenance de cette région viennent de Tignère.

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Il convient de noter que les éleveurs parcourent de longues distances pour atteindre ces parcs. L'analyse des itinéraires utilisés par les éleveurs avant d'arriver dans le Parc National de la Bénoué donne les trajectoires suivantes :

1. Tcheboa - Lagdo - Poli - Gouna - Tcholliré - Sakdjé ;

2. Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé ;

3. Gashiga - Garoua - Ngong - Na'ari - Tatou - Mayo Bocki - Gouna - Guidjiba ;

4. Barnaké - Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé - Gamba - Leunda - Parc National de la Bénoué - Holbali.

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