L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
PARAGRAPHE II : LES RELATIONS AMBIVALENTESENTRELE ROI NJOYA ETLE MISSIONNAIREGÖRING« En 1907, une revue missionnaire publiée à Bâle diffuse la nouvelle qu'un jeune roi, NJOYA, souverain d'un petit royaume montagnard du Cameroun dont les habitants s'appellent les Bamum a inventé une écriture. L'État est situé dans le massif montagneux qui termine l'ouest de la dorsale de l'Adamawa. C'est l'un des nombreux royaumes qui occupent les plateaux couverts des savanes boisées que les Allemands nomment le pays de la prairie...Pendant des années, ce royaume a connu une existence presque mythique dans l'esprit des Allemands »1316(*). La facilité avec laquelle le christianisme s'introduit en pays BamounBamun fut une expérience déconcertante, même pour les envoyés de la Mission de Bâle. Malgré l'antériorité de ses relations avec l'islam, dont les ambassadeurs étaient assez bien introduits à la cour au moment de l'arrivée des émissaires bâlois, c'est avec une grande amabilité que le RoiNJOYA accepta l'introduction du christianisme dans son royaume. Avec son accord, le missionnaire SuisseMartin GÖRING et son épouse s'installèrent à Foumban le 10 avril 1906, sur le vaste site de Njissé gracieusement offert par le roi et sur lequel il renonça à tous ses droits et prétentions1317(*). Ainsi, nous étudierons l'amitié entre le RoiNJOYA et le missionnaire GÖRING (A-) qui se dégradera progressivement à cause des nombreux désaccords concernant la pratique de la foi chrétienne et la prise en compte de la culture traditionnelle BamounBamun(B-). A. L'AMITIÉ ENTRE LE ROI NJOYA ET LE MISSIONNAIRE GÖRINGDès le début, et durant tout son séjour en pays BamounBamun, une grande amitié se développa entre le missionnaire Suisse et le roi autochtone. Une relation faite de cordialité et de respect mutuel dont les sujets du roi gardèrent un bon souvenir. Ainsi, JeanNJIMONYA, chrétien BamounBamun de la première heure témoigne : « MonsieurGÖRING (...) aidait à la construction de la première maison du Sultan. Il était un grand ami du Sultan. Il le protégeait auprès de l'administration et l'instrui(sai)t concernant la parole de Dieu. Si le roi (...) finit par avoir la mort dans sa vieillesse, (c'est) grâce à ce grand pionnier de l'Évangile1318(*) ». Malgré tout, le missionnaire bâlois ne parvint jamais à obtenir du roi la conversion escomptée. En effet, l'attachement et le respect que NJOYA avait pour GÖRING, aussi sincères qu'ils aient été, ne le convainquirent jamais de braver les prescriptions de la tradition qui lui imposaient, en sa qualité de chef des BamounBamun, de prendre de nombreuses épouses. La renonciation au trône de ses ancêtres que lui aurait coûté l'adoption du régime matrimonial monogamique prescrit par le christianisme, trop lourde à supporter, l'en dissuada toujours1319(*). Partant de là, nous dresserons une esquisse de portrait du missionnaire GÖRING (1-), tout en mettant en lumière l'accueil favorable du RoiNJOYA de la mission de Bâle en pays BamounBamun(2-). 1. Le portrait du missionnaire Göring : un pasteur au service de la mission de BâleLa Mission de Bâle ou mission bâloise, de son nom complet Société évangélique des missions de Bâle1320(*), est une société missionnaire protestante fondée en 1815, qui a connu un développement très important dans plusieurs régions du monde, notamment en Russie, Côte-de-L'or1321(*), Inde, Chine, Cameroun, Bornéo, Nigéria, Amérique latine, Soudan... Au Cameroun, en 1885, la Mission Bâloise reprit l'oeuvre des missionnaires baptistes anglais. A cette occasion, quelques paroisses baptistes se séparèrent de l'oeuvre pour former l'Église baptiste indigène1322(*). Et le pasteur GÖRING fut l'un de ses plus grands disciples. Suivant la description d'Alexandra LOUMPET-GALITZINE1323(*), le missionnaire Henri MartinGÖRING était tout : professeur, prédicateur, cultivateur, éleveur, constructeur. Il était issu de la mission de Bâle qui faisait partie des missions protestantes classiques qui furent fondées autour de 1800 pour répandre le christianisme en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il commença l'école en 1906 avec 60 garçons ; on envoya encore 1 missionnaire nommé MathiasHOHNER. Il reçut lui aussi 60 garçons ; puis on envoya une demoiselle sous le nom de Lydie LINK qui reçut elle aussi 60 jeunes filles. On voit alors une station missionnaire pleine d'animation. On choisit des jeunes élèves pour internat. Chacun des missionnaires possédait un cheval. EtM.GÖRING, missionnaire en chef, en avait 2 ou 3. Le pasteur ne néglige aucun moyen pour gagner la confiance du roi et du peuple, se lie d'amitié avec le Sultan NJOYA qui, fortement influencé par sa prédication, « renonce à la religion musulmane adoptée à la fin de la guerre civile qui l'opposa à son premier ministre GBENTKOM NDOMBOUO entre 1894-1897 »1324(*). Non seulement le monarque favorisa la scolarisation du pays, mais il suivit les prédications et assista même aux services religieux. Des fragments de la Bible furent traduits en langue BamounBamun, en utilisant l'écriture mise au point par le roi. GÖRING fit d'ailleurs connaître l'écriture BamounBamun en Europe.1325(*)Selon le pasteur GÖRING, NJOYA pensait en homme intelligent qu'il pouvait y avoir d'autres moyens que la force et la cruauté pour imposer son autorité. Et bien que dans son for intérieur, il ne désirât pas que les Allemands prissent possession de son pays, il s'approcha d'eux pour se familiariser avec leurs méthodes et prendre en quelque sorte un peu de leur puissance, de leur savoir, de leurs richesses1326(*). Son rôle fut certainement déterminant mais demeure mal connu, comme en témoigne Alexandra LOUMPET-GALITZINE dans un de ses articles sur le royaume BamounBamun1327(*). * 1316 Ainsi parlait C. TARDITS, Les Africains, Tome 9, p. 265. * 1317 N. L. NGO NLEND, «Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays BamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », Institut protestant de théologie, Études théologiques et religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73-87. * 1318 A. LOUMPET- GALITZINE, Njoya et le Royaume BamounBamun : Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala Éditions, 2006, pp. 18-19. * 1319 N. L. NGO NLEND, «Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays BamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », Institut protestant de théologie, Études théologiques et religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73-87. * 1320 En allemand : Basler Mission ou Evangelische Missionsgesellschaft in Basel. * 1321 Le Ghana actuel. * 1322 Native Baptist Church. Voir Wikipédia, « Mission de Bâle - société missionnaire », article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 11 mai 2021. * 1323 A. LOUMPET- GALITZINE, Njoya et le Royaume BamounBamun : Les archives de la Société des Missions Évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala Éditions, 2006, p. 157. * 1324 J. NJELE, Les débuts du christianisme et son évolution en pays bamounBamun au Cameroun : du début du XXème siècle à 1960, Thèse de Doctorat à l'Université de Paris Sorbonne, Paris, 2005, p. 82. * 1325 Missionnaire GÖRING, 1907. * 1326 Voir l'introduction d'Histoire et coutumes des Bamun, traduction du pasteur Henri Martin, page 9. In I. PARE, « Les Allemands à Foumban ». Article publié sur le site www.vestiges-journal.info.Consulté le 06 mars 2021. * 1327 A. LOUMPET- GALITZINE, « La cartographie du Roi NJOYA (Royaume BamounBamun, Ouest Cameroun) », CFC, N°210 - Décembre 2011, p. 187. |
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