L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. La bataille Germano-BamounBamun contre les NsohFondée en 1887, la « DeutscheKolonialgesellschaft » montait une intense campagne en faveur de l'occupation de l'hinterland du Cameroun, et s'était déclarée prête à financer la pénétration jusqu'au lac Tchad. Elle était le prolongement du « Kolonialverein », première association coloniale nationale allemande créée en décembre 1882 à Frankfurt-am-Main. Le « Kolonialverein » s'occupait des questions relatives à l'Afrique ; c'est lui qui organisa les expéditions qui devaient aboutir à la conquête de l'hinterland du Cameroun. L'instrument indispensable de cette conquête fut la « Kaiserliche Schutztruppe », une armée de terre mise sur pied le 30 octobre 1891 avec quelques 300 soldats recrutés à Port-Saïd en Égypte par Kurt VON MORGEN, et dont le quartier général était à Douala853(*)854(*). C'est cette armée qui conduira les différentes expéditions punitives dont celle en territoire Nsoh et cristallisera les mouvements de résistance des peuples « rebelles ». Elle nous permet également d'exposer la conception de la guerre chez les Nsoh. · La guerre chez les Nsoh La guerre apparaît en effet comme l'antagonisme de deux ou plusieurs sociétés globales, avec leurs mentalités et leurs idéologies, mais aussi leurs techniques, leur art, celui de l'organisation des armées, de la tactique et de la stratégie, de l'emploi des outils et des machines de destruction et de la pratique des combats.855(*) GastonBOUTHOULa montré que la guerre est une forme de la violence qui a pour caractéristique essentielle d'être méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent856(*).La guerre occupait chez les Nsoh une place prépondérante, et les campagnes les plus importantes aux XIXème et début XXème siècles furent celles de Noni contre Din, Dom, Djottin, Lasin, Nbinon et Nkor, la guerre contre les BamounBamun au cours de laquelle les Nsoh tuèrent le Roi NSANGU, et les campagnes de Nsungli.S'agissant de la guerre contre les Allemands, les Nsoh savaient déjà qu'elle était inévitable, et la préparaient minutieusement857(*), notamment par des techniques magico-religieuses. En effet, on rapporte que le Fon des Nsoh, SEMBUM II858(*) avait la capacité de se transformer en serpent, en oiseau ou en caillou, ce qui lui permit d'échapper aux Allemands859(*). Ces techniques ont permis aux combattants et aux chefferies de se défendre. La guerre, étant régie dans ces sociétés par les valeurs mystico-religieuses, exigeait une préparation rituelle et une mise en condition des combattants. Puisque la guerre est un facteur de mort, il fallait être en accord avec les ancêtres, afin de mourir en héros. Dans le cas contraire, la mort était inutile
puisqu'elle n'était pas accueillie ou voulue par les ancêtres.
C'est ce qui explique pourquoi chaque guerrier était tenu de
« se préparer » spirituellement avant d'aller en
guerre, pour demander la force à ses ancêtres, ainsi que leur
protection860(*).
Malheureusement, toutes ces pratiques magico-religieuses n'assureront pas la
victoire au peuple Nsoh comme le décrit le déroulement de la
bataille ci-dessous. · Le déroulement de la bataille LesAllemands comprirent eux-mêmes qu'il fallait bien se préparer avant de lancer l'attaque contre Nsoh, qui eut finalement lieu le 27 avril 1906. Onze officiers allemands dont HansGLAUNING, VON WENCKSTERNet KOLLNER, 190 soldats noirs de la Schutztruppe et 02 mitrailleuses, tels sont les moyens que les conquérants mobilisèrent pour affronter les Nsoh.861(*)862(*) Le capitaine HansGLAUNING, chef de la station militaire de Bamenda, accompagné de 90 soldats, occupa d'abord la localité de Vekovi où il écrasa le bataillon de Mandjon qui s'y trouvait. Les résistants firent bon usage du milieu naturel, par exemple le fait de se dissimuler dans la foret, afin de ne pas être aperçus par l'ennemi qui s'y connaissait peu ou pas du tout.Les conquérants tentèrent plusieurs fois de les déloger, mais sans succès. Résolu à mettre définitivement un terme à cette résistance des Nsoh, le capitaine GLAUNING réorganisa ses troupes de façon à encercler laforet dans laquelle les résistants étaient dissimulés, et lança l'attaque le 09 mai. Un échange de tirs bien nourris s'ensuivitet dura jusqu'au 19 mai863(*). Sur le bilan de cette « guerre de dix jours », les sources divergent : « pour le capitaine GLAUNING, il y eut 30 morts chez les résistants864(*). Pour FAAY TSENNGKAR, un informateur qui a vécu les évènements et qui a été interviewé en 1960 par P.M. KABERRY et E.M. CHILVER, les Nsoh ont perdu 1 000 hommes dans cette guerre »865(*). A cela, il convient d'ajouter un nombre élevé de blessés et de prisonniers de guerre. Le Fon des Nsoh, SEMBUMII866(*) fut lui-même blessé, mais réussit à s'enfuir. Les traditions locales rapportent que c'est sa capacité de se transformer en serpent, en oiseau ou en caillou qui lui permit d'échapper aux Allemands867(*). Les conquérants incendièrent son palais à Kumbo où ils installèrent leur camp, et exigèrent qu'il vienne lui-même présenter sa soumission. SEMBUMII, qui se considérait comme un grand chef de guerre, voulut continuer à résister. Mais sur conseil de ses proches collaborateurs parmi lesquels NDZEENDZEV, il finit par se rendre aux Allemands, afin d'éviter que la reine mère YAA WO FAA qui venait d'être capturée par les conquérants ne fut tuée, ou encore pour éviter, à l'instar d'ABUMBI, Fon de Bafut,le massacre de sa population par les Allemands868(*)869(*). C'est alors qu'il retourna dans son palais en ruine, et travailla désormais, tout comme le Fon de Bafut, en étroite collaboration avec les autorités de la station militaire de Bamenda. * 853 H. PURSCHEL, Die Kaiserliche Schutztruppe fur Kamerun, Berlin, Junker und Dunnhaupt Verlag, 1936. La Schutztruppe était divisée en compagnies à la tête desquelles se trouvaient quelques officiers et sous-officiers allemands, l'essentiel de chaque compagnie étant constitué de tirailleurs africains. * 854 A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands (1884 - 1916), L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 53. * 855 Ibid, p. 54. * 856 G. BOUTHOUL, « Le phénomène-guerre. Méthodes de la polémologie. Morphologie des guerres. Leurs infrastructures (technique, démographique, économique) », Paris, Payot, Tabl. (Coll. Petite bibliothèque Payot, n°29), 1964,p. 44. * 857 V. G. FANSO & E. M. CHIILVER, « Nso and the Germans: The first encounters in contemporary documents and in oral tradition », 2011. In BONGFEN CHEM-LANGHEE & V. G. FANSO, Nso' and its neighbours. Readings in the Social History of the Western Grassfields of Cameroon, Langaa PRCIG, Cameroon, 2011, p. 114. * 858 Ou SEM II. * 859 Bundersarchiv Berlin, R 1001, Nr. 3353, ff. 14-15. * 860 N. LAVALLIÈRE BETGA, « Les techniques de défense des chefferies bamiléké de l'Ouest-Cameroun, du XVIe au début du XXe siècle », p. 33. Article mis en ligne le 16 novembre 2018 sur le site http://journals.openÉdition.org/ephaistos/3289 et consulté le 26 août 2021. * 861 Bundersarchiv Berlin, R 1001, Nr. 3353, ff. 9-11. * 862 A. P. TEMGOUA, LeCameroun à l'époque des Allemands (1884 - 1916), L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 96-97. * 863 Ibid, f. 11. * 864 Ibid. * 865 F. TSENNGKAR, cité par V. G. FANSO & E. M. CHILVER, Nso and the Germans: The first encounters in contemporary documents and in oral tradition, 2011, p.118. * 866 Ou SEM II. * 867 Bundersarchiv Berlin, R 1001, Nr. 3353, ff. 14-15. * 868 ANY, FA 1/ 110. Le Fon des Nsoh eut également à payer une lourde indemnité de guerre : 70 défenses d'ivoire, et de nombreux travailleurs pour l'aménagement de la route de Nso à Banyo et de Nso à Babesi. Il mourut en 1907, et fut remplacé par Mapiri qui ne régna que trois ans, de 1907 à 1910. * 869 A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands (1884 - 1916), L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 98-99. |
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