L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. LesRois BELL et l'administration coloniale allemandeLes chefs étaient encouragés et ceux qui paraissaient les meilleurs étaient aidés dans les luttes qui les opposaient à leurs rivaux traditionnels. C'est ainsi que le King BELL, à Douala, bénéficia pendant longtemps du soutien du gouvernement allemand, lequel espérait peut-être réaliser ce que les Duala ne purent jamais mener à bien : une sorte de royauté côtière dont ils se seraient fait l'allié. Mais l'expérience prouva pour de multiples raisons, entre autres désaccords entre tous les Duala et leur volonté commune de ne pas vouloir réellement et inconditionnellement coopérer, que pareil système coupait non seulement le pouvoir colonial des populations mais encore aggravait les querelles entre chefs. A ce propos, un texte de 1919, relatif à l'organisation allemande est très significatif : « La politique allemande avait cherché à un moment donné, à étendre à l'intérieur l'influence des familles dominantes de Douala, principalement celle des BELL, tandis que l'autorité des Akoua était combattue.En 1911, DIKA AKOUA, chef d'Akoua fut déporté et toute la région passa sous l'autorité de LOBE BELL. Mais les Allemands ne se résignèrent pas à accorder à ce chef une autorité complète. Eux-mêmes en matière administrative et fiscale, se tenaient en contact direct avec les groupements indigènes. Des inspecteurs de police européens passaient périodiquement dans les villages et contrôlaient l'exécution des ordres venus du Chef de circonscription, quand, ils ne le faisaient pas exécuter directement »1000(*). Un passage de l'ouvrage de Théodore SEITZ, dont les rapports avec les Duala furent on ne peut plus respectueux est révélateur à ce sujet : « le travail essentiel de l'administration, écrivait-il, consistait à surveiller les chefs sur les territoires desquels s'étendait l'administration. Il en résultait souvent des situations désagréables parce que d'un côté, il fallait prendre en considération les coutumes et points de vue des indigènes, d'autre part, il était impossible d'admettre des délits trop graves allant à l'encontre des notions européennes de droit et de moralité. Un tel cas s'est produit en 1896 alors que je remplaçais le gouverneur en congé. Un Duala vint un après-midi au Gouvernement et m'annonça que MANGA BELL faisait dire que son père avait tué une de ses femmes dans un accès de jalousie. Je me rendis immédiatement à la « Place » du vieux King, elle était complètement déserte. La fille préférée de King BELL se trouvait près d'une case, une soeur de MANGA criait et secouait, vivement la porte de la case. A mes questions, elle répondit que son père avait frappé à mort une femme dans la case. Tout de suite après, la porte s'ouvrit et le vieux apparut, le corps tremblant d'émotion. Dans la case était suspendue à un poteau une femme morte. King BELL me déclara qu'il avait surpris la femme en flagrant délit d'adultère, c'est pourquoi il l'avait tuée. La situation était critique.D'uncôté, le vieux avait agi en proie à une émotion « bien compréhensible » (c'est nous qui le soulignons) et avec la conscience de son droit, ce qui sans aucun doute, répondait à l'ancienne coutume qui était surement encore reconnue par la plus grande partie des Duala. D'un autre côté, le Gouvernement ne pouvait reconnaître à aucun chef se trouvant sous son administration, le droit de vie et de mort ; il n'était pas non plus possible d'ignorer simplement le fait, non seulement à cause de nos sentiments mais aussi de la fraction chrétienne des Duala.Le lendemain, j'ai convoqué au Gouvernement le vieux King et lui déclarais en présence de son fils MANGA qu'en punition il serait exilé dans un de ses villages du Mungo. En général, les Duala parurent d'accord avec cette mesure... Le vieux King BELL ne semblait pas en être d'ailleurs très affecté. Lorsque vers Noël 1898, j'ai été appelé à son lit de mort, il y était étendu avec un sourire paisible et ironique sur sa brave figure de despote. Ainsi a-t-il trépassé en pleine paix avec lui-même »1001(*). Dans la lignée des BELL, MANGA, le « King » qui accueillit l'occupant allemand en 1884, s'impose par sa fidélité aux colonisateurs, fidélité de vassal et non de sujet : il « conservera ses habitudes, ses croyances en même temps que ses 221 femmes, favorisa les Missions et demeura dans les meilleurs termes avec l'Administration allemande »1002(*). En 1897, on rendra à ses obsèques les honneurs militaires. MANGA BELL, son fils, élevé en Angleterre et chef de 1897 à 1908, accompagna les chefs AKWA en Allemagne pour protester contre le gouvernement de VON PUTTKAMER : « Cependant, (il) s'abstint, en Allemagne,de collaborer aux campagnes amorcées dans la Presse par les chefs AKWA. Il fut reçu par le Kaiser, assista à la revue d'automne, et resta jusqu'à son décès l'ami des Allemands »1003(*).Rudolf DUALA MANGA BELL, qui lui succéda en 1908, reçut en Allemagne une éducation complète. C'est lui qui s'opposa à l'expropriation acquérant auprès de la population une « réputation extraordinaire » ... « La légende veut qu'il ait refusé une somme de 300.000 marks que lui auraient affecté les Allemands pour acheter son silence »1004(*). C'est après sa pendaison qu'AlexandreDOUALA MANGA, son fils, qui poursuivait des études de médecine en Allemagne et qui s'était engagé volontairement dans les hussards, demanda à retourner à la vie civile... ». Par la suite, nous évoquerons les relations entre la dynastie AKWA et l'administration coloniale allemande. * 1000 Mission 1919-1920. Service de la Circonscription de Douala. In René GOUELLAIN, « DOUALA - VIE ET HISTOIRE », Enquête réalisée avec le concours du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), Paris, Institut d'Ethnologie, Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Place du Trocadéro, 16ème, 1975. * 1001 T. SEITZ, Vom Aufsting und Niederbruch deutscher Kolonialmacht, Karlsruhe, 1929. In R. GOUELLAIN, « DOUALA - VIE ET HISTOIRE », Enquête réalisée avec le concours du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), Paris, Institut d'Ethnologie, Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Place du Trocadéro, 16ème, 1975, pp. 143-144. * 1002 Mission d'inspection 1919-1920. In R. GOUELLAIN, « DOUALA - VIE ET HISTOIRE », Enquête réalisée avec le concours du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), Paris, Institut d'Ethnologie, Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Place du Trocadéro, 16ème, 1975. * 1003Idem. * 1004Idem. |
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