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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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B. L'AIDEDU PEUPLEBAMOUNBAMUNDANSLE PROCESSUSDE CONQUÊTE DES PEUPLES « REBELLES » PAR L'ADMINISTRATION COLONIALE ALLEMANDE 

Comme nous l'avons précédemment évoqué, le Roi NJOYA équipa 200 soldats BamounBamun en soutien à cette campagne punitive des Allemands contre le peuple Nsoh.LesNsoh opposèrent une résistance ferme à la force conjointe Germano-BamounBamun.Au cours du combat, les soldats BamounBamun ont fait acte de cruauté, ce qui força le capitaine GLAUNING à les renvoyer chez eux en pays BamounBamun.

Nous pouvons constater que le processus de conquête des Nsoh a été du fait de la collaboration entre les BamounBamun et l'administration coloniale allemande qui traduit le fruit d'une longue tradition guerrière du peuple BamounBamun (1-)?

Et cet état de fait va déboucher sur une collaboration entre le peuple BamounBamun et les soldats allemands pour dominer le peuple Nsoh(2-).

1. Le peuple BamounBamun : un peuple guerrier et conquérant au fil des siècles

Selon les rédacteurs de l'« Histoire et coutumes des Bamun », la vision du Roi MBUEMBUE est résolument impérialiste, voire belliqueuse : « Je poserai les limites de mon royaume avec du sang et du fer noir ». Vu sur cet angle, CharlesTILLY considère que la guerre et la construction de l'Etat opèrent dans « une ambiance de crime organisé ». Les guerres de conquête et les ralliements lui ont certainement permis de grossir les effectifs d'une infanterie encore embryonnaire.

Il est difficile de recenser les stratégies et les tactiques mobilisées par MBUEMBUE dans ces exploits militaires. L'effort louable fourni par ClaudeTARDITS est demeuré parcellaire. Il a dû utiliser la tactique napoléonienne du « carré marchant » dans la mesure où les conquêtes se sont faites exclusivement de la capitale839(*) vers les terminaisons territoriales actuelles. L'architecture la plus répandue à cet effet dans la région fut le creusage des tranchées. Il s'agissait là de fossés aux parois raides et parfois aménagées, constituant l'un des éléments ou lignes de défense visant à gêner et à ralentir l'approche des assaillants.Elles permettaient de renforcer un site, une position dans une situation de guerre ou tout simplement d'insécurité840(*).

Elles couvraient la formation des armées, garantissaient leur repli éventuel et permettaient une économie de force841(*).Et, fin psychologue, il n'hésitait pas à se résoudre au corps au corps. Il est le théoricien de la tactique de la défense bicéphale inscrite dans les armoiries du royaume. L' « Histoire et coutumes des Bamun » lui attribue quarante-huit (48) exploits militaires ; record inégalé dans l'histoire.

Il parachève la conquête du monopole militaire par l'organisation de l'armée en trois corps correspondant aux trois régions militaires de Njimom, Mayap et Foumban.

Il est plausible d'y voir la possibilité d'une professionnalisation plus accrue si le temps colonial n'avait pas introduit une césure brusque dans ce processus. Foumban devient le seul centre d'impulsion politique et la circonvallation qui l'entoure constitue un marqueur spatial et symbolique de sa centralité politique.

Les guerres d'expansion et de conquête notamment avec son voisin Bamiléké en seront de parfaites illustrations.

· La captation militaire : les guerres d'expansion en terre Bamiléké

Le pays Bamiléké est le produit de son propre milieu et de ses dynamiques sociales et historiques intrinsèques842(*). Selon la thèse du grand historien camerounais Edwige MOHAMADOU reprise par Sili AKONOUMBO, « The Baare-Chamba expansion (was) a crucial factor in the organization and the recomposition of the Bamum and theBamileke political systems ».On a donc à l'évidence un système qui s'est organisé sous la forme d'un axe de résistance intérieur et de repli sur soi autour des chefferies qui, beaucoup plus qu'auparavant, trouvaient le moyen de s'unir et de se fédérer pour faire face à l'adversaire commun843(*).

Dans le climat de relative sérénité retrouvée, on vit arriver des étrangers d'autres espèces : les colporteurs mixtes Haoussa - BamounBamun et le colon allemand. Ils cheminent du nord vers le sud pour y vendre : des boeufs, des chevaux, du sel, des perles, de la verrière, des produits exotiques, des textiles et des métaux844(*)en barre.

C'est à cette grande étape de l'histoire Bamiléké qu'intervient la présence notoire du roi NJOYA dans la région.

Parlant des BamounBamun, leur relation avec les Bamiléké s'inscrit dans le sillage des guerres d'expansion et des routes commerciales que les combattants ont ouvertes du Nord vers le Sud. En effet, la pression des BamounBamun s'exerçant sur la bordure est du plateau Bamiléké pendant toute la période précoloniale : les Baleng, les Bandjoun, les Bangangté et les Bangoulap furent presque constamment soumis à la pression des BamounBamun surtout après la bravoure du roi MBWEMBWE qui poussa les frontières de son royaume jusqu'au Noun.Ils ne furent cependant pas toujours heureux dans leurs raids et souvent ils furent établis entre certaines chefferies Bamiléké et le royaume BamounBamun. Sur le plateau Bamiléké, les exemples des chefs NENGOU de Baleng et KAMGA 1erde Bandjoun sont les plus connus. Fatigués des soudaines escarmouches des BamounBamun sur leurs frontières est, ceux-ci montèrent une expédition de représailles qui poursuivit les BamounBamun jusque sous les murs de Foumban.C'est à la suite de cette expédition telle que nous le fait remarquer NGOMSI : « qu'un pacte de non-agression fut établi entre les Bandjoun et les BamounBamun et que le Fon Bandjoun reçut le titre de So foa mom qui signifie l'égal du chef BamounBamun, titre que portent encore aujourd'hui les fon Bandjoun ».

En effet, les décideurs allemands ne voyaient pas la mobilité des commerçants Haoussa dans la partie Suddu Cameroun d'un bon oeil845(*).Cette mobilité empêchait la perception de l'impôt de captation qui, lui-même, s'avérait indispensable à l'établissement d'un budget prévisionnel de la colonie846(*).

Un premier effort d'imposition fut esquissé en 1903847(*). Ses déboires s'accompagnèrent d'une politique de sédentarisation qui amena ces Haoussa à s'établir dans les villes pour y céder des quartiers spécifiques : les fameux « quartiers Haoussa ». Le 15 avril 1907, une ordonnance introduisit l'impôt par maison ; une mesure visant à soutenir des chantiers routiers et ferroviaires engagés dès la première décennie du XXème siècle848(*).

Dès lors, migrer devenait périlleux, car c'était s'exposer aux travaux forcés sur les chantiers administratifs. Au niveau des chefferies Bamiléké, la proximité entre les deux régions, l'antériorité des relations BamounBamun-Bamiléké et l'ingéniosité du nouveau roi faisait également de NJOYA l'ami de certains chefs Bamiléké849(*).Le royaume BamounBamun a aussi mis en place une guerre « fiscale » qui lui permettait d'assujettir les rois vassaux et s'assurer de leur pleine volonté de coopérer.

· La captation fiscale : la question du tribut ou la soumission à une autorité politique centralisée

Dans le contexte BamounBamun, il y a une articulation entre la fonction extractive et la fonction distributive qui tient aux raisons anthropologiques : il existe en effet une inextricable liaison entre le tribut, la corvée et la fête qui s'inscrit dans une totale circularité qui révèle une « économie d'affection » reposant sur « une politique d'affection »850(*).

D'abord dans le droit de la guerre, la conquête d'une tribu entraînait ipso facto sa dépendance et sa soumission ; et l'hypothèse d'une élimination physique du roi soumis revêtait le caractère d'une faible probabilité ; ce qui grossissait le nombre de contribuables tributaires du palais...

Avec le système d'implantation continue des lignages, le royaume comptait sous NJOYA plus de 700 chefs de lignage installés.L'on comprend qu'en sus de 81 rois soumis, astreints à la même obligation, l'administration fiscale se soit considérablement étoffée. Cette dépendance fiscale est aggravée par un dispositif anthropologique impliquant une circulation matrimoniale et une parenté réelle ou fictive qui l'aient unilinéairement le lignage minimal au lignage maximal.

Car le lignage et l'état se sont développés dans une commune congruence ; le lignage offrant à l'Etat les moyens d'une projection spatiale par incorporation. Ceci tenait à un patronage politique des processus de fission et d'accrétion qui ont permis à l'Etat d'asseoir sa dynamique sur un socle lignager.

Bien plus, cette singularité du lignage en pays BamounBamun avait partie liée avec le statut même du lignage : la création du lignage était une prérogative du roi. Contrairement aux autres sociétés de la montagne où les lignages se formaient par segmentation continue, les 700 chefs de lignage identifiés ont été installés par les souverains avec un pouvoir conséquent de destitution. Ce qui leur permettait de contrôler les fidélités et les allégeances indispensables au consentement à l'impôt c'est-à-dire au tribut.

Cette bifurcation anthropologique nous permet d'appréhender aisément la corrélation entre l'Etat BamounBamun, la société et cette fiscalité « distributive ». La fiscalité « distributive » s'est légitimée et s'est incorporée comme devoir à travers une double représentation sociale du consentement au tribut.

En effet, les plus-values anthropologiques des connexions administratives, parentales et festives entre le roi et la périphérie font du tribut à la fois un « impôt-échange »851(*) et un « impôt-contribution » c'est-à-dire une « forme politique de consentement à l'impôt où le contribuable juge légitime de financer les institutions ». La connexion administrative entre le roi et le chef de lignage était aggravée par une « circulation des femmes » qui n'était que faiblement censitaire : le Roi épousant très bas avec une propension polygynique affichée et attribuant en retour les princesses aux chefs de lignage. Il en a résulté une véritable « parentocratie gouvernante » ; la parenté apparaît alors comme une relance sociale émulation au consentement à l'impôt.La variable festive objective mieux les dimensions d'échanges et contributives du tribut.

Pendant le « Nguon », une occasionidéale était offerte aux BamounBamun pour s'acquitter de leurs obligations via leurs chefs de lignage respectifs. Ils remettent au roi du mais, du mil, de l'huile de palmé, du gibier et du poisson. Tout ce butin versé au roi servait à alimenter les serviteurs et hôtes du souverain et à sustenter la population en période de disette. Le RoiNJOYA remonte le Nguon et l'obligation fiscale à la fondation du royaume : « C'est NCHARE YEN qui a dit que c'était le signe de payer la terre au propriétaire de cette terre à la fin de chaque année », écrit-il.

Cette affirmation trop péremptoire est atténuée par la fonction redistributive du roi : « il partage les tributs entre les Pamom et les serviteurs ». Il est difficile d'évaluer le volume des produits, mais l'on sait que les nombreuses victoires de MBUEMBUE ont permis la constitution des grands domaines ruraux élargissant ainsi l'assiette des redevances.

Le monopole fiscal se trouvait également renforcé par la mise en place d'une administration parafiscale qui partait du chef de lignage pour remonter hiérarchiquement vers le roi en passant par les percepteurs régionaux. Ce qui importe plus que la comptabilité précise qui peut être faite, c'est la fonction politique du tribut. Cette redevance était symboliquement et religieusement connoté et sa coïncidence avec le Nguon - rite de propitiatoire -, révèle l'indémêlable liaison entre les fonctions politiques, économiques et religieuses. Le tribut permettait en effet au roi d'« assurer la régulation de l'économie en palliant l'insuffisance des ressources lignagères et en garantissant, par des actes politiques et religieux, la paix intérieure qui dans l'esprit de la population, commandait la prospérité du pays ».

Somme toute, la captation du capital militaire est doublée de la captation du monopole fiscal dont la combinaison a permis l'émergence d'un État fortet centralisé à même de réclamer avec succès le « monopole de la contrainte légitime »852(*).

Le peuple BamounBamun a donc aidé à la conquête de ses voisins Nsoh du fait de la connaissance du terrain et des manoeuvres guerrières de ces derniers. Ils appuieront les Allemands lors de cette expédition punitive.

* 839 Foumban.

* 840 A. CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires,PUF, 1988, p. 322.

* 841 N. LAVALLIÈRE BETGA, « Les techniques de défense des chefferies bamiléké de l'Ouest-Cameroun, du XVIe au début du XXe siècle », p. 29. Article mis en ligne le 16 novembre 2018 sur le site http://journals.openÉdition.org/ephaistos/3289 et consulté le 26 août 2021.

* 842 M. DONLEFACK, « Islamisation et mutations des peuples de la Menoua : de 1850 à 2005 », Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Dschang, 2009, p. 20. La remarque a été faite à ce sujet par M. DONLEFACK : « Les habitants d'une même chefferie ne forment pas une même tribu (chez les Bamiléké), c'est une composition de patrilignages de taille inégale qui n'ont pas tous un lien de parenté ; c'est un sentiment national, vivement ressenti par tous les membres, qui les unit ». Colloque International Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 143-144.

* 843 Ibid., pp. 148-149.

* 844 Fer et cuivre.

* 845 Les migrants musulmans dits « haoussa », commerçants, orfèvres, tisserands et artisans constituaient, par leurs mouvements, un obstacle majeur aussi bien au recensement des populations qu'au monopole du commerce par les Européens au tournant du XIXème siècle. Leur circuit commercial s'opérant entre le Kamerun allemand et le Nigéria britannique ou encore les territoires français de l'AEF et l'AOF. Leurs opérations commerciales détournaient le commerce des intérêts allemands au profit des marchands britanniques qui contrôlaient les grands marchés de Kano, Katsina, Laria, Maiduguri et Yola ainsi que les marchés français du Baguirmi et du Ouadaï. Leur mobilité gênait donc l'action gouvernementale et constituait une entrave aux règles du jeu politique et économique de l'Allemagne.

* 846 P. B. ESSOMBA, « La formation scolaire et les travaux des champs au Cameroun sous administration allemande », in L. MARFAING & B. REINWALD, « Afrikanische Beziehung, Netzwerke undRaune », Munster-Hamburg, LIT Verlag, 2001, p. 122.

* 847 Selon Charles ATANGANA, chef des Ewondo : « Ce n'est qu'en 1903 que l'administration allemande a commencé à mettre un impôt pour les indigènes de la circonscription de Yaoundé. En cette occasion, on versa l'impôt en produits. A la deuxième année on versa l'impôt en argent. Un désordre eut lieu dans cette opération, car on ne savait pas combien chaque contribuable avait à payer, qui devait se présenter au premier abord et à qui on devait remettre l'impôt. Pour mettre fin à ce désarroi, une commission de recensement et de l'élection de chefs reconnus par l'autorité fut créée par l'administration allemande ». VoirC. ATANGANA, « Jaunde-Texte », in Abhandlungen des Hamburgischen Kolonialinstitut, Band 24, Hamburg, 1919, p. 91.

* 848 E. D. ELOUNDOU, Contribution des populations du Sud Cameroun à l'hégémonie allemande (1884-1916), Thèse De Doctorat de 3ème Cycle, Université de Yaoundé 1, 1996, pp. 181-182.

* 849 Il faut noter cependant que tous ces chefs ne voyaient pas d'un bon oeil la présence de Njoya dans la région. En 1904, lors du passage des premiers allemands dans la région en provenance de Foumban, l'une des raisons de l'hostilité des Bazou et des Bamena à l'égard de ceux-ci était la crainte que ces derniers, amis de Njoya et des BamounBamun, ne soient venus pour délivrer les esclaves bamounBamun retenus dans la région. Lire E. GHOMSI & Y. PERSON, Les Bamiléké du Cameroun : essai d'étude historique des origins à 1920, Thèse de 3ème cycle, Université Paris-Sorbonne, Faculté des Lettres et sciences humaines, 1972, pp. 128-129.

* 850 Colloque International Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 94.

* 851 C'est-à-dire le prix à payer par le contribuable pour le bénéfice qu'il reçoit de la collectivité. In Colloque International Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 95-98.

* 852 Idem.

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