III.2. Le territoire au service du développement
Le territoire est aujourd'hui au coeur des
préoccupations des scientifiques, des politiques, mais également
des acteurs économiques. Si les géographes n'ont pas
été les seuls à s'approprier cette notion, ils ont
cependant fait de l'espace leur entrée principale ; ce qui les distingue
quelque peu des approches des économistes ou des sociologues (Moine,
1995). La conception actuelle du territoire remet en cause l'idée de
"territorium" d'autrefois, ensemble monoscalaire conçu comme
une aire délimitée et étanche, animé par des
acteurs inclus dans ses limites. Le concept de territoire est ainsi fortement
utilisé à la fois pour fournir des solutions de
développement socioéconomique, mais aussi pour un
aménagement cohérent, équitable et viable des lieux. Comme
le note Lévy et Lussault (2003), petit à petit tout devient
territoire, l'adjectif se généralise, à en devenir
polysémique. Moine (1995) pense que le territoire est tout puisqu'il
recouvre une complexité qui demeure difficile à saisir, à
cerner. Le territoire est donc, avant toute définition, un
système. Et pourtant, Le Berre (1992) estime qu'il n'est jamais
véritablement défini comme tel, même si certaines approches
le sous-entendent. Cela montre que le territoire doit aujourd'hui être
abordé de manière globale, tant la recherche de consensus est
nécessaire à toutes les étapes de son aménagement
et de son utilisation. C'est pour cela que les outils mis en oeuvre à
l'heure actuelle pour l'appréhender doivent intégrer sa
diversification et sa complexification en coordonnant notamment les dimensions
sociales, politiques, économiques et environnementales, en
considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en
plus active de la population (Moine, 2005). C'est pour cela qu'Elisalde (2002)
propose de prendre en compte les acteurs et leurs imaginaires parce qu'ils sont
guidés par leurs visions du monde. En souscrivant à l'idée
que « le monde
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est institué par les individus en fonction de leurs
actions et de leurs intentions » Debarbieux (1999 : 56) propose
d'interpréter les territoires et la territorialité à
travers le prisme du seul subjectivisme, c'est-à-dire en
dépassant l'extériorité du regard objectivant des
habituelles analyses sur l'organisation de l'espace. Dans cette attitude, le
territoire est le support par excellence des investigations menées sur
l'intentionnalité des acteurs. Dans cette approche, il ne s'agit plus de
construire le sens objectif, mais de le délivrer à travers les
manifestations extérieures qui sont censées traduire des
intentionnalités cachées. Les comportements des acteurs sociaux
peuvent se lire comme des messages, qui, à condition d'être
décryptés, veulent dire quelque chose sur le territoire.
Si l'approche territoriale a connu un renouveau, c'est
également parce que les relations sociétés/territoire
invalident l'approche par l'analyse d'un ensemble géographique selon une
individualisation et une séparation des niveaux d'échelle.
À ce niveau, se pose le problème des gabarits pour les objets de
la géographie des territoires. Dans un territoire coexistent à la
fois du local et du global, du spécifique et de l'universel, de
l'individuel et du collectif. À partir du consensus autour de
l'idée d'espace conscientisé, il y aurait autant de tailles de
territoires que de possibilités pour des groupes de partager un
même rapport aux lieux, une même territorialité (Elisalde,
2002). Le territoire « se repère à différentes
échelles de l'espace géographique » (Di Méo,
1998 : 37). Ainsi, la plupart des études sur la territorialisation
privilégient avant tout la mise à jour des logiques de
fonctionnement internes d'un territoire, auquel s'adjoignent parfois des
emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si elles
reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du lieu
étudié, en laissant souvent de côté les
réactivités induites par les interactions avec des ensembles
spatiaux voisins et de même niveau. Cette notion complexe, qui est au
centre de notre analyse, mérite d'être revisitée sous
l'angle systémique afin de produire une définition
opérationnelle qui cadre avec la situation du Nord-Cameroun dans le cas
du territoire de mobilité pastorale.
Les géographes des années 1960 ont toujours
ramené tout à l'espace alors que ceux d'aujourd'hui utilisent de
plus en plus le terme de territoire pour qualifier la même
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entité. Certaines définitions des concepts de
territoire et d'espace géographique sont en effet très
proches32. Ce changement reflète selon Claval (1995), pour
une part les débats épistémologiques internes à la
discipline, mais surtout d'une transformation profonde du monde et d'une
mutation corrélative des façons de le comprendre : ici,
l'attention est plus accordée à la manière dont les hommes
vivent le milieu où ils sont installés, la façon dont ils
se l'approprie, le sentiment qu'ils ont ou non d'être chez eux, de se
sentir parmi les leurs, de s'intégrer et de se battre pour se maintenir
sur ce territoire.
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