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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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Chapitre I. Enjeu spatial de la mobilité pastorale au Nord-Cameroun

La mobilité des bovins est confrontée à la dégradation continue des conditions de production, en particulier la raréfaction des ressources fourragères et l'amenuisement du foncier pastoral. En effet, le foncier pastoral a toujours fait l'objet de précarité, ce d'autant plus que les éleveurs laissent derrière eux une trace souvent discrète et passagère. Cette trace, précise Thébaut (1995), peut aussi varier géographiquement selon les saisons et les années, surtout dans des épisodes secs au cours desquels les déficits pluviométriques obligent à modifier les itinéraires de parcours. Peut-on en conclure que le pastoralisme nomade ne peut faire l'objet d'une appropriation foncière dans le sens strict du terme ? Doit-on donner raison à Hardin (1968) dans sa fameuse théorie de la « tragédie des communs » où il s'interroge sur le devenir d'une planète aux ressources limitées et surexploitées par une population en croissance exponentielle ? Hardin examine en effet le cas du pastoralisme, où les pâturages sont une ressource de libre accès mais exploitée par des éleveurs qui détiennent chacun un troupeau individuel. Dans un tel contexte, chaque berger cherchera à augmenter la taille de son troupeau afin de maximiser ses profits personnels, tandis que la perte de ressources en eau et en pâturages est infime, puisque répartie entre un grand nombre de consommateurs. À l'échelle d'une région, ce comportement aboutira inexorablement à une croissance illimitée du cheptel et à une dégradation irréversible du milieu.

Cette représentation alarmiste indexant les éleveurs mobiles comme irrationnels et gaspilleurs trouve sa place dans le contexte du Nord-Cameroun. En effet, l'accroissement de la population entraîne un accroissement des surfaces cultivées. Le caractère extensif des systèmes d'agriculture implique nécessairement de nouvelles défriches chaque année. La terre reste pour la majorité des populations l'unique moyen de subsistance dans des pays où les emplois industriels et tertiaires sont rares. La progression des espaces cultivés entraîne la disparition progressive des espaces non cultivés et pâturés : brousse et jachères, qui sont cultivées à leur tour.

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Si un des fondements du pastoralisme est le libre accès à l'espace (Milleville, 1992), les grands éleveurs de la zone soudanienne qui ont des pratiques de conduite extensive des troupeaux sont aujourd'hui évincés devant la poussée des agriculteurs. Ils sont obligés soit de migrer dans des zones où subsistent des brousses (zones moins peuplées et moins cultivées souvent plus au sud ou sur des massifs aux sols incultivables), soit de vendre leurs animaux ou d'en confier une partie à l'extérieur et se mettre à cultiver. Les territoires ruraux sont ainsi confrontés à plusieurs enjeux qui entravent leur développement.

I.1. Les enjeux du développement des territoires ruraux au Nord Cameroun

La population du Nord-Cameroun est à 86%, largement rurale (BUCREP, 2010). Le tableau I présente la répartition de la population entre urbain et rural dans les régions de l'Extrême-Nord, du Nord et de l'Adamaoua.

Tableau I. Population des trois régions septentrionales du Cameroun

Région

Urbain

Rural

Total

Extrême-Nord

708 060

2 403 732

3 111 792

Masculin

361 277

1 173 970

1 535 247

Féminin

346 783

1 229 762

1 576 545

Nord

470 913

1 217 046

1 687 959

Masculin

240 836

596 091

836 927

Féminin

230 077

620 955

851 032

Adamaoua

343 490

540 799

884 289

Masculin

173 531

265 382

438 913

Féminin

169 959

275 417

445 376

Source : BUCREP (2010)

Le tableau I montre que la région de l'Extrême-Nord, avec 3 111 792 habitants, fait partie de celles qui sont les plus peuplées du Cameroun à savoir le Centre (3 098 044 habitants) et le Littoral (2 510 263 habitants). Par contre, l'Adamaoua (884 289 habitants), fait partie des régions les moins peuplées, avec l'Est (771 755 habitants) et le Sud (634 655 habitants).

Le tableau I montre également que la population rurale dans les trois régions représente le double de la population urbaine avec une proportion féminine légèrement plus importante que celle des hommes. En effet, la population du Nord-Cameroun est marquée par un déséquilibre démographique entre la région de l'Extrême-Nord à forte densité de population (90,8 habitants/km2 en moyenne) et celle du nord sous-peuplée

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(25,5 habitants/km2) ainsi que de l'Adamaoua (13,9 habitants/km2). Les disparités sont fortes entre les départements et les arrondissements. Les zones à forte densité (supérieure à 50 habitants/km2) sont localisées dans l'Extrême-Nord, dans les monts et piémonts du massif des Mandara (chez les Mafa, Mofou, Guidar...) et le long du Logone (chez les Massa, Mousgoum, Toupouri). Dans ces régions, il existe une forte pression foncière. À l'opposé, au Sud de Garoua, les départements du Faro et du Mayo Rey sont des zones à faible densité de population (inférieure à 10 habitants/km2) où les ressources en terres agricoles et en parcours sont importantes. Cependant, depuis une dizaine d'années, ces zones sont devenues des fronts pionniers avec des migrations de seconde génération. Entre ces deux pôles, les interstices sont occupés par des zones de densité de population moyenne (Bénoué : environ 20 habitants/km2) à forte (Mayo Louti, Kaélé : environ 50 habitants/km2). À ces variations de densité de population correspondent des variations du taux d'occupation des terres agricoles et de charges animales comme l'ont montré Dugué et al., (1994). Les densités des populations entre 1976 et 2005 sont en constantes évolution (Tableau II).

Tableau II. Densités de la population dans les trois régions septentrionales du Cameroun

de 1976 à 2005

Région

Densité de population (habitants/km2)

1976

1987

2005

Adamaoua

5,6

7,8

13,9

Extrême-Nord

40,7

54,2

90,8

Nord

7,3

12,6

25,5

Source : BUCREP (2010)

Le Tableau II montre que malgré l'émigration des populations vers d'autres régions, les densités restent fortes et en constante évolution dans la région de l'Extrême-Nord. Elles sont passées de 40,7 habitants/km2 en 1976 à 54,2 en 1987 puis à 90,8 en 2005. Ces densités sont également en augmentation soutenue dans les régions de l'Adamaoua et du Nord à cause notamment de l'immigration.

Dans les trois régions septentrionales du Cameroun, la population urbaine (les villes de plus de 10 000 habitants) dépend aussi des activités agricoles et pastorales, soit directement (plusieurs dizaines de milliers de producteurs en ville ou en périphérie), soit indirectement en travaillant dans le secteur de l'agrofourniture, du commerce et de

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la transformation des produits (usines du secteur cotonnier, transport, petite transformation, commerces...). Environ 80% à 85% de la population du nord du Cameroun vivent directement ou indirectement du secteur agricole/élevage.

Dans la zone septentrionale du Cameroun, faute de secteurs secondaires et tertiaires développés (très peu de d'industries non liées à l'agriculture, pas de ressources minières, stagnation du tourisme9), le développement économique et social des 3 régions repose actuellement sur les performances technico-économiques (rendement, marges dégagées, rémunération des actifs familiaux et salariés), la résilience et la compétitivité du secteur agricole (CIRAD et GLG Consultants, 2013). En effet, l'agriculture et l'élevage de ces trois régions contribuent d'abord au développement local mais aussi national et sous-régional, dans 4 secteurs stratégiques :

- La sécurité alimentaire : la première fonction de l'agriculture est d'alimenter les populations rurales et urbaines des trois régions en quantité suffisante (céréales) et en améliorant la qualité nutritionnelle des régimes (importance des produits animaux mais la consommation en lait et en viande10 reste bien deçà des recommandations de l'OMS, des protéines végétales et des fruits et légumes). En raison de l'importance du secteur agricole dans l'économie du Cameroun (60,6% du PIB), les difficultés causées par la mauvaise performance de certaines cultures de rente sapent l'atteinte des Objectifs Nationaux pour le Développement et pourraient contribuer à accroitre la vulnérabilité à l'insécurité alimentaire. La région septentrionale du Cameroun, dont l'alimentation de base est essentiellement céréalière, est la plus touchée par cette baisse. L'insécurité alimentaire touche presque toutes les exploitations familiales (Abakachi, 2000). Cette situation d'instabilité alimentaire est issue de la combinaison de plusieurs facteurs : i) irrégularité et gestion peu rigoureuse de la production des céréales sur les marchés et par les paysans, ii) disponibilité insuffisante des céréales sur les marchés et iii) inaccessibilité aux populations défavorisées. Les variations dans

9 À cause des attaques régulières et des prises d'otages depuis 2012, le tourisme au Nord-Cameroun, autrefois animée par les touristes occidentaux - principalement des expatriés de Yaoundé - qui venaient visiter le parc animalier, ses éléphants et ses girafes, est aujourd'hui en déclin. Dans les campements touristiques des villes, les chambres sont désespérément vides et les murs tombent peu à peu en ruine.

10 Selon GESEP (2002), 6,5 à 7,5 kg de viande bovine/habitant/an à Garoua et Maroua au début des années 2000 contre 30 kg dans les années 1980, cette tendance est confirmée par Djamen Nana (2008).

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la combinaison de ces facteurs se caractérisent par l'instabilité des marchés qui a un impact considérable sur la sécurité alimentaire, sur le cours des vivriers, sur la trésorerie des producteurs et des commerçants (Kossoumna Liba'a, 2009).

- La création de richesses et d'emplois : le Nord-Cameroun concentre tout le secteur cotonnier qui compte en 2012/2013 trois cent mille (300 000) producteurs recensés pour 220 000 ha de coton et une production estimée à ce jour à 22 100 tonnes de coton graine. Ce secteur a montré sa capacité de faire face aux crises économiques en développant des mécanismes de stabilisation de revenu cotonnier pour les producteurs (subvention engrais,...) et en diversifiant la production afin de faire fonctionner ses huileries (développement rapide du soja) (Kossoumna Liba'a, 2014). Les agriculteurs et éleveurs de ces régions ont montré de fortes capacités d'adaptation et d'innovation dans d'autres secteurs et avec peu d'appui public : par exemples des filières de production exportent vers le Sud et dans la sous-région : arachide, niébé, maïs, oignon, fruits, bovins sur pied, porcs...). Ces filières fournissent des revenus substantiels qui viennent compléter celui du coton et induisent des emplois dans le secteur tertiaire (commerce et transport). Par exemple, le septentrion est la principale zone de production au Cameroun de viande bovine (effectifs du cheptel entre 1,7 et 3,2 millions de têtes selon les sources11), porcines et de petits ruminants (2 à 2,5 millions de têtes), d'oignon et de maïs (CIRAD et GLG Consultants, 2013).

- Les zones rurales, principaux fournisseurs de bois énergie : les zones pastorales et agricoles sont essentielles à toute la population car elles leur fournissent le bois d'énergie, le bois d'oeuvre et une partie de l'énergie nécessaire aux transports des marchandises (traction animale). Trop peu d'agriculteurs se sont lancés dans la sylviculture, mais une meilleure gestion des ressources arborées bénéficie directement à l'ensemble de la population en termes de fourniture durable de bois d'énergie et de charbon de bois à prix raisonnable en l'absence de politique de subvention et de vulgarisation massive du gaz domestique.

11 Faute de recensement sur le terrain actualisé il est impossible de fournir des chiffres précis et fiables d'effectifs d'animaux d'élevage. Les professionnels du secteur (MINEPIA, Organisation d'éleveurs, chercheurs) s'accordent tous sur un accroissement continu des effectifs sans en connaître l'ampleur et la répartition géographique, à l'exception des élevages transhumants mis à mal entre 1995 et 2008.

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- La paix sociale dans un environnement régionale instable : l'accroissement des revenus issus de l'agriculture et de l'élevage contribue à la paix sociale en limitant l'exode rurale, l'urbanisation anarchique et l'apparition d'une frange de la population sans emploi pouvant s'orienter vers des activités illicites (trafics en tout genre, banditisme, milice armée dans les pays voisins). Le dynamisme du secteur agropastoral du Nord-Cameroun constitue donc un atout pour limiter les insécurités et faire face à un contexte sociopolitique déliquescent et instable dans les pays voisins (Nigeria, RCA).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery