WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

L'accès, la gestion et le contrôle des territoires de mobilité pastorale se jouent dans un contexte sociétal qui permet à chaque acteur de tirer parti de sa situation. Si le foncier pastoral est contrôlé et gérer étroitement par les autorités traditionnelles qui y tirent l'essentiel de leurs revenus, pour y accéder, les éleveurs dépensent régulièrement et annuellement en nature et en espèce.

Malgré les rentes qui leurs sont versées, les autorités traditionnelles n'hésitent pas à remettre en cause les acquis de longues dates sur les territoires pastoraux des éleveurs. Les autorités administratives quant à eux perçoivent les différentes taxes imposées par

73

l'État, mais leur influence sur la gestion des territoires pastoraux et des conflits qui lui sont attachés est très limitée. En effet, il existe dans les faits une prééminence du droit traditionnel sur la législation foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin saanou y sont omniprésents.

La fixation des éleveurs a permis de développer de nouvelles relations entre eux. Ces relations ne se limitent plus à l'activité d'élevage. Elles se sont fortement diversifiées, allant des échanges et complémentarités autour des matériels de traction, des activités agricoles aux moyens de transports. Cependant, de nouvelles situations conflictuelles ont vu le jour notamment des rivalités entre les campements, la contestation des limites des champs et des transactions foncières.

Les éleveurs profitent également de leurs relations avec les citadins et élites commerçantes de la région pour accéder à certains produits d'élevage très convoités comme le tourteau et les coques de graines de coton, mais aussi à des services urbains et à la limitation des amendes en cas de conflits ou de dégâts.

Dans la région du Nord-Cameroun, de nombreux autres acteurs pratiquent l'élevage. Il s'agit des agriculteurs des gros villages qui détiennent deux ou plusieurs têtes de bétail Si les conflits classiques agriculteurs/éleveurs persistent avec cependant de moins en moins de violence grâce à la proximité géographique des acteurs, ces derniers entretiennent des relations d'échanges et de complémentarités. Ces relations permettent à chacun de tirer parti des atouts de l'autre et de créer une situation de paix sociale latente.

Pour le moment, si les relations entre les acteurs se diversifient en matière de service, une coordination entre eux pour la gestion, l'organisation et l'accès équitable et durable aux territoires de mobilité reste à impulser.

75

DEUXIEME PARTIE : CONTRIBUTION À LA COMPREHENSION

DES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE

76

Chapitre III. Le territoire de mobilité pastorale : essai de définition et
de caractérisation

Le présent essai s'appuie sur le concept de territoire qu'il convient de clarifier et de replacer dans son contexte général et spécifique avant de proposer une définition du territoire de mobilité pastorale. Il s'agit également de présenter les outils et méthodes qui nous ont permis de mieux appréhender et analyser le contexte d'évolution de la situation territoriale du Nord-Cameroun. Nous avons ainsi mobilisé le concept de territoire en mettant l'accent sur son historique, ses implications géographiques, les outils et méthodes pour son analyse. En nous appuyant sur cette clarification conceptuelle et théorique, nous allons essayer d'appréhender le territoire de mobilité pastorale avec ses caractéristiques et enjeux au Nord-Cameroun.

III.1. Évolution du concept de territoire

Depuis son apparition dans la langue française au XVIIIè siècle et avant l'inflation des usages contemporains, le mot territoire a surtout été utilisé, à partir du XVIIè siècle dans un sens politico-administratif. Issu des termes latins territorium et terra, le mot territoire évoque l'idée d'une domination et d'une gestion d'une portion du substrat terrestre par une puissance qui, elle-même, assoit son autorité et sa légitimité sur ce contrôle, qu'il s'agisse d'une collectivité territoriale ou d'un État. Le substantif territoire et le qualificatif territorial dans ce champ sémantique sont censés évoquer l'idée d'une intervention de la puissance publique sur une portion de la surface terrestre au nom d'intérêts supérieurs comme dans le cas de l'État-nation. À contrario, toute réduction de cette soumission a pu faire émerger l'idée d'une « fin des territoires » (Badie, 1995). Des limites (découpage territorial, maillage), dont l'emboîtement hiérarchique peut être dominé par des frontières nationales, matérialisent la pérennité du territoire.

La revitalisation de l'usage du terme territoire dans la géographie universitaire est postérieure aux années 1980 - ce mot ne figure pas en tant que définition dans le dictionnaire de Géographie dirigé par Pierre George (1970) - et s'accompagne d'un

77

élargissement considérable de son champ sémantique. Ce n'est, en effet qu'en 1983 et 1985 que les termes « territorialité » et « territoire » font leur apparition dans les tables analytiques d'une revue comme L'espace géographique. Avant ces dates, rares furent les références à ces termes dans les sujets de thèses déposées ou soutenues (Elisalde, 2002).

C'est aux publications de Ferrier (1984) que l'on doit la réorientation de l'usage de ce terme dans la géographie française, allant dans le sens d'un approfondissement et d'un dépassement du mot espace. Comme tous les termes que les pratiques discursives des géographes ont rendus polysémiques, le concept de territoire est revendiqué par un panel très divers de géographes tandis que simultanément, il se diffuse de plus en plus vers des praticiens d'autres sciences sociales (Elisalde, 2002). Le concept est ainsi apparu dans la production scientifique de géographes à l'instar de Raffestin, Roncayolo, Brunet, Frémont, Sack, Turco, etc., de sociologues comme Marié, Barel, Ganne, etc., d'économistes comme Becattini, Bagnasco, Brusco, Triglia, etc., et d'autres auteurs en sciences sociales (Alliès, Lepetit, etc.) avant de connaître une formidable diffusion dans le domaine des sciences et, peut-être surtout, dans celui de l'action publique et collective (Séchet et Keerle, 2007).

Ces auteurs, selon Elisalde (2002), ne s'accordent que sur l'existence de plusieurs niveaux et de plusieurs postures épistémologiques. Outre un niveau premier où ce terme devient un substitut commode et passepartout du mot « espace », ou encore un synonyme du mot « lieu », ces usages indifférenciés privilégient soit l'approche additive, soit l'exceptionnalisme local : « le territoire est ainsi non seulement un espace économique, mais aussi un espace écologique, juridique et un espace vécu » (Auray, Bailly et al., 1994 : 74). Dans d'autres cas, il sert de socle à des tentatives polémiques de définition de la discipline : « le territoire est une notion concrète qui renvoie à une terre et non à un espace géométrique. Il est tout sauf isotrope et isomorphe. Le territoire a une localisation, une dimension, une forme, des caractéristiques physiques, des propriétés, des contraintes et des aptitudes. [...] Il y a un processus historique unique de formation d'une société et de son territoire. Le fonctionnement territorial d'une société ne peut être appréhendé hors de son rapport à

78

sa propre histoire. En ce sens, la géographie est génétique » Scheibling (1994 : 88). Ces premières acceptions, dans lesquelles tout objet géographique ne peut exister en dehors du champ territoire ne peuvent, selon Elisalde (2002), suffire à cerner les logiques de fonctionnement de l'objet territoire.

Dans leurs synthèses respectives, Le Berre (1992) et Brunet (1986) reprennent les idées de reproduction et surtout d'appropriation, et insistent sur certaines finalités consubstantielles à l'idée de territoire. Le Berre le considère comme « la portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » tandis que Brunet (1990 : 27) le définit de manière analogique : « le territoire est à l'espace ce que la conscience de classe, ou plus exactement la conscience de classe conscientisée est à la classe sociale potentielle : une forme objectivée et consciente de l'espace ». Di Méo (1998 : 63) adopte également la même posture, qu'Elisalde (2002) a qualifié de syncrétique, du fait de sa tentative d'associer l'objectivisme et le subjectivisme : « On retiendra deux éléments constitutifs majeurs du concept territorial ; sa composante espace social et sa composante espace vécu ». L'auteur poursuit en précisant que pour la première, « il s'agit donc de l'identification d'une nouvelle fibre à la fois spatiale du social et sociale du spatial, décryptée par le moyen d'une démarche positiviste, objectivant des rapports dûment répertoriés et analysés par le chercheur », tandis que « le concept d'espace vécu exprime au contraire le rapport existentiel, forcément subjectif que l'individu socialisé établi avec la terre » (Di Méo, 1998 : 67).

Ces tentatives de définition appartiennent, selon Elisalde (2002), à un schéma de pensée qui commence par poser le cadre, l'enveloppe, qui serait l'espace terrestre, considéré comme un donné, puis que l'on remplit par un construit dénommé territoire. Elles ont également en commun de s'inscrire dans le sillon ouvert, il y a une vingtaine d'années par Raffestin (1983). Pour ce dernier, les processus d'organisation territoriale doivent s'analyser à deux niveaux distincts mais fonctionnant en interactions : celui de l'action des sociétés sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentation. Puisque ce sont les idées qui guident les interventions humaines sur l'espace terrestre, les arrangements territoriaux résultent de la « sémiotisation » d'un

79

espace progressivement « traduit » et transformé en territoire. Le territoire serait donc un édifice conceptuel reposant sur deux piliers complémentaires, souvent présentés comme antagonistes en géographie : le matériel et l'idéel fonctionnant en étroites interrelations l'un avec l'autre. Il reste à débattre du degré d'adéquation qui existe entre le ou les projets idéels initiaux et leurs « traductions ». C'est le domaine qu'essaient d'approcher les concepts de territorialisation et de territorialité.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille