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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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PARAGRAPHE II : LA PRISE DE CONTACT ENTRE L'ADMINISTRATION COLONIALE ALLEMANDE ET LE PEUPLEBAMOUNBAMUN

NJOYA était à la dix-septième année de son règne quand les Allemands, venant de Banyo, arrivèrent à Foumban, capitale de son royaume, pour la première fois, le 06 juillet 1902.Il s'agit du lieutenant de l'administration coloniale allemande, du capitaine Hans VON RAMSAY, fondé de pouvoir de la « Gesellschaft Nord-West Kamerun », l'une des grandes sociétés créées pour l'exploitation du Cameroun, et du commerçant HABISCH, qu'accompagnaient 25 tirailleurs, 20 porteurs et 03 guides Haoussa... En stratège prudent, le roi, qui était déjà au courant de la présence et surtout des intentions des étrangers blancs dans les localités voisines de son royaume, mit toutes les chances de son côté pour éviter le pire. Il tenta l'aventure de l'amitié : il alla à la rencontre des Allemands à l'entrée de Foumban, les accueillit de la façon la plus chaleureuse et les conduisit jusque dans son palais où il mit à leur disposition des provisions plus que suffisantes.

Les militaires allemands le trouvèrent bien disposé à leur égard : sa modestie, son air d'intelligence et sa déférence les impressionnèrent favorablement. C'était le point de départ des relations cordiales entre NJOYA et les Allemands. L'officier allemand HIRTLER, qui commit, aux yeux de l'entourage de NJOYA, un crime de lèse-majesté en marchant sur le tapis d'apparat et en s'asseyant sur le trône du roi lors de son accueil au palais, provoquant ainsi la colère de la foule, fut très impressionné de la manière par laquelle NJOYA géra cette situation. Connaissant l'humeur guerrière de son peuple, le roi eut beaucoup de peine par des gestes, à empêcher ses hommes de tirer. Sans doute sa dignité ou la vue de l'excitation générale finit-elle par faire impression sur HIRTLER, qui dut changer de conduite. Dès 1902, le lieutenant SANDROCK avait suggéré qu'au lieu d'occuper par la force un royaume aussi bien géré, il fallait plutôt chercher à en faire un centre commercial525(*). L'accueil chaleureux que NJOYA réserva aux Allemands qui arrivèrent à Foumban les amena à parler de lui en termes tout à fait cordiaux, bénéfiques et pleins de promesses. Parmi les cadeaux qui arrivaient à Berlin, quelques-uns émanaient du patrimoine royal et culturel des BamounBamun. Il s'agit d'une longue pipe royale, d'une épée pour chef avec une gaine brodée, et d'un trône fait tout entier de perles enchâssées et d'incrustations de bronze, qui se trouve actuellement au musée de Berlin. Le repose-pied est en peau de lion perlée. Surmonté d'élégantes statuettes, ce siège royal captive l'attention.

Toutefois, il ne faut pas être dupe de cette bonne ambiance. En 1908, les commerçants allemands accusèrent NJOYA de « Bamum » pour ses activités commerciales avec la maison de commerce de la Mission de Bâle.

NJOYA dut se défendre d'avoir avec cette firme mené une concurrence déloyale aux autres sociétés commerciales. Les colonisateurs ne pouvaient tolérer une activité économique des chefs susceptibles de leur faire concurrence, comme l'illustre si bien le cas suivant. NJOYA s'intéressait aussi au négoce. A Foumban, il ouvrit un magasin où l'on vendait entre autres des produits importés par l'intermédiaire de la société de commerce de la Mission de Bâle. Le colonisateur fit fermer ce magasin car il faisait concurrence au commerce européen.526(*)

A ce titre, le rôle précurseur des missionnaires allemands dans la prise de contact entre les deux entités est cruciale(A-). Ce qui va conduire pour le RoiNJOYA à la prise en compte de la supériorité des agents coloniaux allemands (B-).

A. LE ROLE PRÉCURSEUR DES MISSIONNAIRES ALLEMANDS DANS L'ÉTABLISSEMENT DES LIENS ENTRE LE ROYAUME BAMOUNBAMUN ET LES AUTORITÉS COLONIALES ALLEMANDES

La collaboration entre les missions chrétiennes et les autorités coloniales en Afrique a bien été soulignée par KofiASAREOPOKU : « L'instauration de la domination coloniale aida considérablement l'oeuvre des missionnaires. En premier lieu, administrateurs coloniaux et missionnaires partageaient la même vision du monde et venaient de la même culture. En deuxième lieu, l'administration coloniale était favorablement disposée vis-à-vis du travail des missionnaires et subventionnait souvent les écoles des missionnaires. En troisième lieu, l'imposition du contrôle colonial sur chaque territoire assurait l'ordre et la paix grâce auxquels les missionnaires pouvaient compter sur la protection de l'administration...D'une manière générale, on peut dire que les missions chrétiennes en Afrique étaient les alliées et le complément de l'impérialisme européen ; l'activité missionnaire faisait partie de la progression ou de la pénétration de l'Occident dans le monde non occidental ».527(*)

Freiherr VON SODEN, 1er gouverneur du Cameroun, et la maison Woermann trouvèrent que la Mission de Bâle, branche allemande dont le siège était à Stuttgart, était la société la plus apte à prendre la relève de la « Baptist Missionary Society ». Leur demande fut appuyée par Friedrich FABRI, inspecteur de la « Rheinische Missionsgesellschaft » qui ne cessait de déclarer que l'idéal était que le missionnaire fut de la même nationalité que le colonisateur. Carl PETERS, fondateur de la « Gesellschaft fur Deutsche Kolonisation »528(*) appuya à son tour cette démarche en ces termes : « Le missionnaire est, de par sa vocation, plus que tout autre apte à remplir ce devoir.Il est l'homme le plus susceptible de gagner la sympathie des indigènes et de l'orienter vers ses frères blancs, les colons. De ce fait, il prépare les indigènes à se mettre docilement au service de la culture en marche... C'est pourquoi un appel est lancé à toutes les sociétés missionnaires de notre patrie pour qu'elles portent leurs pas et leurs activités vers les lieux où flotte désormais le drapeau allemand ».529(*)

Le 30 juin 1885, le gouvernement allemand accorda à la Mission de tous les droits et libertés nécessaires au bon fonctionnement de son oeuvre au Cameroun. Il lui promit non seulement le soutien du Reich, mais aussi celui du « SyndiKat fur Westafrika » et des commerçants installés du Cameroun.530(*) Rappelons qu'à cette époque en Allemagne, la « Kulturkampf » ou guerre de culture opposait le protestantisme au catholicisme.

Accusé par WINDHORST, chef du parti catholique au Reichstag, d'empêcher l'établissement d'une mission catholique au Cameroun, BISMARCK répondit qu'aucune société missionnaire catholique ne se présentait pour cette possession outre-mer.531(*)

Mais lorsqu'ils s'installèrent au Cameroun, les catholiques prirent un certain avantage sur les protestants : dans leurs écoles, ils mirent très tôt un accent sur l'enseignement de la langue allemande satisfaisant ainsi l'administration coloniale dont le seul souci était l'expansion de la civilisation germanique.

L'église devait aussi contribuer à l'amélioration des conditions matérielles de ceux qu'elle cherchait à transformer. Dans cette perspective, l'évangélisation devenait synonyme d'éducation au sens le plus large du terme.532(*)

Fort de son expérience en Côte d'or, la Mission de Bâle qui prit la relève de la « Baptist Missionary Society » considéra l'école comme instrument très efficace d'évangélisation, comme moyen de lutter contre la résistance des coutumes ancestrales et conséquemment comme moyen le plus efficace de gagner les populations à l'Évangile. C'est dans cette perspective qu'elle entreprit dès 1887 la réorganisation des écoles héritées de la « Baptist Missionary Society », dans l'espoir d'en tirer quelque chose.

En 1888 naquit la « NativeBaptistChurch » issue de la « Baptist Missionary Society ». L'effort scolaire de ces baptistes autochtones, aidés en cela par les baptistes allemands de la Mission de Berlin auxquels ils firent appel ne fut pas négligeable : 634 élèves dans 09 écoles en 1980. Ces écoles étaient disséminées principalement dans la région de Douala et dans le reste de la côte camerounaise. De 1888 à 1898, le nombre d'écoles passa de 02 à 133, tandis que celui des élèves passait de 238 à 3278. 533(*) Au départ, la case chapelle se confondait avec la première salle de classe de l'école. La traduction de la Bible en langue Duala était assurée par Eugen SCHULER de la Mission deBâle.

Les missionnaires catholiques, c'est-à-dire les Pallotins, qui arrivèrent au Cameroun le 25 octobre 1890 adoptèrent presque la même formule que leurs collègues de la Mission de Bâle : l'érection d'une station était toujours suivie de l'ouverture d'une école.

Ils fondèrent leur première station à Marienberg, qui signifie la colline de Marie, près d'Edéa, le 08 décembre 1890, sur une parcelle de terrain qu'ils achetèrent à 1200 Marks au chef Toko, et y ouvrirent la première école l'année suivante.534(*) Ils créèrent des écoles satellites et des écoles de stations. Comparables aux écoles de brousse de la Mission de Bâle, les catéchistes avaient pour but principal d'initier les enfants au christianisme.

Pour les missionnaires Pallotins en effet, c'est la jeunesse qui allait fonder l'Église du futur. Les jeunes devaient constituer le ferment de l'évangélisation du Cameroun.535(*) Le succès fut tel qu'au cours de l'année scolaire 1897/ 1898, le gouverneur JeskoVON PUTTKAMER, après avoir établi la médiocrité des écoles de l'administration, céda l'école publique de Bonebela à la Mission de Bâle.536(*) La première solution fut l'organisation des cours périodiques de recyclage. La seconde solution fut la création en 1898, à Bonabéri du séminaire537(*)chargé de la formation des moniteurs - catéchistes murs physiquement et spirituellement. En 1899, il fut transféré à Buéa. En réalité, ce sont les meilleurs élèves des écoles moyennes qui entraient au séminaire.

Ici encore, la répartition horaire donnait à l'instruction religieuse une importance écrasante : 15 heures sur 26 par semaine. En 1913, les missionnaires Pallotins comptaient au Cameroun 94 prêtres, 36 frères, 29 soeurs, assistées de 223 enseignants et catéchistes camerounais. En vingt-cinq ans d'évangélisation538(*), ils avaient baptisé 54 458 néophytes, et laissé 24 545 catéchumènes, 29 259 écoliers, 300 écoles et 314 enseignants indigènes.539(*)

A ce sujet, la place prépondérante du missionnaire GÖRING dans l'établissement des relations avec le Roi NJOYA est significative(1-). Cependant, cette relation chaleureuse amène à une constatation amère : le christianisme va s'opposer au pouvoir du Roi NJOYA (2-).

1. La place prépondérante du missionnaire Göring dans l'établissement des relations avec le Roi Njoya

De par sa configuration ethnographique, la région de Foumban constitue une véritable zone de transition géographique, culturelle et religieuse. Sa position, à la conjonction des cultures soudano-musulmanes du Nord et des cultures bantoues du Sud forestier, lui confère un statut particulier dans le dispositif de l'évangélisation protestante540(*).

Jean-René BRUTSCH541(*), missionnaire de nationalité suisse en service au Cameroun pour le compte de la SMEP542(*) de 1946 à 1960, a accumulé une documentation considérable sur le pays BamounBamun543(*). En poste dans la région de Foumban entre 1954 et 1957, il s'est intéressé à l'introduction du christianisme dans ce royaume.

Il relève, d'après les notes datées de 1905 du pasteur Ferdinand ERNST de la Mission de Bâle, que c'est « la présence, devant le palais, d'une mosquée édifiée pour les Haoussa établis ici depuis quelques années (qui) incita la mission à projeter sans tarder l'érection d'une station à Foumban, afin de préserver les BamounBamunde l'influence musulmane544(*) »545(*). En 1903, la Mission de Bâle installée à Bali envoya en éclaireurs, pour un court séjour à Foumban,les pasteursERNEST et LEIMBACHER. En 1906, le pasteur LEIMBACHER revint, et fut bientôt suivi par le pasteur GÖHRING qui installa définitivement, avec l'accord du roi, la Mission de Bâle à Foumban. Par la suite, une école fut ouverte.Dès le début, et durant tout son séjour en pays BamounBamun, une grande amitié se développa entre le missionnaire suisse et le roi autochtone. Une relation faite de cordialité et de respect mutuel dont les sujets du roi gardèrent un bon souvenir. Malgré tout, le missionnaire bâlois ne parvint jamais à obtenir du roi la conversion escomptée546(*). Cela aboutira à la naissance del'Églisede Foumban547(*).Le missionnaire suisse MartinGÖRING et son épouse s'installèrent à Foumban le 10 avril 1906, sur le vaste site de Njissé gracieusement offert par le roi et sur lequel il renonça à tous ses droits et prétentions.

Ce soutien facilita énormément la pénétration rapide du christianisme :«  Sitôt installés, les Göring organisèrent une oeuvre scolaire. Le 25 juin déjà commença l'école des garçons, avec 60 élèves, puis le 10 octobre l'école des filles, avec 51 élèves. La « toute » première église construite devant le palais, là où s'élevait auparavant la mosquée, fut inaugurée à Pentecôte 1907. Enfin, le jour de Noël, 1909 eurent lieu les premiers baptêmes, au nombre de 80 ; puis le lendemain, l'Église ainsi constituée célébra pour la première fois la sainte cène »548(*).Le site choisi pour l'Église de Foumban sera celui des collines de Njissé.

HenriNICOD549(*) en parle d'ailleurs, sous forme romancée, dans « Mangweloune.La danseuse du RoiNjoya » : « Non loin du palais, dominant le village de NJIMofen et celui des servantes, se dressait la haute et aride colline de NJIssé. Le Mfon l'offrit à ses nouveaux amis. Sans perdre de temps, les missionnaires rassemblèrent les pieux, les nervures de palmiers, le chaume nécessaire à la construction de maisons provisoires. Les cases terminées, les deux artisans s'en allèrent pour laisser la place à un prédicateur, le pasteur Ring, accompagné de sa femme. Souvent, M. Ring se rendait au palais pour s'entretenir avec le Mfon et ses conseillers. Seuls, les hommes étaient admis, mais Mahma, Wamben et le roi lui-même enseignaient aux femmes et aux enfants les récits que leur faisait le pasteur550(*). Avec l'aide du Mfon, une vaste hutte fut construite sur la colline. Njoya, à la demande de M. Ring, ordonna à ses NJI d'envoyer des enfants pour qu'ils fussent instruits.Les notables n'y mirent cependant pas beaucoup de zèle. Préférant garder avec eux leurs propres enfants, ils donnèrent des fils de serviteurs ou d'esclaves pour tenter une expérience sans grande importance à leurs yeux.Les mères de famille retenaient leurs petits à la maison, craignant qu'il leur arrivât malheur sur la colline. On la disait hantée par des vampires depuis que les Blancs s'y étaient fixés. Ceux qui devaient pourtant s'y rendre étaient frottés de poudre rouge pour les protéger des mauvais sorts. Bientôt, soixante enfants gravirent chaque jour les pentes de la colline pour aller s'instruire chez les Blancs. Prêchant d'exemple, le roi avait donné six de ses propres fils. Des adultes aussi montaient à Njissé pour y apprendre les récits bibliques. Les enseignements du Christ plaisaient beaucoup au roi et aux conseillers du palais. Ils exprimèrent le désir d'être baptisés. Mais ce n'était pas facile. Le missionnaire disait qu'un homme ne peut être baptisé que s'il connait la loi de Dieu, y soumet sa vie551(*) ».

L'histoire révèle qu'en 1907, le roi avait déjà envoyé 60 enfants à l'école. Le 25 décembre 1909, il y a 80 candidats au baptême, dont vingt-huit (28) princesses, vingt-neuf (29) garçons, vingt-trois (23) filles. Plusieurs autres baptêmes suivirent avec un nombre impressionnant de filles. Les voix de femmes se font de plus en plus entendre. Nous pouvons citer celle de l'emblématique Lydia MANGWELOUNE, la danseuse et dulcinée du roi NJOYA.Cette danseuse jadis la favorite du roi, prend une position ferme et défend sa nouvelle conviction religieuse, offensant le roi par son refus de se plier à ses exigences. Il entraîne avec elle beaucoup d'autres femmes qui résistent à la répression du roi contre les chrétiens, parce qu'il sentait son autorité menacée. Par la suite,le christianisme va se heurter au pouvoir du RoiNJOYA qui va être ébranlé par les valeurs de tolérance, d'égalité entre les hommes et les femmes, d'amour et de compassion envers ses ennemis.

Tableau N° 13: Anna WUHRMANN & Lydia MANGWELOUNE, 02 figures féminines emblématiques du christianisme en terre BamounBamun.

Anna WUHRMANN

Lydia MANGWELOUNE

Missionnaire suisse, enseignante et grande photographe. Elle a immortalisé par ses très nombreuses photos le pays BamounBamun et l'époque du Roi NJOYA de 1911 à 1922. Née à Marseille en 1881 de parents suisses, Anna WUHRMANN est élevée par ses grands-parents en Suisse jusqu'à l'âge de 07 ans. Elle va à l'école à Bâle, puis ensuite, elle poursuit ses études dans un internat pour devenir enseignante. Elle commence sa carrière en 1905 et postule pour la mission évangélique de Bâle en 1910. La mission de Bâle remplaçait depuis 1886 la Mission Baptiste de Londres, après la prise de Douala par l'Allemagne à l'issue du Traité Germano-Duala de 1884.

En septembre 1911, elle est envoyée par la mission au Cameroun, à l'époque sous protectorat allemand, où elle va enseigner à l'école des filles de la mission de Foumban jusqu'en 1915. Pendant la guerre, elle est faite prisonnière par les Anglais pendant plusieurs mois et une fois libérée, elle rentrera chez elle en Suisse. Mais elle revient au Cameroun en 1920 avec la Mission Évangélique de Paris et retourne enseigner auprès de ses élèves de Foumban. Très proche de la communauté BamounBamun, elle s'attache à changer les conditions personnelles et sociales des femmes. Son talent missionnaire dépassait à certains égards celui de ses collègues. Elle fut la première représentante d'une nouvelle génération de missionnaires qui se mit à respecter les coutumes africaines et à partager leurs vues.

Passionnée par la photo, durant ses séjours au pays BamounBamun, Anna WUHRMANN va prendre de très nombreux clichés de la communauté BamounBamun, elle va ainsi immortaliser toute une époque du pays BamounBamun et ainsi constituer de très belles archives photographiques. Elle réalise de très nombreux portraits des habitants de Foumban et des membres de la famille royale ; dans ses portraits, Anna WUHRMANN se passe largement de poses théâtrales, ses modèles sont rarement en contact visuel avec la photographe.

En conséquence, les photos ont un caractère factuel et le documentaire qu'elle complémente d'annotations. Parmi ses très célèbres clichés, il y a celui de Lydia MANGWELUNE qui a été publié pour la couverture du livre d'Henri NICOD, « La danseuse du Roi »... Ainsi que de très nombreux portraits du Roi Njoya. C'est d'ailleurs sous les conseils de la missionnaire photographe que le roi achètera son premier appareil photo. En 1922, elle quitte définitivement le Cameroun et l'année suivante, se marie avec R. REIN, un professeur allemand. Elle vit en Allemagne jusqu'à la mort de son mari en 1943 où elle retourne vivre en Suisse. Anna WUHRMANN est décédée en 1971, elle a écrit de nombreux livres et manuscrits sur le Cameroun et le pays BamounBamun. Entre autres, « Mein Bamunvolk im Grasland von Kamerun » en 1925 et « Fumban, die Stadt auf dem Schutte - Arbeit und Ernte im Missionsdienst in Kamerun » (Foumban, la ville sur la gravats - Travail et Récolte en Service Missionnaire au Cameroun en 1948).

Née en 1886 dans une grande famille noble du quartier NJIyouom de Foumban, deuxième fille d'une fratrie de 17 enfants. Son père NJI MOFEN était un noble exerçant les fonctions de chef des serviteurs de No PEMBOURA, soeur de NGUNGURE, la mère du Roi NSANGU, qui était le père du Roi NJOYA. Sa mère MANDU était cousine du Roi NJOYA dans sa lignée paternelle. Touchée par l'enseignement chrétien entendu à Foumban, Lydia obtient du Roi NJOYA un changement de statut. Elle ne sera plus désormais concubine royale, ni « danseuse du roi », mais donnée comme épouse de NJI WAMBEN, un noble au service du roi. Lydia devient catéchumène. Elle prie, lit la Bible, écoute avec une vive attention l'enseignement chrétien.Son comportement change. En 1909, elle reçoit le baptême à l'âge de 23 ans. C'est alors qu'elle prend officiellement le nom de Lydia. Elle va rapidement en payer les conséquences sociales, dans un monde BamounBamun où le christianisme est ultra-minoritaire. Victime des brimades et des brutalités de son mari, elle perd une partie de son statut social et souffre dans sa chair. Le départ des missionnaires allemands en 1915 aggrave sa situation. Les récits biographiqueset correspondances de l'époque insistent sur la persévérance tenace de Lydia, qui impose peu à peu le respect autour d'elle par le calme stoïque dont elle fait preuve devant les humiliations subies. Les bouleversements géopolitiques engendrés par la Première Guerre Mondiale conduisent la Mission de Paris à assurer le relais protestant. Elle s'implante en pays BamounBamun.

Le pasteur français Elie ALLEGRET, après une visite à Foumban en 1917, envoie un instituteur chargé de mettre en place un conseil d'anciens. Lydia est appelée à siéger au milieu du conseil. « Une femme siégeant au conseil des hommes ! Et avec le même droit de vote ! Une femme, un être si méprisé chez les païens ! C'était inouï ! Mais ces chefs de la communauté avaient vu juste et avaient fait un bon choix ».

Dans une société qui change et s'ouvre, Lydia, restée sans enfant, va peu à peu infléchir les rapports de force. Alors que l'islam s'implante aussi, elle incarne avec détermination et constance un style de vie chrétien. Elle développe un témoignage en paroles et en actes qui aboutit en fin de compte à la conversion de nombreuses femmes, mais aussi de son mari. Ancienne, catéchiste, évangéliste, Lydia prêche par l'exemple. L'église a eu et continue d'avoir des anciennes, mais celle dont nous parlons maintenant est une ancienne par excellence. Elle visite les églises des quartiers et y donne de bons conseils aux catéchistes, aux catéchumènes et aux chrétiens. Elle sait consoler les frères affligés. Elle a nourri des enfants orphelins qu'elle a acceptés volontairement. « Beaucoup de femmes de catéchistes ont été éduquées par elle », lit-on dans les archives de la SMEP. Respectée et écoutée dans toute la région, elle devient peu à peu une icône du christianisme BamounBamun, alors qu'elle apprend peu à peu le français, langue des nouveaux colonisateurs. En 1931, la région BamounBamun compte 31 postes de prédicateurs et 35 lieux de culte. La progression du christianisme se poursuit, et Foumban compte aujourd'hui une « MEGA CHURCH » - « NDAAMBASSIE » - de 14 000 fidèles. Pour les chrétiens de la région, Lydia est restée une référence fondatrice. Au-delà de sa personne, elle représente un idéal d'acculturation douce du christianisme au début du XXème siècle, dans une société polygame et multireligieuse marquée par la domination des hommes.

Source : « Royaume BamounBamun - Anna Wuhrmann & Lydia Mangweloune », article publié sur le site www.facebook.com et consulté le 11 mars 2021.

* 525 A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 128-129.

* 526Ibid., p. 229.

* 527 K. ASARE OPOKU, « La religion en Afrique pendant l'époque coloniale », in A. BOAHEN (dir), Histoire Générale de l'Afrique, vol. VII : L'Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, Paris, UNESCO/ NEA, 1987, pp. 566-567. In A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands,L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 214.

* 528 Société pour la colonisation allemande.

* 529 Cf. Allgemeine Missionsgesellschaft, 1886, p. 41.

* 530 MADIBA ESSIBEN, Colonisation et évangélisation en Afrique : l'héritage scolaire du Cameroun (1885-1956), Berne / Francfort, Peter LANG, 1980, p. 47. Fondé en 1884, le Syndikat fur Westafrika regroupait les commerçants allemands ayant des intérêts économiques en Afrique occidentale. Son président était Adolf WOERMANN, in A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands, L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 215.

* 531 Ce n'est qu'en 1890 que les catholiques (les Pallotins) furent autorisés à s'installer au Cameroun. Pour Jean Paul MESSINA, c'est le baptême du jeune camerounais KWA MBANGE qui accéléra la décision d'autoriser les missionnaires catholiques à s'installer au Cameroun. J.-P. MESSINA & J. VAN SLAGEREN, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, Paris/ Yaoundé, Karthala/ CLÉ, 2005, p. 135. In A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands, L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 126.

* 532 MADIBA ESSIBEN, Colonisation et évangélisation en Afrique : l'héritage scolaire du Cameroun (1885-1956), Berne / Francfort, Peter Lang, 1980, p. 20.

* 533 Ibid. p. 52.

* 534 J.-P. MESSINA & J. VAN SLAGEREN, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, Paris/ Yaoundé, Karthala/ CLÉ, 2005, p. 142. A partir de ce moment, les stations surgirent du sol les unes après les autres : Kribi et Edéa en 1891, Engelbert (Bonjongo) en 1894, Douala (Bonadobong) en 1898, Grand Batanga en 1900, Yaoundé (Mvolyé) en 1901, Minlaba en 1912, Deïdo en 1913.

* 535 P. L. BETENE & J.-P. MESSINA, « L'enseignement catholique au Cameroun, 1890-1990 », Publication du centenaire, Bologne, Grafiche Dehoniane, 1992, p. 31. In A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 200-221.

* 536 MADIBA ESSIBEN, Colonisation et évangélisation en Afrique : l'héritage scolaire du Cameroun (1885-1956), Berne / Francfort, Peter Lang, 1980 », p. 61. In A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands, L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 222.

* 537 École des auxiliaires ou encore École Normale.

* 538 1890-1915.

* 539 J.-P. MESSINA & E. MVENG, L'Église catholique au Cameroun : 100 ans d'évangélisation, 1890-1990, Conférence épiscopale du Cameroun, Sous-Commission de l'histoire de l'Église, 1990, p. 24.

* 540 N. NGO NLEND, « Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays bamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », in Études Théologiques et Religieuses, 2013/1, (Tome 88), pp. 73- 87.

* 541 1921-1974.

* 542 SMEP : La Société des Missions Évangéliques de Paris.

* 543 A la mort de BRUTSCH, sa documentation a été cédée au Défap par sa famille où elle constitue désormais un fonds à part dit « fonds Brutsch ». La valorisation scientifique de ce fonds en vue d'une publication, a motivé la mise à disposition par le Défap d'une bourse de recherche dont nous sommes la bénéficiaire.

* 544 Fonds BRUTSCH, boîte S, document dactylographié daté de 1955, p. 9.

* 545 Ibid.

* 546 Ibid.

* 547 Nadeige NGO NLEND est doctorante en histoire inscrite en cotutelle internationale dans les Universités de Yaoundé I au Cameroun et Paul-Valéry, Montpellier III en France. Elle est par ailleurs assistante au Département d'histoire de l'Université de Douala (Cameroun). La réflexion qu'elle présente ici a été initialement exposée le 15 novembre 2011, lors d'une conférence organisée conjointement par le comité d'animation missionnaire et les Églises réformées d'Alès (France). Cette conférence s'inscrivait dans le cadre d'une semaine d'activités consacrée à l'anniversaire des indépendances des États et des Églises d'Afrique.

* 548 J.-R. BRUTSCH, « Les traités camerounais », in Études camerounaises, n°47- 48, mars-juin 1955, Institut français d'Afrique noire, p. 10 ; N. NGO NLEND, « Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays bamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », in Études Théologiques et Religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73-87.

* 549 H. NICOD, Mangweloune. La danseuse du Roi Njoya, Paroles écrites, 2002, p. 129.

* 550 Idem.

* 551 Idem.

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