III.7. Le territoire de mobilité pastorale :
définition et caractérisation
Les études précises de l'espace vécu sont
rares chez les pasteurs sahéliens. Toute recherche
spécialisée sur ce thème semble particulièrement
difficile dans ce milieu, et l'application stricte d'un questionnaire
inadéquate (Gallais, 1976). Cependant, un certain nombre de travaux ont
permis à Alain Beauvilain (1976) travaillant sur les Peul du Dallol
Bosso au Niger, à Hervouet (1975) pour les éleveurs du Sud
mauritanien, à Jérôme Marie (1974) pour les
Foulankriabé du Gourma malien et Gallais (1976),
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Bernus (1982), Retaillé (1989), Boutrais (1984) de
discuter du sens que les éleveurs donnent au milieu dans lequel ils
vivent.
Les travaux de Bernus (1982) au Niger montrent que le
territoire de mobilité est complexe car il est difficile de trouver un
espace clos, exploité par un groupe humain cohérent. Les
tentatives d'isoler un territoire nomade se heurte à quelques
difficultés. Il existe souvent des régions exploitées en
commun au cours de saisons particulières, mais au-delà de ces
exploitations communes traditionnelles, le forage des points d'eau par les
services publics ou les ONG a ouvert à tous les nomades des ouvrages
publics. Cette désorganisation de l'espace pastoral rend difficile la
délimitation d'un territoire approprié par un groupe qui y trouve
ses moyens d'existence. Le même constat est fait par Retaillé
(1989 : 2) pour qui « la réduction disciplinaire de la
géographie à l'opération de découpage et de
nomenclature, conduit à distinguer aussi l'espace du nomade comme une
surface spécifique, isolable, refermée sur des caractères
propres et explicatifs comme l'aridité. Il se construit, alors, une
définition forcée qui peut convenir au tableau
géographique des genres de vie bien délimités mais qui
néglige la très forte originalité conceptuelle du
nomadisme ». Pour lui, On ne peut le réduire à un
sous-développement ou un à avortement du processus d'organisation
de l'espace, en prenant l'espace sédentaire comme modèle ; on ne
peut même pas vraiment aborder l'espace nomade en opposition à
l'espace sédentaire.
Cette difficulté d'insérer le vécu dans
un schéma s'exprime en termes de contrôle de l'espace par la
faiblesse générale, voire l'absence de toute notion de
territorialité, mises à part quelques organisations, comme par
exemple celle des Peul du Delta intérieur (Gallais, 1967), très
structurée et militaire, le contrôle des lahore, sources
salées, dans les chefferies peul de l'Adamaoua (Boutrais, 1974),
l'appropriation coutumière de chaque vallée du Tibesti par un
clan Toubbou (Capot-Rey, 1967), les droits exercés par les fractions
militaires des Touareg Kel Ahaggar sur les vallées du Hoggar (Rognon,
1963), l'exemple des Masaï du Kenya (Jacobs, 1965) qui possèdent
une division territoriale stratifiée en accord avec leurs niveaux de
regroupement socio-politique. Le contrôle territorial est resserré
ponctuellement sur le puits ou les puisards, voire sur quelques pâturages
de décrue; et même ici il admet en général une
utilisation
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franche par d'autres usagers. Cette
légèreté des institutions spatiales contribue au
caractère contingent et flexible de l'espace vécu des
éleveurs. Si la notion de territoire se réfère à
une portion d'espace approprié par un groupe humain dont les limites
sont déterminées par une pratique politique, économique,
socio-culturelle, voire même affective, elle suppose a priori la
stabilité, c'est-à-dire la permanence d'une population sur la
terre qu'elle contrôle, préserve et à laquelle elle
s'identifie. Or, les éleveurs, de par leur mobilité
géographique sont-ils des « peuples sans territoire »
s'interroge Cortès (1995).
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