L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. Le recouvrement du crâne du RoiNsangu aux BamounBamun grâce à l'administration coloniale allemandeL'expédition punitive allemande contre les Nsoh fut menée par le capitaine GLAUNING, chef de la Station Militaire de Bamenda. Le Roi NJOYA équipa 200 soldats BamounBamun en soutien à cette campagne punitive. LesNsoh opposèrent une résistance ferme à la force conjointe Germano-BamounBamun. Au cours du combat, des atrocités indescriptibles commises par les soldats BamounBamun forcèrent le capitaine GLAUNING à les renvoyer chez eux en pays BamounBamun. LesAllemands écrasèrent les Nsoh par la suite en 1906 et leur imposèrent des termes de la paix. Suivant cet accord pacifique, les Nsoh se soumirent à l'autorité allemande et, ensuite, renvoyèrent le crâne du RoiNSANGU aux BamounBamun. Mais que pouvait bien signifier cet acte pour le prestige du royaume BamounBamun? · La symbolique du crâne dans le monde Le crâne d'un défunt est le symbole de la mort physique ; à ce propos, il est souvent présenté entre deux tibias828(*)croisés en X formant la croix de Saint-André...le crâne, par translation du microcosme au macrocosme dans de nombreuses légendes européennes et asiatiques, est le symbole de la voute du ciel. C'est ainsi que le crâne du géant « YMIR », dans la mythologie nordique, devient à sa mort, la voute céleste et dans la mythologie védique, la voute céleste est formée du crâne de « HARA », l'être primordial. Chez les Aztèques, certains crânes furent ornés de pierres précieuses et conservés comme étant des éléments protecteurs ; en Afrique, dans le même but, des crânes furent couverts par une couche d'argile puis peints. De plus, dans la peinture de l'époque baroque, la nature morte associée à la présence d'un crâne servait à illustrer la vanité829(*) alors le rôle du crâne dans ces peintures est d'attirer l'attention de cette personne à sa propre future mort830(*). Dans la civilisation Maya en Amérique, qui trouve son origine dès la préhistoire, la croyance en des dieux se décompose en deux (02) catégories, selon une distinction binaire entre le bien et le mal. L'une est associée au jour et au ciel comprenant treize (13) divinités et l'autre est liée au monde souterrain comptant neuf (09) dieux appelés « les seigneurs de la nuit » parmi lesquels nous retrouvons le dieu de la mort représenté par un squelette au crâne terrifiant. En Asie, nous retrouvons la symbolique du crâne dans le bouddhisme et l'hindouisme à travers leur art religieux. En effet, la représentation du seigneur de la mort chez les bouddhistes, nommé YAMA, qui possède cinq (05) crânes autour de sa tête, telle une couronne qui indique une victoire sur cinq (05) défauts : la haine, la cupidité, l'orgueil, l'envie et l'ignorance. D'autre part, dans la religion hindoue, KALI, la déesse de la mort est parée d'un collier de crânes. Dans la culture chrétienne, la fatalité morbide du crâne est nuancée par la foi envers l'au-delà et d'une vie après la mort. La conception biblique du crâne est illustrée par le Golgotha aussi surnommé le « Mont du crâne » où serait enterréADAM, son crâne et ses tibias étant représentés au pied de la croix de JÉSUS. Un arbre pourrait pousser sur ce crâne, un arbre de vie qui permet de comparer JÉSUS à un ADAM renaissant831(*). On observe le culte des têtes coupées, chez les ligures et les celtes. Le culte des crânes est à rapprocher de celui des ancêtres. Le crâne-trophée représente la supériorité du chasseur sur l'animal, ou du guerrier sur son ennemi. Retourné, il peut servir de coupe dans certains rituels832(*). Qu'en est-il du culte des crânes à l'Ouest-Cameroun ? · Le culte des crânes à l'Ouest-Cameroun En Afrique, le culte du crâne est considéré comme de la sorcellerie ou du diable. Tandis qu'au Vatican ou à la Mecque, c'est la sainteté ou le Saint Esprit. De nombreux peuples africains qui ont partagé un passé commun avec l'Égypte antique, ont maintenu ce rite dans leurs moeurs833(*). Le crâne est le sommet du squelette, le siège anatomique du cerveau, donc de la pensée et pour certaines croyances anciennes, il est le siège de l'âme et la force vitale du corps et de l'esprit ; s'approprier le crâne de quelqu'un équivaut de s'accaparer de son âme et de son énergie vitale et de ses effets bienfaisants. Le crâne n'est pas une relique commémorative qui servirait à entretenir le souvenir d'un défunt mais le « siège » d'un principe vivant, d'un disparu devenu ancêtre et désormais, éternellement présent. Le crâne, plus que la case, est le symbole de la présence des ancêtres parmi les vivants. Le défunt qui revit est l'intercesseur de la famille auprès des ancêtres et auprès de Dieu834(*). Au Cameroun, la divination des crânes humains est pratiquée par les peuples de l'Ouest du Cameroun835(*) et une minorité dans la partie septentrionale, les « Koma », chacun avec sa particularité dans l'exercice de ce rite. Ce rite maintient le contact avec leurs ancêtres836(*). En temps de guerre,les pratiques propitiatoires consistaient en des rites, des prières de consécration et de purification qui précédaient le départ en guerre. Chaque guerrier faisait des sacrifices dans sa propre concession. Il était tenu par-là de demander la force aux « crânes » de ses ancêtres...On immolait les chèvres et les poules sur les crânes des ancêtres en leur demandant la victoire837(*). LesBamiléké tentent, par l'exhumation des crânes de leurs défunts, de développer des relations particulières avec les esprits de leurs morts, qu'ils exhortent parfois dans la prière. Certains membres de la communauté Bamiléké se réfèrent à la Bible pour justifier ces funérailles durant lesquels les crânes des morts sont exhumés. En effet, explique TCHIDJO Joseph, héritier d'une grande famille de la lignée des serviteurs du roi des Baham, dans les Hauts-Plateaux : « Dans la Bible, Joseph, exilé en Égypte, a recommandé que ses restes soient restitués après sa mort, à Canaan, son pays d'origine ».L'évêque de Bafoussam, Monseigneur Dieudonné WATIO, qui a consacré de nombreux travaux, dont une thèse de doctorat, au culte des morts dans l'Ouest du Cameroun, affirme que Dieu a toujours existé chez les Bamiléké. Ces derniers priaient même avant l'évangélisation du Cameroun, selon Monseigneur WATIO. Certains historiens affirment que les Bamiléké, qui seraient descendus du Nil, gardaient leurs morts dans un cercueil en bambou, avec des techniques facilitant la mutilation des corps au moment souhaité, rapporte AlbertKAMTCHUN, un chercheur traditionnaliste de la région. Pour Monseigneur WATIO, les Bamiléké peuvent respecter leurs traditions, parlerà leurs morts, sans pour autant les considérer comme des médiateurs avec Dieu. A Bangou, certains membres de la communauté sont apposés à l'exhumation des crânes de leurs parents décédés. Ils ne croient pas les défunts soient des médiateurs avec le Ciel. D'autres, comme le roi des Bangou, MarcelTAYOU, contestent mêmecertaines dispositions prêtées à l'Église catholique en matière de funérailles : « Ce sont là les coutumes des Occidentaux, qui disent à l'Église qu'on ne doit pas exhumer les crânes des morts, alors qu'ils exhument les restes de leurs proches sur lesquels ils font des prières. Qu'est-ce-que c'est donc ? Le crâne ne fait-il pas partie des ossements ? (...) Ce sont eux les Occidentaux qui disent, dans leurs écrits, que les morts ne sont pas morts. Je lis la Bible et je sais ce qu'il pense de l'esprit des morts ».Il fait partie de ces traditionnalistes Bamiléké, qui comparent ainsi le respect aux morts à la canonisation dans l'Église catholique, une approche que récuse énergiquement Monseigneur WATIO, très à cheval sur les valeurs chrétiennes : « Le Saint est vénéré dans le monde entier, alors que l'ancêtre n'est reconnu que sur le plan familial ou du clan », renchérit-il838(*). Le culte des crânes se positionne donc comme une manifestation de la résistance des coutumes africaines à l'occidentalisation des moeurs et au dilemme des populations africaines de « survivre » entre tradition et modernité. Dans la suite de notre travail, nous parlerons de l'aide du peuple BamounBamun dans le processus de conquête des peuples « rebelles » par l'administration coloniale allemande. * 828 L'un des deux os de la jambe. * 829 Défaut d'une personne qui a une trop haute opinion d'elle-même. * 830 DR. A. ABBARA, « Crâne humain : symbole de la mort ». Article publié sur le site www.aly-barbara.com et consulté le jeudi 19 août 2021. * 831 D. HATCHER CHILDRESS, Pirates and the Lost Templar Fleet: The Secret Naval War Between the Knights Templar and the Vatican, Adventures Unlimited Press, 2003.Voir « Tête de mort - symbole qui représente un crâne humain (n.d.) ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le jeudi 19 août 2021. * 832 DICTIONNAIRE DES SYMBOLES, « Le symbolisme du crâne ». Article publié le 02 août 2010 sur le site https://dictionnairedessymboles.com et consulté le jeudi 19 août 2021. * 833 LA FLEUR CURIEUSE, « Le culte du crâne en Afrique et aux Antilles ». Article publié sur le site www.lafleurcurieuse.com et consulté le mardi 24 août 2021. * 834 R. KUIPOU, « Le culte des crânes chez les Bamiléké de l'Ouest du Cameroun », in COMMUNICATIONS 2015/2, n°97, pp. 93-105. * 835 En l'occurrence les Bamiléké et les BamounBamun. * 836 Ibid. * 837 N. LAVALLIÈRE BETGA, « Les techniques de défense des chefferies bamiléké de l'Ouest-Cameroun, du XVIe au début du XXe siècle », e-Phaistos (En ligne), VI-2, 2017/2018. Article mis en ligne le 16 novembre 2018 sur le site http://journals.openÉdition.org/ephaistos/3289 et consulté le 26 août 2021, p. 33. * 838 JOURNAL BBC NEWS AFRIQUE, « Cameroun : culte des crânes en pays bamiléké - BBC News Afrique », article publié en juillet 2016 sur le site https://www.bbc.com et consulté le 24 août 2021. |
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