L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. Les motifs d'opposition des chefs Duala à l'expropriation de leurs terres : une atteinte à leurs droits inaliénables, à leurs us et coutumes, à leur identité séculaire...Ainsi, dans une autre lettre de protestation des chefs Duala au Reichstag écrite en mars 1912, les chefs fondèrent leur refus d'expropriation de leurs terrains sur les motifs suivants : 1) Ils trouvaient inadmissible d'abandonner leur héritage précieux, légué par leurs ancêtres, pour un prix ridiculement bas ; 2) Dans l'hypothèse d'une vente forcée, les chefs pensaient que les autochtones devraient recevoir au moins deux fois le prix proposé au lieu de 40 Pfennigs par m² ; 3) Les chefs soutenaient que l'administration coloniale voulait les récompenser avec des terrains qui, au départ, leur appartenaient pour leurs cultures. A cet égard, les chefs prétendaient que les indigènes trouvaient difficile à comprendre pourquoi et comment leurs terrains de culture hérités de leurs ancêtres étaient devenus la propriété du gouvernement ; 4) Les chefs indiquèrent qu'ils étaient prêts à fournir de l'argent au trésor colonial comme ils l'avaient fait auparavant. De plus, ils promettaient de satisfaire autant que possible les demandes en terrain des entreprises privées après négociation. Les chefs terminèrent leur lettre de protestation en demandant au Reichstag d'annuler le plan d'expropriation. Malgré ces protestations, les autorités coloniales allemandes appliquèrent l'Acte d'expropriation en janvier 1913. (Voir Annexes 6 & 7& 8qui sont des croquis qui portent respectivement sur le développement des quartiers africains, celui des quartiers européens et met en relief côte à côte la zone européenne à la zone africaine).Les Annexes 6& 7& 8montrent la détermination des autorités coloniales allemandesà s'approprier la ville et à bénéficier des espaces jugés praticables au détriment des peuples autochtones Duala, sans tenir compte de leurs habitudes sociales et culturelles. Leur seule préoccupation est de faire de Douala, une ville économiquement viable et socialement accueillante pour ses ressortissants, d'où la démarcation entre « quartiers indigènes » et quartiers blancs. D'après cet Acte : 1°903 hectares furent expropriés ; 2° 37 hectares supplémentaires de terrains ne furent pas expropriés. Ces terrains devaient toutefois être exploités exclusivement par les allogènes ; 3° l'expropriation des terrains duala devait être terminée dans un délai de cinq ans ; 4° les indigènes avaient reçu un délai d'un mois, à partir de la date de modification d'expropriation le 15 janvier 1913, pour introduire un dossier de protestation. A la suite de l'application de l'Acte, le Prince Rudolf DUALA MANGA BELL, qui avait succédé à son père MANGA NDUMBE, en qualité de roi du clan Bell en 1910, envoya une pétition au Reichstag, pétition dans laquelle il protestait contre cet acte. Pour les Duala, l'expropriation était une violation du Traité Germano-Duala de juillet 1884.Jusqu'au traité deVersailles, les Dualacontinuèrent contre le colonisateur la lutte qu'ils avaient engagéeau moment de l'urbanisation de la ville. Forts du succès qu'ils avaient obtenu auprès du Reichstag avant la mort du chef BELL : la suspension provisoire des travaux d'urbanisme, certainement encouragés par les sympathies que leur témoignèrent de hauts fonctionnaires allemands, notamment le gouverneur ThéodoreSEITZ entre autres. Ils profitèrent vraisemblablement de la guerre, qui leur apparaissait comme un chaos dans la société européenne, pour en terminer, dans un dernier face à face, avec une colonisation qui les bloquait de toutes parts595(*). D'une part, en assouplissant l'administration par l'affectation de crédits globaux à chaque district afin que ceux-ci en disposent librement suivant leurs besoins.596(*) Selon les autorités coloniales pourtant, le traité Germano-Duala donnait au gouvernement « le droit de gestion » qui atténuait l'effet de la clause stipulant que « les terrains cultivés par nous et les emplacements sur lesquels se trouvent des villages doivent rester les propriétés des possesseurs actuels et de leurs descendants ». Bien que les autorités coloniales allemandes refusèrent d'autoriser le voyage d'une délégation de Duala en Allemagne pour présenter les doléances des autochtones, NGOSSO DIN partit en secret en Allemagne. On assista par la suite par l'administration coloniale allemande à la démarcation entre quartiers « indigènes » et quartiers blancs. * 595 Il a été dit, mais nous ne disposons d'aucun document le prouvant, que sous le régime allemand des promesses relatives à leur « émancipation », leur avaient été faites. Cela est plausible, nous en trouvons presque confirmation dans les projets de Théodore SEITZ, lequel, en 1910 se proposait d'ériger une commune de plein exercice à Douala, prévoyant une gestion autonome de la ville assurée par les Européens et les Africains. « Je voulais, disait le Gouverneur, exploiter la nouvelle ressource de 1910 ». * 596 R. GOUELLAIN, « DOUALA-VILLE ET HISTOIRE ». Enquête réalisée avec le concours du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), Paris, Institut d'Ethnologie, Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Place du Trocadéro, 16ème, 1975, pp. 166-167 ; |
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