Des limites de l'action publique en droit penal congolaispar Chadrack MTEBWA EBAKE Université de Lubumbashi - Graduat 2023 |
CHAPITRE DEUXIEME : LE DROIT D'APPRECIATION DU MINISTERE PUBLICSECTION 1 : LES PRINCIPESLe ministère public est avisé des infractions qui sont commises soit par des plaintes déposées par les victimes de ces infractions, soit par des dénonciations faites par des tiers, des particuliers ou par des autorités publiques qui sont dans l'obligation d'en avertir les autorités judiciaires, soit enfin de l'une ou de l'autre façon. Les officiers du ministère public vérifient si les faits portés à leur connaissance constituent des infractions à la loi pénale. Vérification faite, ils arrivent à la conclusion qu'il y a eu bel et bien commission des infractions, la question qui se pose est celle de savoir s'ils sont obligatoirement tenus d'engager des poursuites ou peuvent-ils décider de ne pas poursuivre ? Dans le droit judiciaire du système romano-germanique, il existe deux théories en matière d'exercice de poursuite : la légalité des poursuites et l'opportunité des poursuites33(*). 16. §1. LA LEGALITE DES POURSUITESSelon cette théorie, tout délinquant, quel qu'il soit ou quel que soit l'infraction, grave ou mineur, qu'il a commis, doit obligatoirement être jugé, car il y a là parfaite égalité de tous devant la loi. La loi, quelle que soit sa rigueur, quelles que puissent être les conséquences humaines, sociales et économiques de sa stricte application, doit être respectée en n'importe quelle circonstance. Il est à souligner que cette théorie se révèle être trop rigide en exigeant que toute infraction soit punie et que tout coupable soit châtié. Ce système exclu la transaction, la médiation et tous les modes alternatifs à la poursuite pénale. Il a l'avantage d'être rigoureux mais présente l'inconvénient de ne pouvoir tout poursuivre, d'où l'encombrement des juges34(*). 17. §2. L'OPPORTUNITE DES POURSUITESSelon cette théorie, il est admis que certaines poursuites pénales peuvent causer un malaise plus grand et produire un préjudice plus considérable que le dommage résultant de l'infraction. Aussi, en cas de commission d'une infraction, l'OMP apprécie au regard des éléments en rapport avec ladite infraction, la valeur positive des poursuites qu'il est appelé à engager. Il lui est donc laissé la faculté de poursuivre ou non une infraction dont il a eu connaissance. Ainsi, les infractions qui n'ont pas gravement troublé l'ordre social peuvent être classées. Ce système recours souvent aux modes alternatifs de poursuites et le ministère public gère véritablement la politique pénale. C'est donc ce système pour lequel la RDC a opté. Il revêt le mérite de désengorger les juridictions répressives. Le juge pénal n'a donc qu'à se consacrer aux affaires qui mettent en exergue une criminalité d'un niveau assez élevé et qui appellent une répression exemplaire. L'inconvénient qu'on peut lui attribuer est celui d'accroitre sensiblement le pouvoir du magistrat du parquet parfois au détriment des victimes d'infractions. L'on voit également en ce système le défaut d'un risque d'arbitraire et d'inégalité entre les particuliers dans la mesure où sur le territoire national, deux affaires similaires peuvent ne pas recevoir la même réponse en deux endroits différents pourtant régis par le même droit. Comme relevé ci-dessus, le système d'opportunité des poursuites s'oppose à celui de la légalité de poursuites adopté par l'Italie, notamment. Dans ce système, il est organisé une poursuite systématique de toutes les infractions qui parviennent à la connaissance de l'officier du ministère public. Les défenseurs de ce système lui reconnaissent l'avantage de la certitude de la poursuite et de l'égalité des particuliers devant la justice sur l'ensemble du territoire national. Mais à l'opposé du système de l'opportunité des poursuites, il a à son passif, l'encombrement des juridictions et, en conséquence, le ralentissement de la réponse attendue à la suite de l'infraction commise. Ainsi, certaines raisons peuvent justifier le classement sans suite35(*). 1. Le classement sans suite L'on peut se poser la question de savoir quel est le fondement légal du classement sans suite. L'article 44 du code de procédure pénale dispose que : « lorsque le ministère public décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre, il doit donner en même temps main levée de mise en détention préventive... »36(*). Ce fondement légal est laconique, car il doit préciser : - les motifs du classement ; - Les conséquences de cette décision, et ; - la forme par laquelle s'exprime cette décision qui doit être normalement une ordonnance du magistrat instructeur. a. Motifs du classement sans suite Divers motifs peuvent donner lieu au classement sans suite. Parmi ceux-ci nous pouvons citer : - L'inopportunité des poursuites : c'est le cas généralement lorsque l'abstention est dictée par des considérations d'ordre politique ou social, c'est-à-dire la répression serait plus punissable qu'utile à l'ordre public. Ce motif peut prêter à critique dans la mesure où il peut servir de motif de classement sur base des intérêts politiques partisans. La considération d'ordre politique qui peut justifier le classement sans suite fait appel à l'intérêt supérieur de l'Etat. C'est la politique prise en son sens ethnologique et philosophique qui consiste à se préoccuper de la bonne gestion de la «cité», de la société. Il peut arriver des cas en effet où l'exercice des poursuites judiciaires peut être à l'origine de graves troubles sociaux auxquels cas l'intérêt supérieur du pays requiert que ces poursuites n'aient pas lieu afin de sauvegarder la paix sociale. L'application de ce principe, dans le contexte constitutionnel actuel permet de se demander si le ministère public peut seul apprécier l'opportunité politique de poursuivre. C'est mêler le pouvoir judiciaire à la politique. Cependant, quelques motifs de classements peuvent être relevés : - L'absence d'un des éléments constitutifs de l'infraction ; - L'équité peut aussi dicter un classement sans suite lorsque l'infraction est trop minime ; - En certains cas, le retrait de la plainte peut amener le parquet à classer sans suite ; - L'impossibilité de retrouver l'auteur présumé de l'infraction ; - Le décès de l'inculpé. Le classement sans suite est une mesure administrative et non juridictionnelle en ce sens que le parquet peut toujours revenir sur le classement et relancer l'action publique, par exemple, lorsque des éléments nouveaux aggravent le caractère du fait ; notamment le cas du classement fondé sur le caractère bénin des faits. b. Abus en matière de classement sans suite et leur limitation. Il est évident qu'à côté des avantages qui justifient le classement sans suite, le pouvoir d'appréciation peut être source d'abus. Il doit être affirmé que l'officier du ministère public ne peut jamais s'abstenir de poursuivre suivant des inclinations personnelles, tribales ou partisanes. L'organisation hiérarchique du parquet permet au chef d'office de contrôler les actes des subordonnés. Le règlement intérieur des Cours, Tribunaux et Parquets dispose en son article 139 que le Procureur général de la République et le Procureur de la République peuvent revenir sur chaque décision de classement. Le Procureur de la République veille à ce que ses substituts lui communiquent régulièrement les dossiers classés. Il vise ces dossiers. c. Appréciation du système de classement sans suite Dans bien des circonstances, le classement sans suite est devenu le moyen utilisé pour en sauver des amis, des membres de famille ou des personnes jouissant des appuis politiques ou financiers. C'est une source de revenu pour beaucoup de magistrats instructeurs qui n'ont pas de conscience professionnelle. Sans doute, le contrôle hiérarchique devrait corriger ces abus, mais il faut noter aussi que l'inconscience de certains magistrats va jusqu'à falsifier la vérité dès la phase de l'instruction préparatoire en dressant des procès-verbaux dans un sens orienté vers le classement sans compter que parfois le magistrat refuse tout simplement de transmettre certains dossiers au contrôle hiérarchique. Il faut alors toute la vigilance de la hiérarchie pour découvrir lors des instructions, les nombreux dossiers classés de manière irrégulière, et redresser disciplinairement les magistrats concernés par ces abus. d. Autres critiques du classement sans suite Il y a un autre inconvénient majeur qu'il faut souligner. Le système de classement sans suite crée incontestablement une insécurité juridique, car il laisse l'inculpé dans l'ignorance de l'issue de l'instruction préparatoire à cause de l'absence d'acte constatant le classement et quand bien même l'inculpé est informé officiellement, cela ne le met pas à l'abri d'une reprise de l'action au gré du parquet. Le pouvoir d'appréciation du ministère public est aussi limité par d'autres considérations, notamment : a) le pouvoir de citation directe reconnu à la victime ; b) les limitations à l'exercice de l'action publique. 2. L'amende transactionnelle L'amende transactionnelle, prévue à l'article 9 du code de procédure pénale, est une sanction pénale qui intervient avant qu'un jugement définitif sur le fond ne soit prononcé. Elle peut être prononcée soit par l'officier de police judiciaire, soit par le ministère public, lequel estime en lieu et place d'une juridiction. L'épithète «transactionnelle » ne signifie pas que l'officier de police judiciaire ou le ministère public transige sur le montant mais plutôt sur le principe. Le paiement de l'amende transactionnelle n'implique pas aveu de culpabilité d'autant plus que l'auteur présumé de l'infraction peut se rétracter et revenir sur le paiement qu'il a effectué. C'est seulement lorsqu'il a satisfait à toutes les invitations qui lui sont faites par l'officier de police judiciaire, que l'action publique s'éteint à moins que le ministère public n'en décide autrement37(*). * 33 Le classement sans suite et l'opportunité des poursuites, in revue de droit pénal et de criminologie, janvier 1973, pp. 353-362 * 34 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 379 * 35 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 380 * 36 Art. 44 du code de procédure pénale congolais * 37 E. LUZOLO BAMBI LESSA et al., op. cit., p. 383 |
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