Des limites de l'action publique en droit penal congolaispar Chadrack MTEBWA EBAKE Université de Lubumbashi - Graduat 2023 |
SECTION 3. EXTINCTION DE L'ACTION PUBLIQUE26. §1. NOTIONSL'extinction de l'action publique constitue un obstacle permanent qui empêche définitivement de saisir les juridictions compétentes. L'action publique peut se heurter à des différentes difficultés, empêchant définitivement la mise en mouvement de l'action publique. §2. CAUSES Diverses et multiples sont les causes d'extinction de l'action publique : le décès du délinquant, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale, la transaction, le retrait de la plainte, la prescription de l'action publique.
En cas de décès du délinquant, l'action publique est éteinte. Cette dernière ne peut donc être exercée contre ses héritiers, ceci en tenant compte de l'individualité de la responsabilité pénale. Par contre, elle pourra s'exercer contre ses éventuels complices et co-auteurs. La mort du délinquant peut être réelle ou présumée. Dans ce dernier cas, il s'agit de la disparitionorganisée par le code de la famille pour régler la situation des personnes dont on n'a aucune nouvelle mais dont la mort est certaine63(*).
Par l'effet d'une loi d'amnistie, des faits qui font l'objet ou qui auraient pu faire l'objet de poursuites ne constituent plus des infractions. Lorsqu'elle intervient après qu'une condamnation définitive a été prononcée, l'amnistie est une cause d'extinction des peines. Si elle se produit avant que le jugement soit passé en force de chose jugée, l'amnistie éteint l'action publique. L'effet principal de l'amnistie est de faire perdre au fait amnistié son caractère délictueux. Cependant l'amnistie peut être personnelle, c'est-à-dire accordée à certaines catégories de délinquants (ex. : les anciens combattants, etc.) ; dans ce cas, elle ne produit son effet « extinctif » qu'à l'égard des coupables identifiés. L'amnistie peut aussi être subordonnée à l'accomplissement d'une condition, telle que payement préalable de l'amende par le délinquant
L'abrogation de la loi pénale enlève à l'acte son caractère délictueux et fait disparaître l'élément légal de l'infraction. Les poursuites deviennent impossibles si elles n'avaient pas encore débuté ou s'arrêtent si l'action publique avait déjà été mise en mouvement. L'essentiel à retenir, d'ores et déjà, ici comme pour l'amnistie et le décès du délinquant, est que les droits de la victime de l'infraction demeurent intacts, puisque le fait garde son caractère dommageable.
En principe, il est impossible que l'action publique s'éteigne par une transaction intervenue entre le coupable et les représentants de la société. En effet, on admet, en doctrine, de manière unanime, que le ministère public est sans droit pour disposer valablement de l'action publique : il ne peut pas s'engager à ne pas mettre l'action publique en mouvement, ni renoncer à en poursuivre l'exercice une fois qu'il l'a mise en mouvement ; il ne peut pas non plus renoncer à attaquer les décisions judiciaires rendues ; mais, dans certaines limites légales, il a la possibilité de proposer à l'inculpé le paiement volontaire d'une somme déterminée, entraînant l'extinction de l'action publique. Ce principe connaît des exceptions : -Le pouvoir de transiger est reconnu par la loi à la Banque centrale du Congo pour les infractions à la législation de change ; -Le pouvoir de transiger est reconnu aux services de douane pour les infractions commises en matière douanière. En cette matière, les droits éludés par l'infraction à la législation douanière devant être perçus, les amendes (calculées en fonction du montant des droits éludés, de l'infraction constituée et de la valeur des marchandises) ne sont pas susceptibles de réduction pour cause de circonstances atténuantes ni pour concours d'infractions ; - Le pouvoir de transiger est reconnu au service des contributions ; - Il en est de même de l'administration des télécommunications, à laquelle est reconnu le pouvoir de transiger avec le contrevenant par la loi-cadre n°013-2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications en République Démocratique du Congo et de lui faire payer une amende transactionnelle dont les taux sont revus périodiquement par le ministre. La transaction pénale est admise en ces matières où l'amende revêt un caractère indemnitaire. Toutefois, considérée sous l'angle de la moralité, la transaction pénale consolide les critiques souvent formulées à l'endroit de l'Etat, qui accepte que de nombreux trafiquants sollicitent et obtiennent des transactions même onéreuses pour échapper aux poursuites. 2.5.RETRAIT DE PLAINTE En principe, le retrait de la plainte par la victime de l'infraction n'éteint pas l'action publique. Exceptionnellement, s'agissant de l'effet du retrait de la plainte dans le cas où elle conditionne la mise en mouvement de l'action publique, le législateur ne s'est prononcé qu'en ce qui concerne l'adultère et la grivèlerie en disposant que le retrait de la plainte par la victime éteint l'action publique. Le silence du législateur pour les autres cas (d'action publique subordonnée à la plainte de la victime) laisse croire que le retrait de la plainte de la victime n'éteindra pas l'action publique64(*). 2.6. LA PRESCRIPTION DE L'ACTION PUBLIQUE La prescription est un droit accordé par la loi à l'auteur d'une infraction de ne pas être poursuivi depuis la perpétration du fait après l'écoulement d'un certain laps de temps déterminé par la loi. Lorsque l'action publique n'est pas exercée pendant un certain délai, elle s'éteint l'effet de la prescription. La prescription est donc un mode d'extinction de l'action publique. Lorsqu'un certain délai s'est écoulé, depuis la condamnation non exécutée, la prescription met obstacle à l'exécution de la sanction. La prescription est donc une cause d'extinction de la peine. La prescription est l'expression de la grande loi de l'oubli : l'opinion publique ne réclame plus la répression d'une infraction dont le temps a effacé les conséquences matérielles et morales jusqu'au souvenir dans la mémoire des individus.la justification classique est que la preuve devient, après un certain temps, plus difficile à administrer et que l'ordre public exige de moins en moins que d'anciens faits soient tirés de l'oubli. La prescription comporte donc des délais stricts, concerne l'ordre public et est appliquée d'office ; le prévenu ne saurait y renoncer. On fait aussi appel à l'idée de négligencede la partie poursuivante à mettre l'action publique en mouvement ; ainsi, la société perdrait son droit de punir parce qu'elle ne l'aurait pas exercé en temps utile. Cette justification dangereuse : comment un délinquant va-t-il prouver efficacement la date à laquelle le ministère public a connu l'infraction ? On dit aussi que l'angoisse et le remord dans lesquels a vécu le délinquant équivalent à un châtiment et que ce serait trop punir de fois. Cette dernière justification ne convient pas car il existe des délinquants endurcis qui n'éprouvent ni angoisse ni remords quelconques après la commission d'une infraction. On invoque, enfin, l'idée de dépérissement des preuves. Au fur et à mesure le temps s'écoule depuis que l'infraction a été commise, les preuves disparaissent ou du moins perdent beaucoup de leur valeur. Plusieurs années après la commission de l'infraction, il serait difficile d'en découvrir les traces et indices ou de les rechercher du moins ; ces derniers auront peut-être oubliés ou ne seront que vagues et imprécis. En exerçant l'action publique, dans ces conditions, on court le risque d'une erreur judiciaire ; l'éviter dans l'intérêt même de la justice et de la société implique que l'on renonce à exercer cette action. Sur le plan de la doctrine classique, le fondement de la prescription de l'action publique est critiquable. En effet, on se refuse à admettre que le temps est à même d'amender le délinquant ou de neutraliser son comportement dangereux. On estime aussi que l'impunité qu'entraine la prescription de l'action publique constitue un encouragement à persévérer dans la délinquance. Considérée sous l'angle de la dimension culturelle, la prescription de l'action publique constitue aussi un encouragement de la délinquance65(*).
La durée de la prescription est déterminée par le maximum de la peine prévue par la loi pour chaque infraction. En droit congolais, il existe trois délais de prescription de l'action publique, selon les trois catégories d'infractions réparties de la manière suivante : · 1 an pour les infractions pour lesquelles le maximum de la peine prévue ne dépasse pas 1 an ou qui ne sont punies que d'une peine d'amende ; · 3 ans pour les infractions pour lesquelles le maximum de la peine prévue ne dépasse pas 5 ans ; · 10 ans pour les infractions pour lesquelles le maximum de la peine dépasse 5 ans d'emprisonnement ou qui sont punies de la peine de mort.
a) Interruption de la prescription de l'action publique L'interruption de la prescription de l'action publique se produit lorsque l'autorité compétente accomplit un acte qui dénote qu'elle n'oublie pas l'action publique mais qu'elle veut, au contraire, la faire avancer. La prescription est interrompue par des actes d'instruction ou de poursuite accomplis dans les délais d'un, trois ou dix ans, à compter du jour où l'infraction a été commise. Le jour où l'infraction a été commise est compris dans le délai de prescription66(*). L'interruption de la prescription a pour effet d'en arrêter le cours et de rendre inutile le laps de temps qui s'est écoulé de sorte que toute prescription doit recommencer. Toutefois, la durée de l'action publique ne peut être indéfiniment prolongée par des actes d'instruction ou de poursuite successivement renouvelés. Le délai de prescription est renouvelé en ce sens qu'il ne court plus à partir de la date de l'infraction, mais à partir de l'acte interruptif. Ce jour est compris dans le nouveau délai. Si, dans un second délai d'un, trois ou dix ans n'intervient pas un jugement définitif, c'est-à-dire non susceptible d'un recours, l'action publique sera automatiquement et irrévocablement éteinte parce que les interruptions de la prescription ne peuvent jamais avoir pour effet de prolonger l'action publique au-delà du terme primitif67(*). L'effet interruptif d'un acte d'instruction ou de poursuite s'étend aux faits connexes, même s'il est comme tel étranger aux infractions pour lesquelles l'acte interruptif est invoqué et même si cet acte concerne d'autres personnes éventuellement non encore comprises dans la poursuite au moment de l'interruption68(*). Lorsqu'une loi spéciale se borne à fixer un délai de prescription spécifique, pour certaines infractions, les règles générales concernant l'interruption de la prescription restent applicables. b) La suspension de la prescription de l'action publique La suspension de la prescription de l'action publique Dans certaines circonstances, la prescription de l'action publique est suspendue, en ce sens que le délai ne court pas en raison du fait qu'il existe une impossibilité légale d'obtenir une décision sur l'action publique (« contra non valentem agere non curit praescriptio »). C'est un arrêt, une parenthèse dans le délai de prescription. Lorsque la cause du blocage disparaît, le délai reprend son cours normal. Ce n'est pas un nouveau délai qui commence comme pour l'interruption. On additionne les parties du délai qui se sont écoulées avant et après la suspension, compte tenu des actes interruptifs qui se sont produits au cours de ces deux périodes. La date d'échéance du délai de prescription est donc reportée d'une période égale à celle de la suspension. Telle est la position de la jurisprudence Belge. La législation congolaise ne contient aucune disposition sur la suspension de la prescription. Cette suspension est d'application en tant que principe général de droit. Il s'agit d'un obstacle de droit ou de fait qui empêche les parties poursuivantes d'agir. A la différence de l'interruption, la suspension ne fait qu'arrêter pour un temps le cours de la prescription si bien que le temps déjà écoulé avant sa survenance entre en ligne de compte pour le calcul du délai de prescription. Obstacles de droit et de fait Au titre des obstacles de droit, on peut citer : - L'existence d'une question préjudicielle ; - Le pourvoi en cassation (matière pénale) ; - L'existence de l'immunité parlementaire dont on attend la levée ; - La non-réalisation des conditions nécessaires à l'exercice des poursuites. Ex. : l'absence d'une plainte de fait. Sont considérés comme des obstacles de fait : - L'invasion de territoire par des armées ennemies ; - L'inondation ; - L'inaction du magistrat instructeur ; - La démence du prévenu après la commission de l'infraction69(*). La suspension de la prescription a pour effet de prolonger le délai de la prescription ; elle diffère de l'interruption en ce sens que l'interruption fait commencer en entier le délai de prescription alors que la suspension en arrête simplement le cours, l'empêche momentanément d'agir mais laisse au prévenu tout le bénéfice de la prescription qui a déjà couru antérieurement. La prescription est suspendue pendant la procédure en cassation, à partir du jour où la décision attaquée est rendue jusqu'au jour de l'arrêt de cassation. La prescription est suspendue pendant la procédure en règlement de juges. La prescription est suspendue lorsque la procédure d'audience d'une affaire est suspendue pour l'examen d'un faux témoignage, et que le juge saisi de l'affaire pénale décide de suspendre l'instruction d'audience et les débats, et remet l'affaire à une date indéterminée, le conseil du prévenu ayant déposé une plainte du chef de faux témoignage, ce qui est assimilé par la Cour de cassation belge à une question préjudicielle constituant un obstacle légal au jugement de la cause. La prescription de l'action publique est suspendue pendant la durée de la procédure en inscription de faux. Lorsque le prévenu se trouve dans l'impossibilité de comparaître, par exemple en raison d'une maladie ou d'une détention à l'étranger, il y a lieu de considérer que le juge, sauf représentation autorisée, est dans l'impossibilité de juger. Point de départ du délai de prescription La loi congolaise fait courir la prescription du jour où l'infraction a été commise et non du jour où elle est constatée ou connue légalement. Quand une infraction est consommée, application de ce principe ne soulève pas de difficulté quand l'infraction est instantanée. Mais qu'en est-il lorsque les infractions sont connexes, d'habitude ou continues ? Sans entrer dans tous les délais tels qu'approfondis dans le cours de droit pénal, retenons que, concernant l'infraction instantanée, le point de départ est fixé au jour de l'acte délictueux ; que, concernant les infractions dites continues, successives (ex. recel des choses), le point de départ est fixé au jour où prend fin l'état délictueux ; que, concernant les infractions d'habitude, le point de départ est fixé au jour de la dernière manifestation de l'état d'habitude, à la condition qu'entre les différents faits pris en considération il ne se soit pas écoulé un laps de temps égal au délai de prescription, sans interruption ou suspension. Bref, à défaut de définition spéciale de l'année, du mois, le délai est compté de mois en mois ou d'année en année suivant le calendrier grégorien. Le délai est toutefois compté du quantième à la veille du quantième, le jour de l'infraction étant compris dans le délai. C'est ainsi que, sauf interruption ou suspension, une infraction de vol simple commise le 3 janvier 2007 se prescrit le 2 janvier 2010 à minuit ; une infraction de meurtre commise le 7 mai 1997 se prescrit le 6 mai 2007 à minuit70(*). * 63 Art. 142, code de la famille. * 64 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 179. * 65 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 180. * 66 Art. 26 du code pénal * 67 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 181. * 68 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 181. * 69 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 183. * 70 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 185. |
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