L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
B. LA DÉMARCATIONENTRE QUARTIERS « INDIGÈNES » ETQUARTIERS BLANCSPour justifier l'expropriation de 903 hectares au bénéfice de 300 à 400 Européens, l'administration s'appuya sur deux expertises médicales. En effet, pour améliorer les conditions sanitaires des Européens, on jugeait nécessaire d'éloigner d'eux la population africaine. Il fallait créer une « ville européenne » et une « ville africaine », c'est-à-dire une réserve, la deuxième étant séparée de la première par une zone tampon d'un kilomètre (1-). (Voir Annexes 9&10 portant sur les croquis du plan d'urbanisme allemand).Les Annexes 9&10 témoignent de la volonté manifeste des autorités coloniales allemandes à isoler les autochtones et de bénéficier des meilleures terres en utilisant des arguments sanitaires liés à l'hygiène de ces derniers. Il fallait donc préserver les Européens du péril « indigène ». Cette situation met également en lumière le support d'une théorie raciste et ségrégationniste de la part de l'administration coloniale allemande (2-). 1. La création d'une zone tamponLes deux experts jugeaient que cette séparation était indispensable si l'on ne voulait pas que les Africains contaminent les colonisateurs avec la malaria : « Depuis 1900 déjà, rapporte le médecin colonial Dr. Ziemann, j'ai expliqué dans plusieurs de mes rapports au gouvernement impérial qu'en vue d'un assainissement rapide et relativement radical de Douala, on devrait, vu la capacité de vol des anophèles vivant souvent dans les cases des indigènes, maintenir une distance d'un kilomètre entre ceux-ci et les Européens... Cet assainissement a déjà été entamé à Victoria et à Kribi.Il n'y a qu'à Douala que des difficultés, surtout d'ordre financier, s'y opposent. Mais celles-ci peuvent et doivent être surmontées si on veut atteindre le but fixé : faire de Douala, principal centre de commerce et de communication du Cameroun, une ville tropicale relativement saine pour les Européens, où il serait possible de vivre sans quinine »597(*). De plus, ces experts évoquèrent d'autres tracas causés aux Européens par les coutumes et habitudes des nègres qu'on ne pouvait pas combattre ou dont la suppression ne pouvait pas être recommandable pour le bien-être et la santé des Noirs. Ils citèrent à titre d'exemple : - le feu qui brûle constamment dans les cases ; - l'odeur des repas des nègres ; - le tapage que font les nègres de temps en temps pour se distraire ; - leur manière de causer à tue-tête ; - l'odeur corporelle des nègres ; - les informations précoces sur la vie sexuelle que les enfants blancs reçoivent en côtoyant les enfants noirs598(*). Cette expropriation mettra en exergue le support d'une théorie raciste et ségrégationniste de la part de l'administration coloniale allemande tout au long de sa conquête du territoire camerounais. * 597 Verhandlungen des Reichstages, 1912-1914, Anlagen, Aktenstuck, Nr. 1576, p. 3306 : Gutachten des Rigierungsartzes Prof. Dr. Ziemann vom 25.8.1910. * 598 Ibid, p. 307. |
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