L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
b) Histoire PolitiqueL'histoire politique est l'une des principales branches de la recherche en histoire. Elle traite des évènements politiques, notamment de l'histoire des États, des idées, des mouvements et des dirigeants à travers l'Histoire. Elle est généralement structurée autour de l'État-nation. Elle est distincte mais liée à d'autres domaines de l'histoire comme l'histoire sociale, l'histoire économique et l'histoire militaire86(*). Méprisée en France dans les années 1930 par l'école des Annales, elle connaît une nouvelle vigueur. Dans un sens plus général, on adjoint à ce champ l'histoire militaire, l'histoire administrative et l'histoire diplomatique. On peut dire que l'histoire politique fut longtemps, avec l'histoire religieuse, l'unique champ historique. De la « Guerredu Péloponnèsede Thucydide » au 5ème siècle av. J.-C., à l'«Histoirede France » d'Ernest LAVISSE à la fin du 19ème siècle, les oeuvres d'historiens traitaient principalement de faits politiques87(*). Avant le 20ème siècle, en France, l'histoire était vue comme une succession d'évènements et il ne pouvait y avoir aux yeux des historiens que des évènements politiques.Les avènements et les décès royaux, les victoires et les défaites militaires, les décisions prises au sommet de l'État, l'action des grands hommes88(*), les interventions de l'Église suffisaient à expliquer l'émergence et l'affirmation de la France.Au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime, cette histoire était souvent une histoire officielle. Elle répondait à la commande d'un puissant. Les rois, mais aussi les aristocrates, s'entouraient d'historiographes chargés de glorifier leur règne et celui de leurs ancêtres. Aussi, les faits présentés étaient politiques. Cet angle de vue rendait d'ailleurs l'apprentissage de l'histoire indispensable pour les princes.La lecture de« La Guerre des Gaules » devait aiguiser leur sens stratégique. « Les Vies de Plutarque » ou« de Suétone » devaient fournir des modèles de conduite et de vertu à l'apprenti-prince. L'histoire politique avait donc cet avantage d'être conseillère des gouvernants par les leçons de morale et de politique qu'on pouvait en tirer89(*).L'histoire politique du Cameroun montre que le Cameroun, comme tous les autres pays africains, a tout d'abord vécu entre peuples locaux, puis s'est intégré peu à peu au monde extérieur avec le commerce des esclaves. Ainsi, ReinhardtKOSELLECK affirme « L'histoire est comme un champ d'expériences passées »90(*).Car l'historien envisage la colonisation à ses différentes époques en fonction de la métropole. Il permet de saisir les changements survenus dans les relations existant entre cette dernière et les territoires dépendants, et il montre comment l'isolement des peuples colonisés fut brisé par le jeu d'une histoire sur laquelle ils n'avaient guère de prise. Il décrit les systèmes administratifs et économiques qui ont assuré la « paix coloniale » et qui ont recherché la rentabilité91(*) de l'entreprise coloniale92(*). Par la suite, les contacts fréquents vis-à-vis du monde occidental vont conduire au processus de conquête, d'annexion du Cameroun, par plusieurs puissances étrangères dont la France, l'Angleterre et l'Allemagne entre autres. Il en résulte que le Cameroun est officiellement un pays bilingue, anglais-français, ce qui, répétons-le, constitue un exemple unique sur le continent africain. Un pays bilingue est en bonne logique un pays au sein duquel deux langues sont parlées et comprises, au moins par l'élite de cet Etat, sur toute l'étendue du territoire et où la population93(*)est capable d'assimiler et de vivre dans le même temps deux cultures différentes94(*). Nous sommes une mosaïque d'ethnies. Sur le plan social, KarlMARX et LÉNINE pensent qu'une classe politique se compose, en effet, d'hommes subissant des conditions matérielles analogues et ayant conscience de la similitude de leurs situations95(*). Or, le sentiment de conscience de classe n'est pas ressenti par la population camerounaise. De fait, celle-ci conçoit encore les problèmes qui se posent à elle en termes d'appartenance ethnique. C'est ainsi que l'ouvrier Bamiléké se sentira plus solidaire du patron Bamiléké que d'un ouvrier Ewondo ayant les mêmes conditions matérielles de vie que lui.En outre, l'intensité du sentiment de solidarité familiale, est un obstacle à l'éclosion d'antagonismes sociaux. A l'image de la famille africaine, la famille camerounaise est foncièrement anti-individualiste. Ses membres se doivent une aide et une protection mutuelles.Le cousin, même éloigné, réduit au chômage, sera secouru par la collectivité familiale,dans le même temps que l'étudiant boursier devra venir en aide à ses parents frères ou ses soeurs dans le besoin96(*). Le Cameroun est ainsi à l'image de l'Afrique officielle, laquelle, nous dit un spécialiste, « est souvent une Afrique honteuse, attachée à se renier, à cacher ses problèmes, à les minimiser, à les déformer... Le fait ethnique est traité comme une donnée, « dépassée », morte, une curiosité tout au plus exotique, folklorique, à usage d'amateurs d'antiquités et souvent comme une tare, une menace, une tâche. On se refuse à considérer qu'il évolue, se transforme, acquiert des traits nouveaux et constitue un fait contemporain, au même titre que toute autre donnée sociale et culturelle actuelle »97(*). La prééminence du facteur ethnique sur le facteur idéologique apparaît clairement dans la vie politique camerounaise au stade de l'engagement politique des citoyens98(*).Compte tenu de cet élément sociologique fondamental qu'est le tribalisme, un homme politique doit, pour atteindre ses fins, avoir de solides attaches locales...Lorsque le régime était pluraliste99(*), la règle impérative pour tout politicien, consistait à utiliser les structures traditionnelles locales pour servir ses ambitions personnelles100(*). * 86« Histoire politique (n.d.) ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 22 mars 2022. * 87 Idem. * 88 Parfois de femmes. * 89 Idem. * 90 R. KOSELLECK, Le futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques (2ème édition), Paris, Éditions de l'EHESS, 2016. * 91 Pour la métropole. * 92G.BALANDIER,Sociologie actuelle de l'Afrique noire. Dynamique sociale en Afrique centrale, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1955, pp. 4-5. * 93Ou à la rigueur l'élite. * 94 M. PROUZET, Le Cameroun, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Coll. « Comment ils sont gouvernés », 1974, p. 61. * 95 Karl MARX & Vladimir LÉNINE cité par M. PROUZET, op. cit., p. 80. * 96 M. PROUZET, Le Cameroun, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Coll. « Comment ils sont gouvernés », 1974, p. 80. * 97 G. NICOLAS, « Crise de l'Etat et affirmation ethnique en Afrique Noire contemporaine », Revue Française de Science Politique, 1972, p. 1017. * 98 M. PROUZET, Le Cameroun, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Coll. « Comment ils sont gouvernés », 1974, pp. 39-40. * 99 Jusqu'en 1966. * 100M. PROUZET, Le Cameroun, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Coll. « Comment ils sont gouvernés », 1974, pp. 41- 42. |
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