L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
C. LE ROINJOYAVOULAIT AJOUTER DU VIN DE PALMEÀL'EAU BÉNITELe « tchapalo » ou encore « dolo » est une boisson obtenue à partir de la fermentation du mil ou du sorgho rouge germé, puis cuit à l'eau. Cette boisson est consommée au Mali, dans le nord de la Côte d'Ivoire, en Guinée, au Burkina Faso et dans bien d'autres pays de l'Afriquede l'Ouest. Les jeunes le consomment souvent et lui ont donné le diminutif « Tchap » mais originellement c'est une boisson bue durant des cérémonies traditionnelles. La fabrication du « tchapalo » est réservée aux femmes de plus de 40 ans qui ont été initiées. Le degré alcoolique de cette bière tourne autour des 4 et 6 %. Dans des pays tels que la République Démocratique du Congo, on retrouve plusieurs saveurs de ces boissons locales alcoolisées. Entre autres, le « lokoto », boisson à très forte teneur d'alcool provenant de la distillation de grains de maïs fermenté, associé à du manioc et bien d'autres ingrédients qui font sa particularité. Nous avons également le « lunguila » qui est une variante de la liqueur à base du jus de la canne à sucre et bien d'autres boissons aussi fermentées les unes que les autres. Dans chaque région de l'Afrique, vous aurez une boisson locale empreinte de tradition. Ces différentes boissons sont consommées lors des cérémonies particulières1266(*). Nous avons par exemple le « Koutoukou » appelé « gbele » en Côte d'Ivoire, « akpeteshie » au Ghana et le « sodabi » au Bénin1267(*). C'est une eau artisanale obtenue grâce à la distillation de bourgeons de rônier, de palmier à huile ou de raphia. Cette liqueur est très consommée au Bénin. Traditionnellement, cet alcool africain a sa place lors de cérémonies religieuses ou de grandes occasions à célébrer1268(*). Nous pouvons aussi parler du « Tedj1269(*) » en Éthiopie. Il s'agit de l'hydromel, la plus ancienne des boissons du monde. C'est une boisson obtenue par fermentation du miel avec de l'eau : 1 litre de miel pour 4 litres d'eau. La boisson obtenue est jaune orangée, elle peut titrer de 8% jusqu'à 15% d'alcool dans les cas les plus forts. L'hydromel est la boisson des sages, une boisson divine, la boisson des sacrifices. Dans d'autres pays africains, on peut rajouter du piment pour apporter de la force : c'est la boisson par excellence à consommer après les combats. Boisson sacrée, l'hydromel a toujours sa place dans beaucoup de tribus au cours de rituels1270(*).Mais la boisson la plus appréciée reste le vin de palme. Très populaire, le vin de palme est consommé à travers tout le continent africain. Le vin de palme est une boisson alcoolisée obtenue par fermentation naturelle de sève de palmier. C'est une boisson traditionnelle dans la plupart des régions tropicales. Au Cameroun, il porte plusieurs noms à savoir : mimbo, matango, mbuh, sodébi (donnant l'odontol une fois distillé)1271(*). Ainsi, posons-nous les questions suivantes : qu'est-ce-que le vin de palme et pourquoi le consomme-t-on(1-) ? Et pourquoi le RoiNJOYA voulait ajouter du vin de palme à l'eau bénite (2-)? 1. Origine et symbolique du vin de palmeLe vin de palme est très répandu en Asiedu Sud-Est, en Afriquedu Nord surtout dans les régions proches du Sahara ainsi qu'en Afrique subsaharienne. La sève est extraite de différentes espèces de palmiers : le palmier dattier au Maghreb, le palmier à huile africain1272(*)et le rônier1273(*) en Afrique, le palmier sucrier1274(*) ou le palmier de Palmyre en Inde du Sud et en Asie du Sud-Est,le nypa1275(*) dans les zones de marécages et les mangroves, le raphia1276(*), le cocotier1277(*) ailleurs. Le « Jubaea chilensis » était utilisé au Chili mais il est maintenant protégé.Lorsqu'il vient d'être récolté, le jus est de couleur blanche et laiteuse, doux et plutôt sucré. Au fil des heures, la fermentation s'accroît, le vin produit devient pétillant, fort, parfois après, et prend une teinte plus foncée. Par son goût et sa légère effervescence, le vin de palme est plutôt proche d'un cidre que d'un vin1278(*).A quels enjeux la consommation du vin de palme est-elle liée ? En Afrique, le vin de palme est souvent associé à des cérémonies de mariage, des rites coutumiers ou religieux. Ainsi dans certaines tribus, la dot exigée au futur marié comprend des dames jeannes de vin de palme. Le vin de palme symbolise l'union éternelle entre les époux1279(*). La mariée en offrant un verre de vin de palme à son père scelle leur union à tout jamais. De manière générale, cette conception traditionnelle de la boisson1280(*) est expliquée par le géographe français Alain HUETZ DE LEMPS1281(*) : « Pour de nombreux groupes ethniques d'Afrique Noire, la boisson est au centre de la convivialité et des relations sociales et devient parfois l'élément central des manifestations rituelles et des cérémonies religieuses »1282(*). Au cours des fêtes, le vin de palme est souvent utilisé en ouverture. Il est répandu sur le sol et est destiné aux ancêtres qui ne sont pas oubliés1283(*). Dans certains villages du Cameroun, une certaine quantité de tout le vin exploité doit encore être offerte au chef du village. De plus, le fait de partager du vin avec « le patron » du village est considéré comme un signe de fidélité et d'hommage. D'ailleurs, la vie sociale tourne autour du kiosque à vin de palme, un lieu qui jouit d'une popularité similaire aux salons de thé européens1284(*). L'une des raisons pour lesquelles le vin de palme est si populaire est l'importance de ses propriétés. C'est une boisson non seulement particulière pour la saveur qui la distingue mais aussi pour les bienfaits qu'elle apporte à l'organisme et pour ses propriétés. Du point de vue des sels minéraux, cette boisson est riche en fer et en potassium, deux micronutriments pour une bonne santé.En raison de son profil nutritionnel, il semblerait en mesure d'améliorer la santé oculaire, au point que dans les villages où il est habituellement consommé, on dit que les personnes âgées ont une vue incroyablement précise. La présence des sels minéraux est utile pour le bon fonctionnement de certaines cellules de notre corps, tout en maintenant un coeur sain, et est capable de contrôler l'hypertension artérielle. Dans de nombreuses régions où le vin de palme est couramment consommé, il est considéré comme un aphrodisiaque très puissant, mais ses bienfaits pourraient aller plus loin : une étude récente aurait montré que le vin de palme peut protéger les personnes souffrant de dysfonction érectile et d'impuissance dûe au diabète de type 2. Mais nous avons voulu aller plus loin en nous interrogeant sur la symbolique du vin de palme. Concernant la symbolique du vin de palme, nous nous sommes penchés sur la célébration des morts qui requiert ce précieux breuvage.Au Congo Brazzaville par exemple, le gardien de la maison part chercher le « tsamba », le vin de palme, sert un gobelet et va sur la tombe échanger avec eux, et leur verser un peu de vin. Puis, il revient et commence à verser de petites lampées à différents endroits de la maison où les ancêtres ont l'habitude de siéger.Sur la terrasse, sur le pas dela porte, dans la cuisine, à côté du feu, au pied de certaines chambres, mais pas toutes, car il sait dans quelles chambres ils ont l'habitude de se retrouver1285(*). · Célébration de la fête des morts en Guinée Bissau Pour mieux illustrer ce phénomène, nous avons évoqué en premier lieu la célébration de la fête des morts en Guinée Bissau.Pour les « Manjaku », peuple originaire de la Guinée Bissau, « Kakaaw » est la fête des ancêtres et se prépare toute l'année. Tous les six jours1286(*), tous les pères de famille du village emmènent une bouteille de vin de palme1287(*) au sanctuaire du plus grand dieu du village1288(*) pour une libation. Cela se fait pendant plusieurs semaines. Après cela, ils décideront du jour où chacun apportera un coq pour un sacrifice. A l'issue de ce sacrifice collectif, le jour de la fête des morts sera fixé et les libations hebdomadaires seront arrêtées.La fête est célébrée généralement au mois de mai sur les pieux des ancêtres, le sanctuaire qui leur est dédié. Dès le matin, les femmes préparent l'offrande1289(*) du « kanukan », plat composé de riz et de poisson séché. Après la cuisson, on asperge le riz d'huile de palme. Avant de goûter au plat, il faut d'abord l'offrir aux ancêtres. C'est au père de famille1290(*) qu'il revient d'officier en qualité de prêtre sur les pieux des ancêtres. Entouré de toute la famille, il fait une libation et s'adresse aux esprits pour demander leur protection pour toute la famille. Puis, il prend une poignée du riz de l'offrande et le dépose à côté des pieux, geste par lequel il donne à manger aux ancêtres. Suivent alors les réjouissances. On mange le riz de l'offrande et on se partage le vin de la libation. Ces célébrations se font dans chaque famille, car, dans chacune d'elles, existe un sanctuaire dédié aux morts où chaque pieu représente un ancêtre1291(*). Par la suite, nous avons étudié le culte des ancêtres chez les « TegeAlima » du Togo qui rendent hommage à leurs morts à travers de nombreuses offrandes dont le vin de palme. · Le culte des ancêtres chez les « TegeAlima » du Togo Le culte est l'ensemble des cérémonies par lesquelles les fidèles d'une religion déterminée rendent hommage à Dieu et éventuellement aux Saints. Ici en pays « Tege », l'hommage aux ancêtres est caractérisé par les offrandes qui leur sont destinées. Il assure la communion permanente avec les esprits ancestraux et permet de maîtriser, de consolider les liens du clan dans le système lignager. Cet hommage aux ancêtres est rendu dans plusieurs domaines de la vie du « TegeAlima ». Il est rendu par les vivants aux ancêtres défunts par des rites appropriés et parfois par des sacrifices : libation, dépôt de vin, des habits derrière les maisons ou sur les tombes. A ce propos, R. LUNEAU écrit : « Presque partout en brousse africaine, on ne boit jamais de vin de palme ou de bière de mil sans verser quelques gouttes à terre pour les défunts, on évite de jeter de l'eau chaude sur le sol de la case pour ne pas brûler les âmes des défunts favorables1292(*) ». Il convient de signaler que certains rites accomplis, comme libations sont des symboles de solidarité, de communion, de souvenir, de respect envers les aïeux, mais aussi un moyen de se procurer une fortune auprès d'eux. L'oubli des ancêtres peut avoir des conséquences néfastes dans la vie ordinaire du « Tege ». Malheur, malchance, infécondité, insuccès dans les affaires peuvent affecter l'oublieux. Chaque famille ou clan a traditionnellement des personnes pour accomplir ces rites. Les ancêtres peuvent, parfois, par le canal d'un « voyant » du village nécessiter aux vivants ce dont ils ont besoin. La non-observation d'une telle demande ou d'offrir un tel sacrifice peut entraîner des conséquences négatives. Et l'on peut assister à des cas d'envoutement, de stérilité ou de grandes épidémies qui s'abattent sur la contrée. Certains auteurs ont vu dans ce culte, des analogies avec les dévotions envers les saints. C'est ainsi que les ancêtres sont considérés comme les « Saints de nos familles »1293(*). Le Pape BENOÎT XVI a lui aussi comparé ce culte des ancêtres au culte des Saints : « L'ÉgliseCatholique, souligne le Pape Benoît XVI, a beaucoup de choses en commun avec les religions traditionnelles africaines. Disons que le culte des ancêtres trouve sa réponse dans la communion des saints, dans le purgatoire. Les saints ne sont pas seulement canonisés, ce sont tous nos morts1294(*) ». Malheureusement, un constat général nous pousse à dire avec conviction qu'avec l'évangélisation, certains éléments de la religion traditionnelle ont disparu et disparaissent petit à petit au profit de la nouvelle religion catholique. Sur ce, Jean-MichelELELAGHE écrit : « Le christianisme se présente comme une machine implacable pour la destruction de la religion traditionnelle et des assisses philosophiques de la société (...). Dans les écoles, on apprend aux jeunes à mépriser les pratiques sauvages de leurs parents et de leurs ancêtres. L'administration et la mission conjuguent leurs efforts pour la destruction des organisations politico-militaires et du culte des ancêtres, les missionnaires sur leur terrain s'attaquent plus spécialement à ce dernier1295(*) ».A ce propos, un théologien africain, NKONGOL WA MBIYE affirme : « JésusChrist est donc au-dessus de tous les esprits. Il est notre esprit (ancêtre) à nous par ce que nous sommes (...) Le grand esprit (ancêtre) reste toujours le Christ, l'enfant de Dieu mortet ressuscité. Il est le premier né d'entre les morts1296(*) ». En outre, les « nganga » ou féticheurs de la religion traditionnelle sont de moins en moins fréquents, ils ont perdu, pour ainsi dire leurs clientèles. Le nouveau chrétien s'adresse à Jésus et trouve en lui les grâces dont il a besoin. Il fréquente l'église et par nécessité se confie au prêtre.Dans cette optique, certains rites traditionnels comme les libations, le sacrifice de tels ou tels animaux aux profits des anciens sont encore accomplis par une petite minorité non chrétienne, mais de moins en moins1297(*).Le Roi NJOYA, en tant qu'innovateur et visionnaire, n'entendait pas agir de manière crédule vis-à-vis des habitudes des missionnaires. C'est pourquoi nous nous sommes interrogés sur le fait qu'il voulait inclure du vin de palme à l'eau bénite. Pourquoi cette revendication de sa part ? * 1266 Mariage, dot, naissance. * 1267 D. E. YAO, « Les boissons locales africaines...tour d'horizon ». Article publié sur le site https://www.afrik.com le 03 janvier 2017 et consulté le 04 septembre 2021. * 1268 LA VILLA MAASAI, « Notre sélection des 10 meilleurs cocktails et alcools africains ». Article publié le 14 février 2020 sur le site www.villamaasai.fr et consulté le 04 septembre 2021. * 1269 T'adj. * 1270 C. CAZAUX GRANDPIERRE, « Les alcools africains ». Article publié le 28 février 2017 sur le site https://www.chloeandwines.fr et consulté le 04 septembre 2021. * 1271 Vin de palme - boisson alcoolisée (n.d.). Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 03 mars 2021. * 1272 Raphia vinifera. * 1273 Borassus aethiopium. * 1274 Arenga pinnata. * 1275 Nypa fructicans. * 1276 Raphia vinifera. * 1277 Cocos nucifera. * 1278« Vin de palme - boisson alcoolisée (n.d.). ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 03 mars 2021. * 1279 S. PONE, « Société - Vie quotidienne : Les mystères du raphia dans la tradition Bamiléké ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 08 septembre 2021. * 1280 De vigne ou de palme. * 1281 A. HUETZ DE LEMPS, « Le vin de palme en Guinée Conakry ». Article publié sur le site https://guineeverdure.mondoblog.org et consulté le 10 mars 2021. * 1282 MONDO BLOG, « MondoChallenge : en Guinée, le vin de palme entre tradition et alcoolisme ». Article publié sur https://guineeverdure.mondoblog.org et consulté le 03 mars 2021. * 1283 DÉCOUVERTE CAMEROUN, « Vin de palme ». Article publié sur le site http://decouverte.cameroun.free.fr et consulté le 03 mars 2021. * 1284 M. BENAYOUN, « Vin de Palme ». Article publié sur le site http://www.196flavors.com/fr/nigeria et consulté le 04 mars 2021. * 1285 C. LACOSTE-DUJARDIN, « La Terre des Ancêtres ». Article publié le 7 juillet 2020, mis à jour le 3 mars 2021 sur le site https://panodyssey.com/fr/article/fr et consulté le 03 mars 2021. * 1286 Kanem. * 1287 Ubolat. * 1288 Mboos. * 1289 « Paay ». * 1290 « Ajug kato ». * 1291 E. VOLANT, « Manjaku (Le Pays de) - Le culte des ancêtres » - Encyclopédie sur la mort. La mort et la mort volontaire à travers les pays et les âges ; « La religion et les croyances du peuple des Manjaku ». Article publié sur les sites http://agora.qc.ca/thematiques.fr et http://www.kandeer-manjaku.com/pages/croyances.htm. Articles consultés le 03 mars 2021. * 1292 L. V. THOMAS & R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 104. * 1293 BENOIT XVI, « L'observation Romano du jeudi 19.3.2009 », Voyage au Cameroun et en Angola, p. 12. * 1294Idem. * 1295 Cf. Genèse 2, 24. * 1296 J. P. ELELAGHE, De l' « aliénation » à l' « authenticité » ?...problématique missionnaire et affrontements culturels au Gabon : l'exemple des Fang, Thèse de 3ème Cycle, Théologie catholique, Strasbourg, 1977. Cité par l'Abbé BEAUDOIN. * 1297 L. P. NGANGA, « Les croyances traditionnelles des Tege Alima (1880-1960) », Université Marien Ngouabi de Brazzaville - Mémoire de Maîtrise en Histoire, 2013. |
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