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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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II.1.1. Les différents lignages présents dans la région

Les Djaafun furent les premiers à s'installer sur les plateaux camerounais, antériorité dont ils retirent encore quelque prestige. Ce sont en effet les éleveurs les plus « urbains » et les moins mobiles. Ils possèdent des animaux de petite taille (gudaali) à proximité de Garoua et disséminés sur les bords de la Bénoué où les femmes commercialisent activement leurs produits laitiers (Reiss et al., 2002). Selon ces auteurs, les Djaafun avaient des animaux à robe rouge de plus grand format et ce changement de race indique que leur mode de vie n'a pas sensiblement changé dans les seules dernières décennies. Leur attrait pour les zones urbaines de consommation et la diversification des activités agricoles n'est pas un fait récent. Dans leurs pratiques d'élevage, les Djaafun limitent autant que possible les mouvements des troupeaux et tentent de conserver la plus grande part des effectifs en production laitière sur les lieux du domicile. Le reste du cheptel est assez mobile et même si les animaux supportent des conditions difficiles, les déplacements en quête de la pousse de l'herbe au moment des premières pluies sont assez systématiques ; d'autres éloignent aussi les troupeaux de l'habitat pendant de plus longues périodes. Ils tentent aujourd'hui de faire front aux pressions des agriculteurs en cultivant intensément, de façon à matérialiser leur emprise sur les espaces qu'ils revendiquent en qualité de premiers occupants. Leur installation est en effet antérieure à celle des agriculteurs migrants venus de l'Extrême-Nord dans les années 1970 et remonte déjà à 15 ou 20 ans auparavant. Ils pratiquent une agriculture « d'entreprise » et rémunèrent même les bergers toupouri ou massa de l'Extrême-Nord qui se font saisonniers. Leurs revendications territoriales sont très fortes et les zones d'installation et de pâturage qui leur sont réservées (hurum) sont précisément délimitées par les autorités coutumières parfois avec l'appui des projets et programmes de développement.

Les Daneedji comme leur nom l'indique possèdent systématiquement des animaux à robe blanche. Ces animaux de grand format sont appelés Mboroodji. Les animaux à robe rouge boodeeji sont dits davantage sélectifs ; les bokolos sont particulièrement

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exigeants et la recherche de conditions optimales d'élevage rassemble les éleveurs qui travaillent avec ces races de bétail de grande corpulence. Les daneeji commercialisent cependant leur production laitière et gravitent autour des villages.

Les woodaabe sont moins attachés à la vente du lait. Les transhumances d'assez grande amplitude sont systématiques. Ces éleveurs sont très spécialisés dans leur activité et seuls les plus anciens aspirent à imiter les djaafun en s'installant à proximité des villages et en développant des activités agricoles. Les activités pastorales en revanche ne sont jamais déléguées. Leurs animaux ne répondent qu'à leurs maîtres dont la vie pastorale est au coeur des préoccupations. L'autre préoccupation de ces éleveurs woodaabe, est de clarifier la question de la traversée des zones de chasse pour transhumer vers le Sud. Ces déplacements prêtent toujours à des transactions avec les gardes chasses qui n'offrent pas beaucoup de garanties lorsque les éleveurs sont interpellés dans les limites de ces zones cynégétiques.

Comme toutes les sociétés peules, les sociétés pastorales mbororo sont très hiérarchisées (Reiss et al., 2002). En effet, des unités familiales rassemblées autour d'un ou plusieurs troupeaux, évoluent ensemble et forment le toccal conduit par un ar'do23 qui joue le rôle de protecteur, de conciliateur et d'intermédiaire vis-à-vis du monde extérieur. L'origine généalogique et le charisme de certaines personnes leur confèrent la légitimité de représenter l'ensemble du lignage ou une partie de celui-ci qui rassemble plusieurs toccal. Leur titre est alors celui de laamii'do. Ces responsables prêtent allégeance au laamii'do peul sédentaire, souverain absolu de l'ensemble du territoire coutumier. Celui-ci exerce une pression fiscale occulte sur les lignages d'éleveurs mbororo, en contrepartie des droits d'accès offerts sur ses terres. Les modalités de séjour, d'installation et d'expropriation sont fixées par le sarkin saanu, responsable coutumier de l'élevage auprès du laamii'do Peul.

23 Littéralement, ar'do signifie « un homme qui marche devant ses personnes et le bétail ». Avant d'être intégré dans une organisation de pouvoir étendu, l'ar'do était le chef du groupe des éleveurs. Avec la restriction des espaces de pâturage, chaque famille a dû chercher son propre espace pour son bétail. Lorsque le processus de sédentarisation s'est amorcé, chaque ar'do est devenu un laamii'do, qui signifie souverain régissant un secteur géographique. L'espace a été structuré selon une organisation de puissance : le laamii'do est désormais le commandant d'un territoire appelé tuutawal ou du lamidat dans la littérature française du Nord-Cameroun. Toutes les terres cultivées ou non lui appartiennent (Koulandi, 2006).

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Au sein des lignages, les éleveurs mbororo apparaissent extrêmement solidaires et leurs richesses structurent avant tout l'organisation sociale avant de profiter aux individus qui les détiennent. En vertu du pulaaku (code de conduite des peuls)24, les relations sont fondées sur une moralité rarement transgressée à laquelle les éleveurs de brousse sont particulièrement attachés (Bocquené, 1986 ; Labatut et Issa, 1974). La vie sociale est constamment balisée par le jugement des pairs sur les agissements et comportements des membres du groupe. Gausset (2003) relève que la liberté est un aspect important du pulaaku. Pour cet auteur, le fulbe se définit par opposition aux populations locales qu'il décrit comme laides, grossières, païennes, de pauvres agriculteurs sédentaires et esclaves. La plupart de ces critères font référence à la liberté : forte capacité de contrôle de leurs émotions et de leurs besoins physiques, absence de superstition, liberté de déplacement avec le bétail (Gausset, 2003). Les lignages des woodaabe disposent d'ailleurs de personnalités morales, les gerema qui sont chargés de faire respecter le pulaaku. Leur plus haut responsable est le laamii'do pulaaku qui dispose d'au moins deux représentants dans chaque chefferie peule sédentaire. Il s'agit d'une seule personnalité pour tous les woodaabe. Il peut être consulté indifféremment dans les trois pays où les lignages sont dispersés (Nigeria, Cameroun et Centrafrique).

La plupart des lignages aujourd'hui présents situent leur entrée lors d'un transit par le Lamidat de Demsa, il y a de cela 35 à 40 ans25. Leur dispersion s'est poursuivie vers le sud de Garoua ou vers les pays voisins. Les statistiques du Ministère de l'Elevage, des Pêches et des Industries Animales ainsi que les témoignages des sarkin saanou, font état d'une forte diminution de plus de 50% des effectifs du Lamidat de Tchéboa depuis le début des années 90. À cause de leur permanente mobilité à la fois pour la recherche de pâturage et d'eau, mais aussi pour fuir les exactions des coupeurs de route, il est difficile de donner un chiffre précis sur les effectifs des Mbororo au Nord-Cameroun. L'Association pour la Promotion et le Développement Economique et Social (Hore

24 C'est un code social et moral, mais aussi un système de pression psychique dont les valeurs principales sont la résignation, l'intelligence, le courage, l'austérité, le sang-froid et l'absence de spontanéité (Schilder, 1994).

25 Mais les Mbororo sont arrivés depuis bien longtemps en Adamaoua et à l'Ouest du Cameroun

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Pulaaku) a avancé en 2010 le chiffre de plus de 500 000 Mbororo répartis en 52 clans. Leur nombre fluctue au grès de leurs allées et retour entre le Cameroun et le Nigeria ainsi que l'arrivée de ceux venus de RCA fuyant les persécutions et les exactions des anti-balaka qui tuent, torturent, violent.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon