IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale :
les aires protégées
Le Nord-Cameroun abrite deux types d'espaces : un
réseau d'aires protégées dont la vocation est la
conservation de la biodiversité et des espaces de production au sein
desquels les sociétés agro-pastorales pratiquent l'élevage
transhumant et une agriculture souvent pionnière. Les logiques qui
régissent l'accès à ces deux types d'espace sont
extrêmement différentes et souvent conflictuelles. Malgré
cet antagonisme apparent entre conservation et production, les décideurs
et les organisations internationales soutiennent de plus en une approche
inscrivant les
141
programmes de conservation de la faune sauvage et de ses
habitats dans les logiques de développement durable (Binot, 2004).
Les migrations et les transhumances autour et dans les aires
protégées ont pris de l'ampleur ces dix dernières
années. L'emplacement de ces aires protégées dans la
région du Nord constitue une des raisons de cette pression. En plus des
terres de culture et le pâturage recherché, cette zone a position
stratégique sécurisée entre l'Extrême-Nord
Saturé et dégradé, l'Adamaoua convoité, la RCA en
guerre, le Tchad désertique et le Nigeria confronté aux exactions
de la secte islamiste boko haram. Tous ces pays exercent de nombreuses
activités commerciales entre-deux et pratiques de manière
extensive l'élevage mobile. La région du Nord en
général et les parcs nationaux en particulier sont ainsi
très convoités. Déjà en 1981, Mahamat Amine (1981)
avait fait prendre conscience à la fois de l'augmentation de la
transhumance locale et transfrontalière et les activités de
chasse menaçant la faune et la flore de la réserve Faro, qui
venait d'être érigé en un parc. En effet, la région
du Nord dans laquelle se localisent les parcs est une zone de transit. Elle est
divisée administrativement en quatre départements
(Bénoué, Faro, Mayo Louti, Mayo Rey) et Garoua est la capitale
régionale. Elle partage une frontière commune avec la
région de l'Adamaoua au sud, avec l'Extrême-Nord au nord, le
Nigeria à l'ouest, le Tchad et la République centrafricaine,
à l'est. Cette position géographique de la région du Nord
du Cameroun lui procure l'avantage d'échanges transfrontaliers
importants et diversifiés (Figure 15).
Limite nationale Limite régionale
Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique
N°18
0 80 km
LEGENDE
Echanges Parc National
Barrage de Lagdo
N
Faro
Z13
Z16
Z18 bis
Z18
Z18
EXTRÊME-NORD
Z14
ADAMAOUA
Z26
Z2
Z15
Z5 Z1
Z18
Z4
Z7
Z9
Z3
Z10
Z25
Z24
Z11
Z22 bis Z22
Z20
Z12
Z17
Z23
Z21
Z27
142
Source : Enquêtes de terrain (2014)
Figure 15. Échanges transfrontaliers autour
des parcs nationaux et des zones d'intérêt
cynégétique
À cause de leur enclavement, le Tchad et la RCA transitent
par le Cameroun pour
évacuer leurs produits d'exportation. La région est
également une zone de transit pour les bovins tchadiens en partance pour
les marchés nigérians mais aussi en destinations des
différents marchés de bétail du Cameroun Les
Nigérians quant à eux achètent du
bétail et des céréales sur les
marchés camerounais situés dans la région du Nord, de
l'Adamaoua et de l'Extrême-Nord. Dans certaines villes et villages
proches des
frontières, les échanges se font avec le
Naïra, la monnaie nigériane. Un nombre important de braconniers
dans cette région du Cameroun viennent d'ailleurs du
Nigeria. La croissance rapide des activités commerciales
de cette région est une conséquence de sa frontière
poreuse avec un géant économique comme le Nigeria et un pays
émergent économiquement comme le Tchad (Djamen Nana, 2008).
La figure 16 présente les caractéristiques et le
fonctionnement des territoires illicites pour la mobilité pastorale.
Relations sociales
- Accès en principe interdit pour les agriculteurs, les
éleveurs, les cueilleurs, les chasseurs
- Forte amende en cas de contravention
- Corruption des gardes-chasses pour l'accent clandestin
- Information au préalable du sarkin saanou
à l'arrivée des éleveurs et rôles ambigus des
chefs traditionnels
TERRITOIRES ILLICITES DE MOBILITES PASTORALES
Modes d'accès
- Complicité avec les gardes-chasses pour l'accès
illicite dans les parcs
- Indulgence et connivence avec les autorités
traditionnelles lors du séjour autour et dans les parcs
- Abattage des animaux d'éleveurs par les gardes-chasses
peu véreux ou mal rémunérés - Échanges entre
les éleveurs et les agriculteurs des villages voisins (lait,
céréales) - Vente de lait sur les marchés voisins
- Incursion régulière dans les parcs à la
recherche d'un pâturage de bonne qualité et abondant
- De nombreux campements installés à
l'intérieur des parcs
- Les éleveurs d'origine camerounaise viennent du Nord, de
l'Extrême-Nord et de l'Adamaoua
- De nombreux éleveurs venant de l'étranger
(Tchad, Nigéria, Niger)
- Les éleveurs parcourent de longues distances pour
atteindre ces parcs (150-300 km)
- Transhumance pendant la saison sèche (janvier - juin)
- Construction des campements dans les zones
périphériques des parcs , mais aussi installation dans les
villages autour des parcs
Activités pastorales pratiquées
Statut du territoire
- Zones classées juridiquement comme espaces
protégés pour la biodiversité - Géré et
contrôlé par les autorités administratives et des
exploitants privés - Approprié par les gestionnaires et
supervisé par les gardes-chasses
- Interdit de pâturage, de culture, de chasse et de
cueillette
Activités agricoles
pratiquées
- Terres fertiles et convoitise des
populations riveraines
- Une violation permanente des agriculteurs pour la culture du
maïs et du sorgho pluvial dans les extrémités
intérieures
- Une agriculture sur-brûlis dégradant la
végétation
143
Figure 16. Caractéristiques des territoires
illicites de la mobilité pastorale
IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les
aires protégées
Tous les éleveurs de bétail qui pâturent
dans les aires protégées de la région du nord ne sont pas
de nationalité camerounaise. Nombreux viennent du Nigeria, du Niger et
du Tchad. Il faut préciser qu'au niveau de la nationalité, les
personnes impliquées dans la transhumance dans le Parc National de Faro
ne sont pas les mêmes que ceux qui sont impliqués dans le Parc
national de la Bénoué. En effet, l'origine des éleveurs et
leur localisation dans les différents parcs est d'influencée
directement par leur situation géographique. Bien qu'il existe des
éleveurs camerounais dans tous les parcs, il y a plus de Tchadiens dans
le Parc national de la Bénoué et plus de Nigérians dans le
parc national de Faro.
Il convient de noter que le Parc national de la
Bénoué est situé à la frontière nord-est de
la région du Nord, partageant ainsi une distance 10 km avec le Tchad au
niveau notamment du village de Gambou. Les villages de Malih et Laro sont quant
à eux situés le long de la frontière du parc national de
Faro au sud-ouest de la région du
144
Nord à seulement 10 km de la frontière avec le
Nigeria. Le tableau suivant donne plus de détails sur l'origine des
éleveurs qui transhument dans les parcs.
Tableau III. Nationalités des éleveurs
qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-
Cameroun
Parc
|
Pays d'origine
|
Total
|
Cameroun
|
Tchad
|
Nigeria
|
Niger
|
Parc National de la Bénoué (107)
|
75
|
2
|
30
|
-
|
107
|
Parc National de Bouba Ndjidda
|
14
|
31
|
-
|
-
|
45
|
Parc National du Faro
|
34
|
4
|
82
|
12
|
132
|
Total
|
123
|
37
|
112
|
12
|
284
|
Pourcentage
|
43,3%
|
13%
|
39,4%
|
4,3%
|
100%
|
Le tableau III montre un fait important : il y a plus
d'étrangers qui paissent dans les
parcs dans le Nord du Cameroun que les nationaux. Ces derniers
viennent des trois régions septentrionales du Cameroun à savoir
la région du Nord, qui est l'hôte, la
région de l'Extrême Nord, ainsi que la région
de l'Adamaoua.
Tableau IV. Régions d'origine des
éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du
Nord-Cameroun
Parc
|
Région d'origine
|
Total
|
Nord
|
Extrême-Nord
|
Adamaoua
|
Parc National de la Bénoué
|
53
|
2
|
20
|
75
|
Parc National de Bouba Ndjidda
|
6
|
4
|
4
|
14
|
Parc National de Faro
|
7
|
8
|
19
|
34
|
Total
|
66
|
14
|
43
|
513
|
Pourcentage
|
53,6%
|
11,38%
|
35,1%
|
100%
|
Le tableau IV montre que le Parc National de la
Bénoué est celui qui reçoit beaucoup plus
d'éleveurs transhumants et que la plupart viennent de la région
du Nord. De nombreux éleveurs viennent également de la
région de l'Adamaoua. Les grandes villes de départ sont Tcheboa,
Tchamba, Voko et Poli pour le Parc National de faro ; Barnake, Touroua,
Tcheboa, Ngong, Gouna et Gashiga pour le Parc National de la
Bénoué ; Koum, Touborou, Madingring, Galke, Tcholleri et Mayo
Djerandi pour le Parc National de la Bénoué.
En ce qui concerne les éleveurs transhumants en
provenance de la région de l'Adamaoua, ils viennent pour la plupart des
départements du Faro et Deo, de la Vina et du Mbéré.
Plusieurs éleveurs qui transhument dans le Parc National de la
Bénoué en provenance de cette région viennent de
Tignère.
145
Il convient de noter que les éleveurs parcourent de
longues distances pour atteindre ces parcs. L'analyse des itinéraires
utilisés par les éleveurs avant d'arriver dans le Parc National
de la Bénoué donne les trajectoires suivantes :
1. Tcheboa - Lagdo - Poli - Gouna - Tcholliré -
Sakdjé ;
2. Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé ;
3. Gashiga - Garoua - Ngong - Na'ari - Tatou - Mayo Bocki -
Gouna - Guidjiba ;
4. Barnaké - Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé -
Gamba - Leunda - Parc National de la Bénoué - Holbali.
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