III.2.1. Le territoire comme champ d'application du
pouvoir
La première acception que les géographes se font
du territoire est liée au contrôle et au pouvoir. C'est en effet
lorsqu'ils s'attachent aux problèmes de géographie politique et
traitent de l'espace dévolu à une nation et structuré par
un État que les géographes sont amenés à parler de
territoire dès le début du 20è siècle.
Le territoire a des limites assez rigides, bien que de plus en plus mouvantes
autour d'une infinité de lieux (Sack, 1986 ; 1997), qui sont
administratives. La construction du territoire est alors dominée par le
rôle de l'État qui selon Pinchemel et Pinchemel (1997)
contrôle, maintient son intégrité, exerce une
autorité, une compétence, l'étendue du territoire
définissant alors le champ d'application du pouvoir. Ils
s'intéressent notamment aux problèmes qui naissent du
désaccord entre la distribution des populations et les limites
étatiques33, mais aussi des difficultés que certains
pays éprouvent à assurer leur sécurité dans les
limites que le peuplement national devrait leur imposer : ils cherchent
à se donner des frontières plus faciles à défendre,
fleuves ou chaînes de montagne (Claval, 1995). Le territoire, dans ces
acceptions, résulte ainsi de l'appropriation collective de l'espace par
un groupe. Gottmann (1973) va associer la conception moderne du territoire
à celle de souveraineté en tirant parti à la fois des
approches de la géographie politique et de
32 Pour Brunet et al., (1993), «
l'espace géographique est l'étendue terrestre utilisée et
aménagée par les sociétés en vue de leur
reproduction, non seulement pour se nourrir et s'abriter, mais dans toute la
complexité des actes sociaux » ; Dans le même sillage, Le
Berre (1992) précise que « le territoire est la portion de surface
terrestre appropriée par un groupe social pour assurer sa production et
la satisfaction de ses besoins vitaux ».
33 Dans presque tous les pays africains, de
nombreuses ethnies se retrouvent de part et d'autres des frontières
étatiques tracées par la colonisation. Au Nord-Cameroun, nous
avons ainsi les Massa, Toupouri, Moundang, Mozey, Peuls... entre le Tchad et le
Cameroun ; les Kanouri, les Peuls entre le Cameroun et le Nigeria.
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la géopolitique de l'entre-deux-guerres ainsi que de la
pensée des théoriciens de l'État. Selon lui, pour qu'une
entité politique puisse faire l'expérience de l'absolu du
pouvoir, il faut qu'elle soit sans concurrence et exerce un monopole total sur
un espace donné : elle est alors souveraine. L'idée de territoire
se trouve ainsi liée à celle de contrôle, et le justifie.
Au territoire de l'État tel qu'il résulte de la théorie
politique moderne s'oppose ceux qui reflétaient d'autres structures du
pouvoir : la pratique féodale d'un pouvoir hiérarchisé et
dont chaque échelon ne dispose que d'attributs limités aboutit
à une structuration d'espaces qui s'emboîtent ou qui se
chevauchent. C'est notamment le cas observé au Nord-Cameroun avec des
lamidats qui exercent un contrôle féodal et absolu sur des
territoires discontinus conquis lors des djihads au début du
19è siècle. C'est sans doute pour ces raisons que Sack
(1986) a proposé une interprétation de la territorialité
assez voisine de celle de Gottmann, mais applicable à toutes les
échelles, de la pièce où nous dormons à celle de
l'État.
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