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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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2. Traités du 11 et du 12 juillet 1884

Le terme « Cameroon » est d'abord entendu en 1884 pour désigner une ville que les Allemands traduiront en « KamerunStadt » et baptiseront en 1901 pour l'appeler Douala. Mais si à l'époque, on parlait de « Cameroons Town », on parlait aussi de « Cameroons - River »432(*), plus tard dénommé « Fleuve Wouri », et même de « Country called Cameroons ».

Un territoire donc essentiellement limité à la Côte et aux dépendances des RoisDuala, qui exerçaient leur souveraineté ou leur influence de Douala à Buéa et Mbanga d'une part et des pays Bassade la Côte jusqu'à Yabassi d'autre part. Nous retrouvons dans la ville même de « Cameroons », quatre princes régnants issus de deux (02) grandes familles Duala, BELLet AKWA.

En effet, le clan BELL est dirigé par King BELL433(*) sur la rive gauche du fleuve et par le Prince LOCK PRISO434(*) sur la rive droite à Hickorytown ou à Bonabéri435(*). Le clan AKWA est dirigé pour sa part par King AKWA436(*) et Jim EKWALLA de DEÏDO.

Dans les deux camps, les princes de Bonabéri et de Deïdo affirment leur indépendance vis-à-vis de King BELL et de King AKWA. Le résultat est qu'à « Cameroons », aucun souverain n'exerce l'exclusivité du pouvoir sur l'ensemble de la ville ou du territoire dépendant de tous ces potentats.

Chacun des rois et princes exerce son pouvoir sans partage sur son « Town », car on parlera en effet de « Bell-town », « Dido-town » et d'« Hickory-town », tous à « Cameroons », à Douala437(*).Le « Ngondo » ou Assemblée traditionnelle du peuple Duala, est antérieure à l'arrivée, en 1843, des premiers missionnaires à Douala. Son année de création peut se situer approximativement en 1830, soit une quinzaine d'années avant la mort, en juillet 1845, de NGANDO A KWA, Roi des AKWA à l'époque. Le « Ngondo » ou Assemblée traditionnelle du peuple Duala, malgré son institution centralisatrice, ne parvint pas à réunir les Duala en un seul bloc...

Chaque part gardait jalousement ses prérogatives de souveraineté, même la « Court of Equity »438(*) instaurée dès le 14 janvier 1856 pour régler les litiges avec les commerçants européens n'entachait aucunement ces prérogatives439(*).(VoirAnnexe 4 : LE NGONDO).L'Annexe 4 présente l'historique, l'évolution et les activités politiques du « Ngondo » avant et après l'occupation allemande. Ce dernier relève les difficultés et les manquements que cette illustre institution rencontre encore de nos jours pour fédérer l'union et la force des peuples côtiers autour d'objectifs communs tels que le développement, ou la valorisation de la culture Sawa.

On constatera donc une absence de mouvement unificateur entre les potentats Duala en particulier et les potentats africains en général, ce qui conduira à la facilitation et à l'accélération de la signature de différents traités dont ceux du 11 et 12 juillet 1884.

Le traité du 11 juillet 1884 sera une esquisse au traité final du 12 juillet 1884.

· Traité du 11 juillet 1884

Dans une note à GustaveNACHTIGAL que le Chancelier du Reich FürstVON BISMARCK le délègue en Afrique comme « Consul général et Commissaire pour la CôteOuest-africaine », il est stipulé que les traités doivent être signés entre les rois et princes africains et les commerçants allemands afin d'éviter des conditions exorbitantes de la part des Africains.

Le Reich reprendrait les traités immédiatement après, sans avoir à négocier avec les potentats africains qui auront déjà signé avec les maisons privées dans le sens d'un transfert de souveraineté au Reich Allemand par personne privée allemande interposée : « Votre Excellence ne devra proclamer la souveraineté impériale sur les régions concernées que si les chefs indigènes procèdent à une reconnaissance contractuelle de celle-ci ou alors si ces régions ont été préalablement acquises par des citoyens de l'Empire. Les firmes allemandes intéressées ont déjà obtenu quelques acquisitions contractuelles et peuvent donc immédiatement placer les régions en question sous le protectorat de Sa MajestéImpériale sous réserve des droits établis de tiers »440(*).

BISMARCKdonne ces instructions deux (02) mois avant la signature des traités dans la baie de Biafra et ce sur proposition d'Adolf WOERMANN émises le 30 avril 1884441(*). Le Chancelier du Reich conçoit donc parfaitement que des Traités soient signés par des citoyens allemands en leur nom en vue de leur possession privée et que ceux-ci placent ces possessions par la suite sous la protection du Reich. Cela évitera au Reich de signer directement avec les royaumes et principautés africains et lui épargnera des engagements jugés exorbitants.

BISMARCK prévoit cependant que même la signature des Traités entre les puissances africaines et les sujets du Reich doit être attestée et légalisée par un représentant attitré du Reich. Il désignera pour cela, Emil SCHULZE, Consul allemand au Gabon : « Pour faciliter de nouvelles acquisitions sollicitées par les intéressés avant l'arrivée de Votre Excellence dans la Baie de Biafra et pour éviter dans la mesure du possible qu'elles ne soient contestées par des tiers,j'ai habilité le Consul impérial au Gabon M. SCHULZE, qui est particulièrement averti de la situation sur cette côte, à procéder à la législation officielle de tels traités »442(*).

L'instruction de BISMARCK prévoit même les termes du traité, surtout pour les traités négociés, ce qui uniformisera sensiblement la plupart des textes signés : « Lors de la signature des traités et à l'occasion de leur proclamation on devra, conformément à la présente note de M. WOERMANN, formuler clairement que nous respectons les traités commerciaux et contrats signés auparavant entre les indigènes et les autres nations ou leurs citoyens et maintiendrons de toute façon dans les régions concernées la liberté commerciale existante.En outre, conformément à la proposition du paragraphe 6, on devra permettre aux chefs indigènes de continuer à percevoir les taxes comme auparavant »443(*).

Le 10 juillet 1884, ÉdouardWOERMANN, SCHULZE et SCHMIDT se rendirent à Bimbia où ils obtinrent des chefs de la place la signature d'un traité préliminaire444(*).(« VoirAnnexe 5 : Texte préliminaire du 10 juillet 1884 »). L'Annexe 5laisse supposer que les commerçants allemands voulaient sans doute s'assurer que les chefs Duala ne fassent pas marche arrière et qu'ils ne se désistent pas au dernier moment. Ils voulaient aussi sans doute ne pas être pris au dépourvu par les autres puissances étrangères telles que l'Angleterre ou la France. Les traités étaient donc une manière d'asseoir leur mainmise de manière juridique sur le territoire camerounais.

Le traité du 12 juillet 1884, contrairement à ce que l'on pense souvent, n'a pas été signé le 12 juillet. En effet, King DIDO nommé EKWALLA de DEÏDOsigne le 1er et légalise le Traité avec la partie allemande dès le 11 juillet1884.A ce sujet, les King BELL445(*) et King AKWA446(*) signeront le 12 juillet 1884 deux traités identiques, mais séparés même si les deux rois ont contresigné le traité de l'autre447(*). Si le texte du 11 juillet 1884 ne concernait que:« The country called Cameroons situated on the Cameroons named King Dido Town with dependences »448(*). Celui du 12 juillet 1884englobera:« The country called Cameroons situated on the Cameroons River, between the River Bimbia on the North side, the River Quaqua on the South side and Up to 4° 10' North lat. »449(*)Sinon le contenu des deux textes reste identique.

Il faut relever dans ce contexte l'existence d'un texte pouvant être qualifié de Pré-Traité, d'Acte de Reconnaissance ou d'Acte d'Engagement officiel de la part du GouvernementAllemand. Ce premier traité n'avait pas l'assentiment de tous les rois de l'époque450(*).Le traité du 12 juillet 1884 marquera la naissance du Cameroun sur la scène internationale.

· Traité du 12 juillet 1884

Le point de départ de l'expansion coloniale allemande fut certainement le télégramme adressé le 24 avril 1884 au consul allemand résidant au Cap451(*). D'après ce télégramme, le commerçant de Brème, Lüderitz et des établissements d'Angra Pequena452(*)pouvait se considérer comme étant sous la protection de l'empire. L'envoi de ce télégramme inaugurait en quelque sorte une ère nouvelle pour l'Allemagne, l'ère de la conquête coloniale. Le Dr. NACHTIGAL, consul allemand à Tunis depuis 1882, fut chargé le 19 mars 1884 d'une mission d'information sur la côte ouest-africaine. Le premier souhait de la Chambre de commerce de Hambourg venait de se réaliser.

Selon les directives données à NACHTIGAL, il devait étudier le commerce allemand en territoire étranger et signer des traités avec les chefs des territoires indépendants pour garantir les droits de ces mêmes commerçants. Une dépêche contenant des instructions plus précises lui fut envoyée le 24 avril 1884, lui demandant expressément de prendre en possession le territoire situé entre le delta du Niger et le Gabon453(*). AdolfWOERMANN pouvait en être satisfait. De même que ce dernier joua un rôle décisif dans l'engagement colonial du chancelier, de même son agent, Édouard SCHMIDTet celui de la firme Jantzen &Thormählen, Johannes VOB prirent une part active et non moins décisive dans l'acquisition effective du Cameroun. Dès le 06 mai 1884, WOERMANN envoya à son agent à Douala une lettre contenant des instructions très précises.

Il le mettait au courant de la décision du gouvernement impérial et lui demandait entre autres que lui et JOHANNES VOB signent des traités avec les chefs AKWA, BELL, LOCK PRISO et DIDO, dans lesquels ces derniers transféreraient la souveraineté de leur pays à WOERMANN pour l'Empereur d'Allemagne454(*).Dès la réception de ces instructions, les deux agents commencèrent à négocier avec les chefs, tout en essayant de cacher au maximum leurs intentions aux Anglais455(*). Ce n'était pas une mission facile, car si King BELL et King AKWA étaient prêts à signer, l'attitude hostile de leurs sujets ne les encourageait guère dans cette voie.

Le 09 juillet 1884 arrivèrent deux autres négociateurs en l'occurrence le Consul SCHULZE venant du Gabon et ÉdouardWOERMANN, le frère d'Adolf WOERMANN. Dès le lendemain, ÉdouardWOERMANN, SCHULZE et SCHMIDT se rendirent à Bimbia où ils obtinrent des chefs de la place la signature d'un traité préliminaire456(*). L'ordre fut donné au Consul HEWETTle 16 mai 1884 de faire des arrangements préliminaires sur la côte camerounaise. Le capitaine MOORE arriva à Douala le 10 juillet pour préparer les chefs à la venue du Consul HEWETT.

King BELL lui aurait dit que si les Anglais ne prenaient pas possession de son pays, il le donnerait aux Allemands, cependant, il lui aurait tout de même promis d'attendre encore une semaine l'arrivée du Consul. C'est le bateau du capitaine MOORE que NACHTIGAL, BUCHNER et leurs compagnons croisèrent le 11 juillet 1884.

La présence de ce bateau inspira chez les Allemands un sentiment d'inquiétude qui ne dissipa que lorsqu'ils apprirent que rien ne s'était passé entre ce bateau anglais et les chefs Duala ; ils avaient peur d'être venus trop tard457(*). Pendant qu'ÉdouardWOERMANN, SCHULZE et SCHMIDT obtenaient la signature des chefs de Bimbia, JohannesVOB réussissait à faire signer le chef DIDO le 11 juillet 1884458(*).

L'arrivée de NACHTIGAL à bord du navire de guerre « Möwe » décida sans doute King BELL et King AKWA à signer le traité ; ils se sentirent certainement plus sursavec un allié puissant à leur côté ou bien ils eurent justement peur du navire de guerre. Avant de transférer leurs droits de souveraineté aux firmes allemandes, ils tinrent à fixer une liste de clauses qui lui furent garanties par la signature du Consul SCHULZE.

Le 12 juillet 1884, Édouard SCHMIDT, Édouard WOERMANN et VOSS représentant l'Allemagne, se retrouvèrent avec les rois AKWA, BELL et leurs subordonnés à Douala et signèrent le traité Germano-Duala.

Dans la suite de notre travail, nous nous intéresserons au principe de l'hinterland et à l'implantation progressive de l'administration coloniale allemande sur le territoire Bamun.

* 432 Kamerun Fluss.

* 433 NDUMB'A LOBE.

* 434 KUM'A MBAPE.

* 435 Bonabéri vient de « Bona Belle ; les gens de Belle, soit les gens de Bell ».

* 436 NGANDO MPONDO.

* 437 Prince KUM'A NDUMBE, L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1896. Le cas du Cameroun, Éditions AFRICAVENIR, 1986, p. 44.

* 438 Cour d'Équité.

* 439 Ibid, p. 45.

* 440 Von Bismarck an den Kaiserlichen General - Konsul Herrn Dr. Nachtigal; Druck - Sachen des Reichstages 6. Legislatur - Periode, 1- Session 1884-85, Band 1, Berlin 1885, p. 29 sq.

* 441 Adolph Woermann an den Herrn Reichskanzler Fursten Von Bismarck Durchlauchn Hamburg den 30 April 1884, ibid. p. 31 sq.

* 442 Ibid, p. 30.

* 443 Ibid, p. 30.

* 444 Ibid. p. 65. M. BUCHNER, Aurora Colonialis, op. cit., p. 64.

* 445 NDUMB'A LOBÉ.

* 446 DIKA MPONDO.

* 447 « C'est Notre Histoire-Traité Germano-Douala de juillet 1884 : Marché de Dupes ou Braderie du Siècle ? Les Chefs SAWA ont-ils été trompés à l'insu de leur plein gré ? » Article publié sur le site www.facebook.com et consulté le 27 janvier 2021.

* 448 Abtretung Urkunde Dido, 11-7-1884 DZA - Potsdam 4202, f. 9009.

* 449 Abtretung Urkunde Bell-Aqua, 12-7-1884 DZA - Potsdam 4447, f. sq.

* 450 Prince KUM'A NDUMBE III, L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1896. Le Cas du Cameroun, Éditions AFRICAVENIR, 1986, p. 58.

* 451 H. BRUNSCHWIG, « De la résistance africaine à l'impérialisme européen », in Peuples Noirs, Peuples Africains, N°9, 1979, p. 100 sq. Voir aussi H. BRUNSCHWIG, L'expansion allemande outre-mer du XVe siècle à nos jours, Paris, PUF, 1957.

* 452 Sud-Ouest Africain.

* 453 S. ARDENER, Eye-Witnesses to the annexation of Cameroon 1883-1887, Buéa, 1968, pp.22-23; H. BRUNSCHWIG, « De la résistance africaine à l'impérialisme européen », in Peuples Noirs, Peuples Africains, N°9, 1979, p. 101; G.D. RAMSAY, The City of London in International Politics at the Accession of Elizabeth Tudor, Totowa, N.J.: Rowan and Littlefield, 1975, p. 176.

* 454 H. P. JAECK, « Die deutsche Annexion ». In H. STOECKER (éd.), Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft I, p. 64.

* 455 Ibid., p. 64.

* 456 Ibid. p. 65. M. BUCHNER, Aurora Colonialis, p. 64.

* 457 M. BUCHNER, Aurora Colonialis, p. 63 sq : il note ceci à la page 64. « Erst am folgenden Morgen des 12. Juli, als wir uns anschikten den FluB noch weiter hinauf zu fahren, kam ein Lotse angerudert... und brachte die Nachricht, es sei weiter nichts passiert, die Englander hatten an Bord der `Goshawk' nur eine lange Besprechung gehabt, und die « Goshawk' sei abgegangen, um den englischen Konsul zu holen, der in Bonny oder Benin sei. Wir atmeten auf.'' Cf. JAECK H.- P., « Die deutsche Annexion ». In H. STOECKER (éd.), Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft, I, p.65; RAMSAY, The City of London in International Politics at the Accession of Elizabeth Tudor, Totowa, N.J.: Rowan and Littlefield, 1975, p. 177; S. ARDENER, Eye-Witnesses to the annexation of Cameroon 1883-1887. Buea 1968, p. 23.

* 458 M. BUCHNER, Aurora Colonialis, p.70.

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