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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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II. CONSIDÉRATIONSMÉTHODOLOGIQUES ET OPÉRATOIRES

La théorie est un « ensemble intégré de concepts et de sous concepts que l'on tente habituellement d'utiliser pour mieux structurer l'explication de la réalité »222(*). L'impératif d'expliquer la réalité conditionne même la valeur scientifique de la théorie.

Car, comme affirmait MichelBEAUD : « La théorie ne peut se juger à sa seule cohérence interne, mais par rapport à sa capacité à rendre compte du réel »223(*).Cependant, toute théorie ne peut expliquer qu'un volet seulement de la réalité sociale. Il faut également recourir à la méthode.

En toute science, la première condition du progrès c'est la méthode224(*). La méthode se trouve donc être l'ensemble des opérations intellectuelles qu'une discipline met en oeuvre pour démontrer, vérifier et établir les vérités qu'elle poursuit225(*). Ainsi dans le processus de recherche en sciences sociales, le chercheur doit toujours se comporter comme un chercheur de pétrole.

C'est ainsi dire que de même que le chercheur de pétrole mobilise des outils méthodologiques qui lui permettront de parvenir à ses fins pétrolières, de même, le chercheur devra en faire autant pour cerner son objet d'étude226(*). Ce faisant, dans la perspective de notre travail, nous avons usé d'un syncrétisme méthodologique qui prend en compte les méthodes d'analyse d'une part (A-) et d'autre part, les techniques de collecte des données (B-).

A. LES MÉTHODES D'ANALYSE

La méthode est une notion ambiguë qui renvoie à plusieurs acceptions. MadeleineGRAWITZretient d'ailleurs trois sens. Du point de vue philosophique, la méthode représente « l'ensemble des opérations intellectuelles pour lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontre, les vérifie »227(*). Par rapport à l'objet d'étude, elle devient une « façon d'envisager ou d'organiser la recherche »228(*).

Enfin, elle désigne souvent une notion propre à une discipline des sciences sociales229(*). Quel que soit le sens considéré, la méthode demeure importante dans le processus de la recherche scientifique. Elle « accroît la capacité explicative du discours de la recherche scientifique en l'affinant davantage de manière à lui donner plus de crédit ».230(*)

L'analyse des données obéit à une démarche méthodologique précise. Dans cette étude, trois méthodes sont employées. Nous avons entre autres, la méthode historique (1-), la méthode comparative (2-) et le constructivisme (3-).

1. La méthode historique 

L'approche culturaliste et historique est un courant de l'anthropologie né aux États-Unis sous l'impulsion principale de RuthBENEDICT, RalphLINTON, AbramKARDINER et CoraDUBOIS. Elle tente une description de la société sous les points de vue conjugués de l'anthropologie et de la psychanalyse.

Le culturalisme constitue un des courants qui a dominé la sociologie américaine des années 1930 jusqu'aux années 1950. En empruntant la notion de culture aux anthropologues, il cherche à rendre compte de l'intégration sociale.

S'appuyant sur l'observation des sociétés archaïques,les culturalistes mettent en évidence l'influence prépondérante de la culture et des habitudes culturelles d'éducation sur la personnalité de base des individus.

L'approche culturaliste et historique231(*) nous permettra d'amorcer un recueil chronologique sur l'histoire politique du Cameroun pendant la période coloniale allemande. En effet, on se rend compte que les relations existant entre l'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels BamounBamun et Duala ont donné lieu à des situations complexes, ambiguës empreintes de méfiance, de brutalité, de respect mutuel, et, surtout, d'alliances entre les différents acteurs.

Quant au champ de la sociologie et de l'anthropologie politiques dans lesquels nous nous situons, la méthode historique va combler les lacunes des faits et des évènements en s'appuyant sur un temps, peut-être artificiellement reconstruit, mais assurant une continuité, et un fil conducteur pour notre étude232(*).

Cela est d'autant plus pertinent lorsqu'on sait avec Marcel MAUSS et PaulFAUCONNET qu'on n'a pas besoin de connaître la date d'un fait social pour s'en servir, pourvu que l'on connaisse ses antécédents, ses concomitants, ses conséquents, en un mot tout le cadre social233(*).

Dans le cadre de notre étude, la méthode historique nous a permis de retracer la période coloniale allemande au Cameroun, ainsi que les liens ayant existé entre l'administration allemande et les différentes autorités traditionnelles qui ont eu un impact sur l'évolution sociopolitique du Cameroun.

Cette approche a aidé, à travers la diachronie et la synchronie, d'apprécier l'influence que la colonisation allemande a eue sur les sociétés traditionnelles BamounBamun et Duala, et, inversement, l'influence de ceux-ci sur celle-là. La synchronie et la diachronie sont deux dimensions d'un même objet d'étude. La première est son état à un moment donné du temps tandis que la seconde intègre les évolutions de son état dans le temps.

L'usage de la synchronie nous as permis de caler notre travail sur une intervalle de temps allant de 1884 à 1916. En effet, en 1884, les Duala signent avec les Allemands le traité du 12 juillet 1884. 18 ans plus tard, c'est-à-dire en 1902, les Allemands débarquent à Foumban.

Cette différence d'une quinzaine d'années ne nous as pas empêchés de montrer les similitudes au niveau de la domination de l'administration coloniale allemande sur les pouvoirs politiques concernés.

Les faits synchroniques sont systématiques ; les faits diachroniques sont particuliers, hétérogènes, isolés, et en outre sont extérieurs au système. En effet, du fait de la position privilégiée des chefs Duala sur l'estuaire du Wouri, ils seront les premiers à prendre contact avec les envahisseurs étrangers au détriment des autres peuples présents à l'intérieur des terres. Nous supposons que les pénibles conditions de voyage des occupants allemands ne leur ont pas permis de vite explorer le territoire camerounais. Par ailleurs, la traite des esclaves et les échanges commerciaux mobilisaient la plupart des troupes au niveau des côtes et non à l'intérieur du pays.

Concernant la diachronie, elle peut apparaitre difficile à émerger dansla mesure où nous sommes en face de deux entités politiques traditionnelles aux structurations différentes. Le Royaume Bamoun est structuré autour d'un chef unique avec un pouvoir et une autorité affirmées sur ses sujets. Par contre, revenir sur les cantons Duala (BELL, AKWA et DEIDO) était un exercice difficile car il fallait prendre en compte les avis de chaque chef ; il fallait toujours une collégialité pour la prise de décision sous risque de tensions communautaires. Cette dichotomie sera d'ailleurs antérieure à l'arrivée des colonisateurs allemands.

* 222 G. MACE & F. PETRY, Guide d'élaboration d'un projet de recherche en sciences sociales, Les Presses de l'Université de Laval Québec, 2000, p. 30.

* 223 M. BEAUD, L'art de la thèse, Paris, La Découverte, 2001, p. 50.

* 224 A. FILON, De la méthode historique, Hachette Livre, 1840, p. 1.

* 225I. LO, Méthodologies de recherche en sciences sociales, Paris, PUF, 2013.

* 226 R. QUIVY & L. VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, Paris, 1995.

* 227 M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales (10ème édition), Paris, Dalloz, 1996, pp. 351-352.

* 228 Idem.

* 229 Idem.

* 230 G. HERMET et AL., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques (8ème édition), Paris, 2015, p. 174.

* 231 C. TILLY, Big Structures, Large Processes, Huge Comparisons, New York, Russell Sage Foundation, 1984.

* 232 M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales (10ème édition), Paris, Dalloz, 1996, p. 422.

* 233 M. MAUSS & P. FAUCONNET, « La Sociologie, objet et méthode ». Article extrait de La Grande Encyclopédie, 1901, p. 22.

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