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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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III.4. Les enjeux et l'importance de la mobilité pastorale

La pression sur les territoires ruraux s'accentue à cause d'un fort accroissement démographique qui engendre l'avancée des terres agricoles au détriment des pâturages. Différentes études de cas notent que les pâturages se réduisent comme peau de chagrin au sud du Tchad (Magrin, 2001) ou encore au nord Cameroun (Moritz et al., 2013 ; Seignobos et Thys, 1998 ; Kossoumna Liba'a, 2008). Les politiques nationales semblent avoir du mal à concevoir des schémas d'aménagement des espaces ruraux qui ménagent un accès pour tous aux ressources. Pourtant, en même temps que les pâturages diminuent, les cheptels bovins augmentent (Gonin, 2014). Cependant, depuis la fin des années 90, différents travaux introduisent un regard renouvelé sur l'élevage mobile.

El Aich et Waterhouse (1999) montrent comment le pâturage peut favoriser la biodiversité et maintenir ainsi des biotopes particuliers. Bourbouze, Lhoste, Marty et Toutain (2002) soulignent que la mobilité pastorale est aujourd'hui considérée comme un outil de lutte contre la désertification, même si la démonstration scientifique du rôle de la mobilité dans la protection de l'environnement n'est pas aisée comme le montrent les travaux de Genin (2004), Dood (1994).

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Contrairement à l'image répandue, ce sont les troupeaux les plus mobiles qui présentent les meilleurs paramètres zootechniques (PSSP, 2009) ; ainsi, la mobilité permettrait d'intensifier la productivité des troupeaux. De nombreuses études ont démontré à contrario que les pratiques de nombreux commerçants bétail dans la cadre de l'embouche bovine, constituent des troupeaux « maigres » à la fin de la saison sèche pour les engraisser à l'herbe des parcours grâce à la transhumance effectuée par les bergers peuls (Colin De Verdière, 1995). Le même auteur montre que les phénomènes de croissance compensatoire jouant à plein, les animaux conduits dans une vraie logique pastorale reviennent avec une conformation supérieure et incomparable avec leur état de départ. Il montre que la productivité des systèmes d'élevage sédentaire serait globalement inférieure de 20% à celle des troupeaux nomades. Ceci donne sens à l'objectif des éleveurs mobiles qui est en effet de rechercher en permanence les meilleures conditions possibles pour leur troupeau, en s'adaptant aux contraintes du milieu en ce qui concerne l'eau et le pâturage. En effet, la principale raison à l'origine de la mobilité est de maximiser la productivité du cheptel. Lorsqu'ils se déplacent, les pasteurs ne cherchent pas seulement à trouver de la nourriture pour leurs bêtes, ils recherchent aussi les meilleurs pâturages et les meilleures sources d'eau. Des nutriments de qualité dans les parcours arides sont éphémères et, comme on peut s'y attendre, clairsemés. Pour les exploiter de manière performante, les pasteurs doivent se déplacer souvent et rapidement (Collectif, 2010). Le même collectif montre que la mobilité est également importante dans le domaine du commerce. En effet, le bétail a besoin d'être acheté et vendu. Or, les meilleurs marchés où les pasteurs tirent le meilleur prix de leurs bêtes sont souvent loin des meilleures zones de production. Les échanges peuvent être locaux, nationaux, voire internationaux, en fonction de la saison et de ce qui est à vendre ou à acheter. Bien souvent, les échanges impliquent de couvrir de longues distances et le déplacement des bêtes en toute sécurité joue donc un rôle pivot.

La mobilité pastorale a également une utilité écologique qui a été démontré par des études comme celle de Maïdagi et Hierneux (2006). Les conclusions de ce travail d'analyse des dynamiques de végétation en relation avec les modes de pâturage font

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ressortir que les effets du pâturage sont autant moins marqués que les troupeaux sont appelés à se déplacer et à développer la mobilité. Par contre, d'après cette étude, la sédentarisation des troupeaux a des effets conséquents en matière de dégradation des écosystèmes. La notion de surpâturage s'applique plus à une plus à une exploitation continue des ressources pastorales car les animaux, même peu nombreux, exploitent de manière sélective les espèces appétées (PSSP, 2009). Ainsi, la réduction des aires de pâturages, des couloirs de transhumance et des aires de repos jusque-là exploités par les pasteurs en zone agro-pastorale et pastorale, en réduisant la mobilité des troupeaux, augmente les risques environnementaux.

La mobilité pastorale est également un facteur d'adaptation aux aléas climatiques. En effet, au vu des réalités sociales, économiques et écologiques, l'enjeu est de préserver et de renforcer la mobilité pastorale, de manière à mieux valoriser durablement les ressources primaires des espaces de mobilité dans les zones soudano-sahéliennes. Ces espaces se caractérisent par des pénuries des ressources pastorales liées aux sécheresses plus ou moins fortes et fréquentes. Les observations faites par Beidou et al., (1990) montrent que ce sont les troupeaux les plus mobiles qui réussissent généralement le mieux à surmonter les épisodes critiques comme la grande sécheresse de 1984. Lorsqu'apparaissent les limites écologiques de la mise en valeur de terres nouvelles, la conception nomade multiplie les formules d'adaptation en intégrant des espaces marginaux qu'elle seule peut rapprocher (Retaillé, 1989).

En plus, la mobilité stratégique de l'élevage permet l'intégration agriculture-élevage à grande échelle spatiale et temporelle, et ce sur l'ensemble des systèmes de production plutôt qu'au niveau de la seule exploitation agricole. C'est à grande échelle que les systèmes pastoraux optimisent leur performance et leur résilience : des ressources clés telles que les nutriments et l'eau ne deviennent disponibles que dans des concentrations éphémères et imprévisibles, comme certaines herbacées des zones septentrionales, qui ne sont exploitables que grâce à la mobilité. Agriculture et élevage ont pu être intégrés entre des groupes distincts et spécialisés d'agriculteurs et d'éleveurs à même d'interagir à l'échelle transrégionale (voire transnationale) grâce à la mobilité pastorale. Cet ordre supérieur d'organisation des deux systèmes de

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production permet de renforcer la productivité, la durabilité et la résilience des deux côtés : c'est une conformation de systèmes qui repose sur la mobilité pastorale. Là où elle est entravée, cette organisation s'effondre (Krätli et al., 2013).

L'importance de la mobilité pastorale est également observée à travers les proverbes et dictons que le Projet PSSP (2009 : 19) a rassemblé : « Nous les Wodaabe, nous disons que l'élevage ne nous laisse pas de repos, ne nous donne pas d'apaisement. Un véritable berger ne peut jamais rester tranquillement au même endroit. Un bon berger cherche ce qui est le meilleur pour ses bêtes : la seule chose qui nous tracasse, c'est la santé de nos bêtes, parce que leur santé signifie notre richesse » (Angelo By Maliki, 1982) ; « L'animal est le meilleur topographe qui soit. Les géomètres qui ont tracé les routes dans la région de Zinder sont venus seulement justifier leurs honoraires, ils n'ont fait que reprendre les routes pastorales qui existaient notamment le couloir international de passage » (Issa Loutou, Leader Oudah) ; « La poussière des pieds est meilleure que celle des fesses » (Proverbe des pasteurs du Niger - Atelier Addis Abéba, 2008) ; « Si tu construis une maison à un éléphanteau, tu auras à détruire la maison pour le faire sortir » (El Jangouma).

L'actualité du nomadisme n'est pas donc dépassée, au contraire. Le nomadisme historique semblait une adaptation aux situations écologiques marginales, plaçant les nomades presque en dehors du monde et de son développement. Mais en observant les pratiques spatiales et sociales de ces nomades en voie de disparition, nous rencontrons quelques problèmes contemporains comme les nouvelles mobilités, les identités défaillantes etc. qui pourraient être avantageusement traités selon ces métriques trop ignorées du nomadisme (Retaillé, 1989).

III.5. Quels outils pour appréhender les territoires ?

L'emboîtement des sous-systèmes acteurs et espaces géographiques rend difficile l'interprétation et la compréhension des territoires. C'est pour cela qu'il est indispensable de proposer de manière précise des outils susceptibles d'aborder la complexité qui sous-tend à la fois les organisations spatiales, mais également les systèmes d'acteurs qui les font évoluer. L'approche systémique est ainsi présentée, comme un paradigme capable de guider l'approche et la compréhension des systèmes

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complexes et comme préalable à des démarches de modélisation plus avancées (Moine, 2005). Ce dernier, sans proposer de nouveaux outils, essaie de repositionner des approches reconnues, les unes par rapport aux autres, dans un ensemble susceptible de permettre une meilleure compréhension des territoires (figure 9).

Source : Moine (2005)

Figure 9. Outils et méthodes d'analyse et de compréhension de l'évolution d'un territoire Trois sous-systèmes, liés entre eux, sont donc à aborder dans le cadre d'un diagnostic que Moine (2005) qualifie de territorial :

- Le contexte naturel du territoire abordé, il peut présenter des contraintes et des atouts qui auront une incidence sur l'organisation de l'espace géographique, mais aussi sur les relations entre les acteurs. Dans la région du Nord-Cameroun, il s'agit notamment des contraintes liées à l'insuffisance des précipitations entraînant la

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dégradation des parcours, l'assèchement des mares, l'insuffisance des résidus de récolte ; les atouts peuvent être l'abondance des fourrages naturels dans certaines zones mieux arrosées et la disponibilité des eaux dans les cours d'eau... ;

- L'organisation de l'espace géographique, au travers de la répartition des objets, de l'interaction entre ces objets, des forces et faiblesses de cette organisation. Ici, on pourra, comme le suggère (Elissalde, 2002), analyser les discours souvent contradictoires, tenus à différents moments sur un territoire quelconque s'inscrivent dans une archéologie du savoir. L'importance du temps long, de l'histoire en matière de construction symbolique des territoires, retient l'attention (Di Méo, 1998). Très représentatif de ce point de vue, Marié (1982) estime que « l'espace a besoin de l'épaisseur du temps, de répétitions silencieuses, de maturations lentes, du travail de l'imaginaire social et de la norme pour exister comme territoire ». Cela permet bien entendu de faire « l'état des lieux », mais contribue tout à la fois à faire exister, et à façonner une certaine image « géographique » dudit territoire. Il peut également s'agir d'analyser l'influence du contexte naturel et de l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques actées dans le cadre des différents documents de programmation, d'orientation et de prescription ;

- L'organisation des acteurs du territoire étudié ou diagnostic stratégique (CERTU, 2001), la superposition de mailles de gestion, l'articulation des documents de programmation, d'orientation et de prescription, et leur mise en place autour d'acteurs clés, le décideur devant aujourd'hui intégrer la notion de « maillagement » (Monnoyer-Longe, 1996). L'objectif serait également de mettre à jour les logiques de fonctionnement et d'interaction spatiale dans le cadre des arrangements sociétés/territoire, y compris les relations sociétés/environnement (Elissalde, 2002).

Cette approche suppose la mise en oeuvre combinée d'outils permettant de comprendre le fonctionnement d'un territoire et le cas échéant, de proposer des simulations de son évolution. Ainsi, la complexité du territoire nécessite un agencement d'outils capable d'intégrer et d'analyser les différentes facettes du territoire. Plusieurs pistes s'offrent actuellement aux chercheurs, qui reposent sur la combinaison d'outils (Systèmes

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Multi-Agents, Systèmes d'Information Géographique, Automates Cellulaires, Systèmes de Gestion de Bases de Données, Systèmes Experts, Réseaux Neuronaux) en amont desquels l'approche systémique est toujours requise (François, 1997). Trois orientations émergent :

- Les recherches portant sur la mise en place d'outils d'observation, notamment les travaux du CERSOT portant sur la mise en place d'observatoires territoriaux fondés sur la liaison entre Système de Gestion de Base de Données et Système d'Information Géographique (De Sède et Moine, 2001) ;

- Les recherches portant sur l'évaluation des territoires notamment les travaux de Christiane Rolland-May, intégrant les principes de l'approche systémique et de la logique floue (Roland-May, 1996 et 2000) ;

- Les recherches portant sur la simulation d'évolutions de territoires, en témoignent notamment les modèles développés par le RIKS (Maastricht), couplant une base de données spatialisées (SIG), un modèle global d'interaction spatiale et un modèle d'automates cellulaires (Engelen et al., 1997).

Ces trois types d'approches sont en effet complémentaires si l'on souhaite disposer d'une vision globale du fonctionnement d'un territoire (Moine, 2005). En effet, pour cet auteur, les outils d'observation constituent le socle sur lequel on va pouvoir ancrer une analyse des différents phénomènes en interrelation sur un territoire donné, en fonction d'un projet porté par des acteurs. Fondée en amont sur une réflexion très poussée des besoins d'observation de la part des acteurs qui produisent, agissent et guident le fonctionnement d'un territoire, cette première étape, au travers de la pérennisation des informations qu'elle induit, est incontournable. L'observation est finalisée par des diagnostics qui peuvent être pluriels, en fonction des différents acteurs ou groupes d'acteurs porteurs de projet(s). C'est grâce à cet outil qu'il est ensuite possible d'évaluer un territoire au travers de la trajectoire qu'il poursuit en introduisant des dispositifs d'analyse capable de restituer les différents états occupés par le système étudié. Ils permettent également l'évaluation des politiques mises en oeuvre par les acteurs locaux, qui influencent l'évolution des territoires. Enfin, dans un

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troisième temps, des outils permettent de simuler le devenir d'un territoire donné sur la base de règles issues des observations précédentes.

En conclusion, « l'efficacité des démarches participatives en aménagement, sera conditionnée par un réel couplage entre décisions et instrumentation, notamment instrumentation géomatique, l'espace demeurant au centre de tous les enjeux » (De Sède, 2002), ceci dans la perspective d'un système territoire qui intègre simultanément trois dimensions : temporelle, spatiale, et organisationnelle, qui chacune se divisent de la manière suivante (Roland-May, 2000) :

- Le temps est composé d'un avant, d'un après et d'une durée : i) la prise en compte des évènements passés explique l'état actuel du système et sa dynamique. Ce passé constitue en quelque sorte le réservoir d'information par rapport auquel les acteurs vont se référer afin de mener à bien leurs politiques ; ii) la prise en compte de l'avenir en projetant ce que les acteurs souhaitent que le territoire devienne, sur la base de scénarios prospectifs guide les décisions. Cette démarche est productrice de nouvelles informations ; iii) la prise en compte de la durée des évènements est importante puisqu'elle permet finalement d'en nuancer les influences ;

- L'espace est composé d'échelles emboîtées qui peuvent se retrouver au sein : i) Du local et de l'ensemble des superpositions spatiales et des acteurs qui s'y matérialisent. Loin d'être isolés, ces différents niveaux et acteurs sont très étroitement imbriqués et liés, ils contribuent à définir les projets et donc à peser sur le devenir du territoire ; ii) Du global, ou environnement du système, qui symbolise les influences externes qui peuvent agir sur la trajectoire du système. Celui-ci ne peut ignorer en effet un certain nombre d'informations qui, aujourd'hui bien que dépendantes d'un contexte global, affectent indubitablement le devenir du système local ;

- La dimension organisationnelle est composée de trois sphères : i) celle des individus, « unité spécifique au sein des sociétés (...) on ne peut imaginer de société qui ait été totalement dépourvue d'autonomie individuelle car c'est grâce à cette autonomie que la répartition complexe de fonctions que suppose une société,

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peut exister » (Lévy, 1994) ; ii) Celle de la politique ; iii) Celle des relations économiques, culturelles et sociales.

L'enjeu est de comprendre comment se structurent les territoires, selon l'acception globale que nous avons proposée ; comment ils fonctionnent, comment ils évoluent. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des réalités quelquefois difficiles à mettre en adéquation, avec d'un côté une complexification croissante des contextes au sein desquels nous évoluons, de l'autre une exigence de résultat fondée sur les notions de cohérence et de développement durable qui forcent à adopter une approche globale capable de saisir et de rendre compte de cette complexité. En proposant une approche plus globale de la notion de territoire, nous pensons que sa compréhension en sera améliorée. Mais il faut faire attention à ne pas tenter de réduire la complexité à tout prix, il faut lui laisser sa liberté, c'est-à-dire la représenter en limitant les mutilations.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius