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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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II.2. Rapports des éleveurs mbororo avec les acteurs locaux

Les éleveurs entretiennent de nombreux rapports avec les autres acteurs en présence (autorités traditionnelles, autorités administratives, agriculteurs, autres éleveurs, citadins et élites commerçantes). Ces rapports permettent aux éleveurs d'accéder à certains services et aux territoires de pâturage, mais aussi à des échanges et complémentarité. Cependant, quels que soient les acteurs, des conflits persistent (Figure 7).

Citadins et élites commerçantes

RAPPORTS DES ÉLEVEURS AVEC LES ACTEURS LOCAUX

- Gains liés aux règlement des conflits - Redevances annuelles (Zakkat sur le bétail, les produits agricoles et les vergers) - Contributions ponctuelles

- Confiscation d'une partie voire la totalité pour non vaccination des animaux

- Remise en cause des règles d'accès à la terre

- Chantage et obligation de renégociation des sites d'installation

- Conflits et manque de confiance

Autorités traditionnelles

Agriculteurs

- Conflits pour non respect des espaces de pâturage et des pistes à bétail délimités - Conflits pour l'accès aux points d'eau à cause des cultures maraîchères non clôturés - Conflits à cause des dégâts champêtres - Intensification des services (matériels agricoles, travaux champêtres, construction de maison et de clôture...)

- Consolidation des relations d'échanges et de complémentarité (mil, maïs, viande, lait...)

- Réception de nouveaux candidats à la fixation

- Multiplication des confiages

- Location de matériels agricoles

- Échanges et/ou vente des intrants agricoles (engrais, urée, herbicides...)

Eleveurs entre eux

- Échanges d'information sur les pâturages - Réception de nouveaux candidats à la sédentarisation

- Échanges et complémentarités autour des matériels de traction sous forme de prêt gratuit ou d'échange de travail

- Échanges des moyens de transport (vélos, motos)

- Émergence de travail communautaire non rétribué (surga) - Rivalités entre les campements

- Contestation des limites des champs - Conflits autour des transactions foncières telles les ventes, les prêts, les legs, les dons, l'héritage des terres

Autorités administratives - Impôts forfaitaires

- Taxe de transhumance

- Laissez-passer sanitaire

- Taxe de marché pour la commune - Taxe d'inspection sanitaire vétérinaire - Frais de vaccination (3 fois par an) - Amendes officielles et abusives réclamées par les services de sécurité - Amendes abusives pour défaut de latrines des services d'hygiène

- Epargne attractive en élevage gardé par les éleveurs

- Accès aux aliments pour bétail vendus en ville (tourteaux, sons...)

- Limitation des effets des conflits avec les autres acteurs

- Captage de la rente liée au confiage des animaux

- Augmentation du capital de mobilité

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Figure 7. Rapports des éleveurs mbororo avec les autres acteurs locaux II.2.1. Rapports avec le pouvoir traditionnel : entre taxes et conflits latents

Pour les autorités traditionnelles, la présence permanente des éleveurs mbororo sur leurs territoires est une aubaine. En plus, des gains liés au règlement des conflits, les éleveurs versent annuellement une redevance (la zakkat) au laamii'do. Ainsi, les dépenses annuelles liées aux diverses taxes traditionnelles souvent arbitraires sont-elles importantes pour les éleveurs mbororo potentiellement riches en bovins. La zakkat versée au Laamii'do est appelée jomorngol laamii'do ou hacce leddi (droit de la terre du Laamii'do). Auparavant, les éleveurs ne payaient que la zakkat sur les boeufs à raison d'un veau de 2 à 3 ans par troupeau de 30 têtes par an. Pour les moutons et les chèvres, elle était d'une tête par troupeau de 40. Avec la sédentarisation, ils ne s'en acquittent plus en nature mais en espèce (5 000 FCFA pour les jeunes chefs d'exploitation et 10 000 FCFA pour les grandes familles) que le jawro remet au sarkin saanou qui l'achemine au laamii'do. La zakkat par an sur les cultures est versée en nature au jawro à raison d'un sac de maïs par chef d'exploitation que

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collecte le jawro. Ce dernier l'achemine à l'ar'do qui se charge à son tour de l'envoyer au laamii'do.

Par ailleurs, les éleveurs mbororo s'acquittent régulièrement des collectes ponctuelles (umroore laamii'do) qu'impose le Laamii'do aux habitants de son territoire lors d'un événement dans son lamidat (funérailles, fêtes, réception d'une autorité...), mais aussi pour la réfection de sa clôture, des murs de ses concessions... Le Jawro se charge de collecter la somme exigée auprès des éleveurs puis la remet à l'ar'do qui à son tour l'achemine au laamii'do. Le sarkin saanou, « le ministre coutumier de l'élevage » du laamii'do, qui se situe à l'interface entre les éleveurs et les pressions extérieures (services vétérinaires, taxes coutumières, communales...) est chargé de veiller au respect de ces collectes. Les éleveurs qui détiennent un capital important se trouvent très exposés et excluent une partie des animaux des vaccinations pour préserver leur patrimoine. C'est sans doute pour cela qu'un éleveur mbororo a tenu les propos suivants : « du fait de notre ignorance, nous les mbororo sommes considérés par les autorités administratives, traditionnelles et sanitaires comme de véritables vaches à lait » (Kossoumna Liba'a, 2008).

Sans prendre un caractère ouvert, les conflits entre les différents niveaux des autorités traditionnelles et les éleveurs sont fréquents. Le ressentiment et la rancoeur sont grands dans les communautés d'éleveurs par rapport à l'application de l'échelle des peines et sanctions en cas de dégâts champêtres. Dans beaucoup de cas, c'est la victime elle-même qui se voit accorder la latitude de fixer unilatéralement le montant des dommages et intérêts dus. Les éleveurs estiment que les sanctions appliquées aux agro-éleveurs sont moins importantes car à l'inverse les sévices et les mauvais traitements infligés à leur bétail sont rarement indemnisés puisque le rapport de force n'est pas en leur faveur. Les faisceaux de présomption rendent vraisemblables cette pratique à la lumière de tous les entretiens recueillis dans les deux villages. Les nombreux cas portés à notre connaissance montrent qu'en cas de contestation de l'estimation des dégâts, c'est l'agriculteur qui a le dernier mot. C'est ce qui a fait dire au Délégué d'arrondissement de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales de Tchéboa que « l'agriculteur n'a jamais tort. Ils sont là pour provoquer et s'ils

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provoquent, c'est l'éleveur qui paie » (Kossoumna Liba'a, 2008). Ainsi, chez les éleveurs prévaut le sentiment qu'il y a une complicité agissante entre les chefs traditionnels et les agriculteurs, vivants souvent depuis très longtemps ensemble, contre les éleveurs mbororo encore instables dans la région. Leur errance et leur analphabétisme les rendent vulnérables comme l'exprime Ndoudi Oumarou : « Quel que soit l'endroit où nous nous trouvons, aucune considération ne nous est due, à nous les Mbororo. Comment l'expliquer ? Nous sommes des gens sans village et sans terre, des illettrés, peu instruits de notre religion, ne sachant rien des choses du monde f...]. Tel est notre sort, à nous gens de la brousse, nomades sans instruction, tout juste bons à être exploités en tous lieux et par tous ! » (Bocquéné, 1986).

Les éleveurs reprochent également aux chefs traditionnels de ne pas toujours attirer l'attention de leurs administrés par rapport à des acquis de longue date notamment sur les couloirs de passage, les aires de pâturage colonisés par les agriculteurs qui n'hésitent pas à faire des champs pièges autour des mares et les cours d'eau traditionnellement réservés à l'élevage. C'est ainsi que dans les espaces de pâturage bornés, des agriculteurs possédant des parcelles ont déclaré qu'après la délimitation de cet espace, le laamii'do leur a demandé de reprendre l'exploitation de leurs parcelles au grand dam des éleveurs qui s'apprêtaient à cotiser de l'argent pour le sarkin saanou afin qu'il expulse ces agriculteurs.

Les incertitudes sur le foncier et la fiscalité sont ainsi cultivées et exacerbées par les autorités traditionnelles qui n'hésitent pas à remettre chaque année en cause les règles d'accès à la terre28. La rente captée par les autorités traditionnelles est donc le moyen par lequel les éleveurs ont obtenu des espaces. Ces autorités, pour continuer à obtenir des éleveurs des faveurs remettent régulièrement en cause ce droit d'accès et de jouissance ; ce qui, évidemment pousse les éleveurs à déplacer chaque fois leurs sites d'installation ou à renégocier ceux sur lesquels ils sont installés. Il en est de même de la reconnaissance des zones attribuées aux pâturages qui sont à la fois octroyées aux

28 Les éleveurs n'ont jamais l'assurance une année sur l'autre d'avoir accès aux mêmes zones pastorales qui peuvent leur être retirés par les autorités traditionnelles ou partiellement défrichés par les agriculteurs. Si les communautés d'éleveurs ne se plient pas à l'impôt coutumier (zakkat) et à d'autres formes de prélèvement, les autorités traditionnelles peuvent remettre en cause très rapidement leurs droits d'accès aux parcours.

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agriculteurs. Cela engendre des conflits, sources de revenus pour les chefferies lors des médiations.

II.2.2. Rapports avec le pouvoir administratif : entre perception des taxes officielles et rackettes

Sur le plan administratif et officiel, tous les éleveurs mbororo paient l'impôt forfaitaire annuel de 3 500 FCFA/an par adulte actif. À cela, il faut ajouter des taxes sur l'élevage comme la taxe de transhumance, le laissez-passer sanitaire, la taxe d'inspection sanitaire, la taxe de marché pour la commune. Les Mbororo sont également taxés pour défaut de fosse septique par le Service d'Hygiène29. La sédentarisation des Mbororo constitue ainsi une manne pour l'État. Les raisons évoquées par les décideurs politiques pour la sédentarisation des éleveurs ont trait à leur volonté de veiller au bien-être des populations marginales et à leur développement économique et social. Mais la raison inavouée est liée à la fiscalité et à une politique de répartition géographique de la population. En économie, toute activité qui génère des revenus permet à l'État, via la fiscalité de percevoir des recettes qui vont contribuer au développement du pays (construction des infrastructures, paie des fonctionnaires...). Le contrôle des revenus liés à l'élevage est donc un enjeu important pour l'État et les autorités traditionnelles. Ils ont besoin de maintenir les éleveurs dans la zone et de trouver un équilibre entre apports de service (santé principalement) et prélèvement de taxes. Au quotidien, les éleveurs subissent de nombreux rackets de la part des forces de maintien de l'ordre. Beaucoup d'entre eux ne possèdent pas de pièces d'identité et rencontrent, de ce fait, de multiples tracasseries de la part de la police et de la gendarmerie. Aussi aberrant qu'il soit, au Cameroun, celles-ci demandent parfois des actes de naissance aux barrières routières, faute de quoi elles harcèlent les Mbororo. Le harcèlement des éleveurs est en réalité une des multiples faces du système d'exactions perpétrées par tous les services administratifs, techniques et traditionnels. Ils sont taxés de façon illégale et démesurée même pour des petites infractions. Même

29 Les Mbororo habitué à vivre en brousse et en permanent mouvement ne sont pas très familiers des fosses septiques et tendent à négliger leur implantation. Ce qui les expose à des amendes régulières de la part des autorités.

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si les populations nomades subissent des effets de tracasseries, les Mbororo ne bénéficient pas d'une protection au niveau des autorités locales ; ils sont généralement perçus comme des gens aisés qui sont en mesure d'assumer des dépenses monétaires importantes. En somme, on constate que les éleveurs mbororo sont brimés et subissent un traitement défavorable.

En cas de conflits, les instances officielles de règlements des litiges agro-pastoraux institutionnalisés au niveau de chaque arrondissement par le Décret n° 78/263 du 03 septembre 1978 ne sont sollicitées qu'en cas de gravité (mort d'homme par exemple). Cette commission regroupe des représentants de tous les acteurs (administrations, laamii'do, Ministère de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA), Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MINADER), un représentant du Cadastre, agriculteurs, éleveurs,...). Elle est présidée par le sous-préfet. Ce décret fixe également le fonctionnement de la commission consultative sous-préfectorale qui devait normalement être dotée de moyens de fonctionnement (au moins pouvoir se déplacer sur le terrain). Ce qui n'est pas le cas. Aussi, ces commissions ne se réunissent-elles pas, sauf si les plaignants les payent. Les sous-préfets sont les « chefs de terre », avec un statut de « diplomates pompiers » n'intervenant qu'en cas de conflits patents et risquant de créer des conflits sociaux violents. Ces commissions n'étant pas toujours acceptées par tous, elles n'empêchent nullement les pratiques (ou les tentatives, plus ou moins fréquentes) de détournement ou de contournement.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams