L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. Le christianisme face au pouvoir du Roi NjoyaLe christianisme était devenu une menace pour la souveraineté du monarque qui voyait son royaume fragilisé par la monogamie et d'autres valeurs prônées par l'Évangile.En plus, les cahiers du missionnaire allemand GÖRING ont révélé la trahison des secrets du royaume aux Blancs : « Un jour le sultan avait appris par son premier fils Forifum que les chrétiens écrivaient L'histoire du pays bamounBamun et aussi comment le feu sultan Mbuembue avait fait volé « Vu-Ngou » grand pagne de 50 fadames pour la grande danse coutumière Njà chez les Bansoqui écoutaient venus pour vendre aux Rois, et aussi L'histoire de la guerre de Banso où mourut le Sultan Nsangu avec tous ses frères même mère... Le Sultan était très fâché quand il a appris que les chrétiens parlaient et écrivent tout ce qui était mauvais dans le pays, donnaient aux étrangers pour qu'ils puissent voir la base des secrets du pays... (Sic)552(*) ». Le roi-sultan découvre en effet avec stupéfaction et colère au lendemain du départ des Bâlois, le contenu de révélations faites aux missionnaires par ses sujets d'obédience chrétienne sur les coutumes du pays : « C'est vous qui détournez les enfants de mon pays pour les donner aux Blancs553(*) ?», se serait-il exclamé avant de leur rappeler : « Ce (n'est) pas moi qui avait voulu que le missionnaire monsieur Göring arrive dans mon pays ? Pourquoi mon pays est dérangé par vous ? Pourquoi me (faites-) vous honte ? Surtout devant les inconnus ! Ce n'est pas moi qui est votre Dieu (sic) ainsi que (pour) tous les BamounBamun554(*) ? » Par la suite, la tentative de NJOYA pour reconquérir son hégémonie symbolique sur les chrétiens revêtit, lors du départ des missionnaires Bâlois, les traits d'une campagne de séduction. Le roi ouvrit des écoles et des commerces où il employa des convertis, donnant ainsi des gages de sa capacité, sinon à se substituer, au moins à compenser le vide créé par la défection forcée des missionnaires. Aux jeunes, il promit en mariage des filles issues des hauts rangs de la société.Ce régime de faveur fut toutefois tempéré par des sanctions physiques et des tortures morales à l'encontre des « Gha Pkù tu » (mot à mot « ceux à la tête dure », autrement dit « les têtus »), ainsi que furent désignés les chrétiens, considérés comme particulièrement récalcitrants et subversifs, du fait d'une collaboration coupable avec les Blancs. Le constat de l'existence de discours parallèles tenus par les chrétiens, perçus comme une remise en cause de la légitimité de son autorité, déchaina la fureur de NJOYA. Des perquisitions opérées aux domiciles des chrétiens furent l'occasion de confiscation et de destruction publiques de documents dont furent exemptées les Bibles555(*). Des bastonnades suivies de déportations conduisirent nombre de chrétiens à abjurer, souvent de façon temporaire, parfois de façon définitive.Aussi énergique que fut l'intervention de la SMEP556(*) et malgré la réaction sévère de l'administration française qui, en guise de représailles, destitua NJOYA en 1924 et l'exila en dehors de son royaume en 1931, la majeure partie des chrétiens passés à l'islam ne revinrent jamais dans les rangs du christianisme. Plus que les sévices corporels, la violence de l'imprécation lancée par le souverain à leur endroit à la veille d'être déporté, dut à la fois doucher l'enthousiasme et altérer la foi des convertis : « Je marcherai sur vos tombeaux avant ma mort557(*) », leur aurait-il jeté, avant d'ajouter, sentencieux : « N'oubliez pas que c'est Dieu lui-même qui m'a placé roi sur cette terre. Vos villages, vos maisons, vos familles, seront détruites (...). Si je mourrai sans le faire, mon enfant le fera558(*) ». L'impact de cet anathème fut si grand que lorsqu' Elie ALLÉGRET, aumônier militaire envoyé avec trois autres coéquipiers par la SMEPen 1917 pour étudier les conditions de la reprise du champ de mission du Cameroun, arriva au pays bamounBamun, la florissante communauté chrétienne qu'avaient édifiée les Bâlois se réduisait à une douzaine de membres559(*) sur une communauté de 272 membres en 1914560(*). Parmi ces rares fidèles se trouvaient MoséYÉYAP561(*), cousin et premier contradicteur du Roi NJOYA. Dans la suite de notre travail, nous aborderons la thématique du Roi NJOYA et la prise en compte de la « supériorité » des agents coloniaux allemands. * 552 N. MOSCONI, « Femmes et savoir », Paris, L'Harmattan, Revue des sciences de l'éducation, vol. 21, n°2, 1995. Cité par A. NJOYA & P. PEPUERE, « Histoire de l'Église BamounBamun depuis 1905 par les missionnaires de Bâle », récit local rapporté par A. LOUMPET-GALITZINE, Njoyaet le Royaume BamounBamun, Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala, 2006, pp. 18-19. * 553 A. NJOYA & P. PEPUERE, « Histoire de l'Église BamounBamun depuis 1905 par les missionnaires de Bâle », récit local rapporté par A. LOUMPET- GALITZINE, Njoyaet le Royaume BamounBamun, Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala, 2006, p. 20. * 554 Idem. * 555 A. NJOYA & P. PEPUERE, « Histoire de l'Église BamounBamun depuis 1905 par les missionnaires de Bâle », récit local rapporté par A. LOUMPET-GALITZINE, Njoyaet le Royaume BamounBamun, Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala, 2006, p. 20. * 556 SMEP: Société des Missions Évangéliques de Paris. * 557 A. NJOYA & P. PEPUERE, « Histoire de l'Église BamounBamun depuis 1905 par les missionnaires de Bâle », récit local rapporté par A. LOUMPET-GALITZINE, Njoyaet le Royaume BamounBamun, Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala, 2006, p. 22. * 558 Idem. * 559 Vingt-quatre, selon J. VAN SLAGEREN, « Les origines de l'Église évangélique du Cameroun. Missions et christianisme autochtone », In Revue française d'histoire d'outre-mer, 1978, p. 160. * 560 Jahresbericht der Basler Mission, 1914, p. 154, cité par J. VAN SLAGEREN, op. cit., p. 107. |
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