L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
B. LA SIGNATURE DE DIFFÉRENTSTRAITÉSENTRELESCOMMERÇANTS ALLEMANDS ETLES CHEFS DUALAUn traité est un contrat conclu entre plusieurs sujets de droit international public. L'accord écrit traduit l'expression des volontés concordantes de ces sujets de droit en vue de produire des effets juridiques contraignants, qui sont régis par le droit international. Seuls peuvent conclure ces contrats ceux qui sont dotés d'une personnalité morale de droit international et qui disposent du treaty-making power (TMP). Il s'agit le plus souvent des États, mais d'autres personnes morales, comme certaines organisations internationales, peuvent en conclure. Un exemple de traité de paix est le Traité des Pyrénées. Deux importants textes signés le 12 juillet 1884 constituent le fondement juridique de l'occupation du Cameroun par les Allemands. Le premier de ces textes détermine en fait les rapports entre les indigènes et leurs nouveaux maîtres ; il s'attache en particulier à souligner les points essentiels sur lesquels les indigènes souhaitent avoir le maximum d'assurances. Il s'agit en somme d'une sorte de loi fondamentale dont le contenu tient à deux idées essentielles : l'engagement par les allemands de respecter et de protéger le monopole que détenaient les indigènes dans le commerce avec l'arrière-pays ; le maintien du système de crédit attaché à ce monopole et qui avait pour but de faciliter les opérations commerciales aux indigènes. Pour le reste, les Allemands avaient carte blanche pour prendre en main la direction du pays424(*). Quant au second texte, il est conçu sous forme de traité. Les Duala s'y engagent, par l'intermédiaire de leurs chefs, à accorder toute souveraineté aux allemands sur l'ensemble du Territoire ; en retour, ils attendent des allemands des concessions sur cinq points dont notamment, le respect des coutumes et le maintien du droit des chefs à percevoir le « Koumi ». La suite de ce texte rejoint dans les grandes lignes l'esprit du premier. Il insiste plus spécialement sur la nécessité de laisser aux indigènes toute liberté de poursuivre leur commerce d'intermédiaires. Rappelons que les Duala tenaient énormément à cette prérogative qui était devenue pour eux une raison de vivre ; on a même pensé que de ce fait,ils n'auraient accepté qu'avec d'extrêmes réserves l'occupation anglaise, dont ils savaient d'avance qu'elle n'était pas favorable au maintien de ce monopole. L'insistance avec laquelle est soulignée cette exigence dans le traité reflète nettement leur volonté de ne pas transiger sur ce point. Voici un passage de leur déclaration : « Notre souhait est (sic) que les hommes blancs n'aillent pas commercer avec les Bushmen, rien à voir avec nos marchés. Ils doivent rester ici dans cette rivière et ils nous font confiance, pour que nous commercions avec nos Bushmen ».425(*) Quelque explicite que ce soit ce texte, et bien que les Allemands n'aient fait aucune réserve à son sujet, il n'en fut pas moins une source de difficultés entre les deux parties426(*). Les premiers germes de ces difficultés étaient apparus du jour où des explorateurs purent pénétrer dans l'arrière-pays. Dès 1850, BARTH avait pu s'engager dans les régions du Nord-Cameroun, pour le compte de la « Royal Geographical Society » de Londres ; son travail fut poursuivi en 1860 par ROHLFS et, de 1869 à 1873, par NACHTIGAL.Un peu plus tard, de 1882 à 1883, Flegel, qui était à la fois explorateur et commerçant, pénétra dans l'Adamaoua par le Niger et la Bénoué ; il fut à tel point impressionné par les possibilités qu'offrait cette région, qu'il voulut y organiser une société commerciale allemande427(*). En premier lieu, nous nous sommes penchés sur l'accord commercial du 30 janvier 1883 et la convention du 29 mars 1883(1-). Puis, en second lieu, nous nous intéresserons aux traités du 11 et 12 juillet 1884 (2-). 1. Accord commercial du 30 janvier 1883& Convention de réconciliation du 29 mars 1883L'accord Akwa-Woermann du 30 janvier 1883, est relatif à la protection des biens et agents de la firme Woermann à Akwa428(*). Le 30 janvier 1883, un important accord commercial est signé entre le Roi AKWA et le représentant de la maison Woermann de Hambourg, précédent de très peu la venue de la mission allemande conduite par le Dr.NACHTIGAL qui avait reçu la consigne du Chancelier BISMARCK d'établir des « colonies de commerce » dans nos régions429(*). Ce traité permettait aux Allemands de faire du commerce dans son territoire.En second lieu, la convention de réconciliation du 29 mars 1883 sera abordée. King BELL était le chef de file du peuple Duala au sud du Cameroun pendant la période où les Allemands ont établi leur colonie du Kamerun. Il a régné de 1858 à 1897. NDUMBÉ LOBÉ BELL a succédé à son père LOBÉ BEBE BELL en 1858, quand il était âgé d'environ vingt ans.Entre 1872 et 1874, il y avait un conflit entre les factions AKWA et BELL, sur une tentative de Bonapriso de séparer d'Akwa. King BELL a été soutenu par Deïdo, qui était devenu indépendant d'Akwa. Entre 1882 et 1883, avant l'annexion allemande, une violente dispute a éclaté entre King BELLet trois de ses frères, soutenus par Akwa et Bonabéri. Ces luttes étaient nuisibles pour le commerce et l'expansion économique des BELL. A la fin du 19ème siècle, malgré que les Anglais soient les Européens les plus présents au Cameroun, le pays devient une colonie allemande.Pour éviter d'autres actes de rébellion comme il en a connu avec les Bonabéri, King BELL demande la protection des Allemands afin de renforcer son autorité et ses positions sur le commerce intérieur430(*). Et à ce titre, le « Ngondo »apparaît comme la commémoration de la réconciliation entre les Akwa et les Bell, mais aussi comme le point de jonction des peuples côtiers qui ont en commun un certain nombre de pratiques culturelles et sociales : port du pagne, consommation du « Miondo » et du « Ndolè », pratique de la pêche, utilisation de la langue Duala comme langue de communication431(*)... Enfin, nous parlerons des traités du 11 et 12 juillet 1884. * 424 F. ETOGA EILY, Sur les chemins du développement. Essai d'histoire des faits économiques du Cameroun, Centre d'édition et de production de manuels et d'auxiliaires de l'enseignement, p. 151, 1971. * 425Our wishes is (sic) that white men should not go up and trade with Bushmen, nothing to do with our markets; They must stay here in this river and they give us trust, so that we will trade with our Bushmen ». Traduction faite par nous. * 426 Le Gouverneur VON SODEN, dès 1886 déjà, devait donner à ce texte une interprétation restrictive ; pour lui, le monopole reconnu aux Douala n'était valable que dans leurs rapports avec les tribus qui jusqu'en 1884 commerçaient avec eux. Ils étaient donc éliminés des nouvelles zones qui devaient être explorées par la suite ; mais, on verra que beaucoup plus tard, rien ne subsistera plus en pratique, des termes du traité de 1884 (cf. E. ZINTGRAFF, pp. 3-4 ; Dr G. MEINHARDT, Die Geldeschichte der ehemaligen Deutschen Schuztgebiete, Heft 3 : Kamerun). * 427 F. ETOGA EILY, Sur les chemins du développement. Essai d'histoire des faits économiques du Cameroun, Centre d'édition et de production de manuels et d'auxiliaires de l'enseignement, p. 152, 1971. * 428 R. NGANDO SANDJE, « Le Traité germano-douala du 12 juillet 1884 », p. 132. Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 12 janvier 2021. * 429 C.-T. KUOH, Montémoignage : Le Cameroun de l'indépendance (1958-1970),Biographie, 1990, p. 15. * 430« Cameroon Rétro-Photos du passé (n.d.) ». Article publié sur le site www.facebook.com et consulté le 08 février 2021. * 431 PEUPLE SAWA, « Ngondo : Espoir d'une jeunesse déracinée ». Article publié sur le site www.peuplesawa.com, le 15 novembre 2016 et consulté le 08 février 2021. |
|