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Le manuel numérique - une nouvelle manière de découvrir un texte littéraire ?


par Romain Pinoteau
Université Paris III Sorbonne nouvelle - Master 1 - Lettres modernes recherche 2017
  

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C. Différences entre la lecture sur papier et numérique

Comme nous avons déjà pu le constater, la lecture numérique diffère de la lecture sur papier, qui est souvent présentée comme la norme et la « vraie » lecture. En fait, les débats se concentrent souvent sur les aspects négatifs de la lecture numérique, même si celle-ci présente aussi des avantages. Claire Bélisle fait remarquer à juste titre que la lecture sur écran est rarement prise en compte dans l'apprentissage de la lecture, ce qui signifie qu'il n'y a pas de traditions reconnue : ses repères sont donc encore largement à inventer.79

a) Les réactions du cerveau face à la lecture classique et numérique

De nombreuses études, depuis maintenant une décennie, montrent que les réactions du cerveau sont différentes entre la lecture classique et la lecture numérique. Il y a plus de zones du cortex qui sont sollicitées lors d'une lecture numérique, selon Gary Small du Semel Institute for Neuroscience and Human Behavior de l'Université de Californie. En effet, ce psychiatre a étudié en 2009 les activités cérébrales d'un groupe de personnes constitué de 24 adultes âgés de 55 à 78 ans à l'aide d'une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Tout d'abord, les sujets de cette étude ont dû lire un livre pour ensuite lire un article sur Internet. Lors de la lecture sur livre papier, les zones du cerveau qui sont apparues sur l'IRMf étaient celles du langage, de la lecture, de la mémoire ainsi que de la vision. Ensuite, les personnes ont été divisées en deux groupes en fonction de leur expérience d'Internet : les novices Internet et les experts Internet. Lors

79 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre III, p. 125.

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de la lecture numérique, chez les novices Internet les mêmes régions du cerveau ont été activées que lors de la lecture du texte sur format papier. En outre, des zones impliquées dans la mémorisation ont aussi été activés. Par contre, la différence essentielle s'est produite lors de la lecture numérique du groupe des experts Internet. En effet, chez eux, deux zones supplémentaires ont été activées : celle de la prise de décision et celle des raisonnement complexes. De plus, Gary Small a constaté que l'activation cérébrale globale était deux fois plus importante lors de la recherche sur le Net pour le groupe expert. Il en conclut que la lecture numérique nécessite et mobilise beaucoup plus d'attention de la part du lecteur.80 Selon Thierry Baccino, « il paraît logique que la recherche sur Internet implique, en plus des processus de lecture, des processus de raisonnement logique de prise de décision »81. En fait, il s'appuie sur l'étude de Gary Small pour démontrer que la lecture sur le Web nécessite une certaine pratique qui, avec le temps, active un nombre bien plus important de régions de notre cerveau que lors d'une simple lecture papier.

Figure 12. Comparaison des activations cérébrales entre novices et experts en navigation Internet dans les tâches de lecture et recherche d'information, source : Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib (2011).

80 Philippe Testard-Vaillant et Kheira Bettayeb, La lecture change nos cerveaux aussi, Science et Vie, n°1104, septembre 2009, p. 42-57.

http://pvevent1.immanens.com/fr/pvPage2.asp?puc=2232&pa=1&nu=1

81 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib, La lecture numérique, PUG, 2011, p. 34.

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Une autre étude, qui portait sur un panel de 300 personnes, menée aux États-Unis en 2016, apporte une nouvelle vision de la différence entre la lecture sur papier et la lecture sur écran. En effet, au lieu de s'opposer, elles semblent être complémentaires au niveau des processus d'apprentissage, comme le suggèrent les recherches de Geoff Kauffman, de la Carneggie Mellon University et Mary Flanagan, du Darmouth College. En effet, selon eux, les processus de mémorisation sont distincts selon les supports. En fait, la lecture numérique semble contribuer à consolider des détails sur un sujet alors que la lecture papier rendrait la compréhension de concepts abstraits plus facile. Pour illustrer leur propos, les deux chercheurs donnent comme exemple que l'écran d'ordinateur serait plus efficace pour se rappeler certaines dates alors que pour retenir les raisons d'un évènement, il faudrait plus faire appel au papier.82

b) Différentes stratégies et rythmes de lecture

La lecture numérique se différencie aussi par rapport à la lecture classique du point de vue des éléments d'organisation du texte. En effet, comme l'indique Claire Bélisle, le lecteur ne lit plus d'une manière linéaire lorsqu'il est devant un écran mais adopte un autre mode de lecture, qu'elle qualifie de « sélective ». Selon elle, « lire, ce n'est plus aller du début à la fin, ce n'est plus lire l'intégralité du texte ».83 Ces affirmations montrent donc un changement fondamental dans l'approche de la lecture. De plus, elle rappelle aussi que la lecture linéaire ou immersive était, jusqu'à l'apparition de la lecture numérique, le mode de lecture le plus populaire et qu'il reste actuellement largement valorisé. D'ailleurs, la lecture savante s'est adaptée au mode linéaire, ce qui illustre parfaitement la prédominance de ce mode de lecture durant des siècles.84 Il semble donc que la lecture numérique marque de profonds changements dans la manière d'appréhender un texte, ce qui peut poser de nombreux problèmes pour le lecteur et, in-fine, pour la compréhension globale du texte. En effet, Christian Vandendorpe pense que

82 Nicolas Gary, Lecture sur écran et papier : des processus d'apprentissage complémentaires, AL ActuaLitté, 2016 https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/lecture-sur-ecran-et-papier-des-processus-d-apprentissage-complementaires/65448

83 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre I, p. 53 et Chapitre III, p. 124.

84 Ibid. p. 51.

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la lecture numérique peut causer une détérioration de la mémoire spatiale par rapport au texte du fait de la perte de la structure feuilletée pour un lecteur qui a été formé par le codex. Il ajoute qu'avec un texte papier, il est possible de se souvenir où se trouve une information85. Il suggère donc qu'avec le texte numérique, l'information est plus difficile à retrouver du fait de la nature même de sa structure textuelle. Cela constitue d'ailleurs pour lui : « --- le défi le plus important à relever pour des lecteurs formés par deux millénaires de domination du codex »86

Ce changement de support de lecture oblige à adopter une nouvelle manière de lire et des stratégies différentes pour se repérer dans le texte. En fait, le type de support à partir duquel se fait la lecture influence fortement les choix du lecteur. Il y a divers facteurs tels que la disposition, la mise en page, la répartition des textes et des blancs, la justification, la densité des signes, ainsi que l'éclairage, le contraste, la taille des caractères, l'espacement, la longueur des lignes qui jouent un rôle essentiel. Pour faciliter la lecture numérique, le lecteur peut retourner en arrière dans le texte, jeter un coup d'oeil sur le titre ou le numéro de la page et parcourir le texte en diagonale ou encore faire la différence entre les casses de caractères.87

Bélisle signale aussi que la compréhension et la mémorisation sont proportionnelles à la vitesse de lecture. En effet, un nouveau support qui diminue l'automatisation des processus crée une perte de résultat.88 Par contre, elle fait remarquer que l'accélération du rythme de lecture est une constante dans l'histoire et que, de ce point de vue, la lecture numérique non-linéaire a des effets positifs car elle rend possible une meilleure gestion des informations maintenant accessibles. En fait, le but de la lecture diagonale est d'accéder le plus vite possible aux éléments indispensables du texte.89

85 Ibid. p. 53.

86 Ibid. p. 12.

87 Ibid. p. 39.

88 Ibid. p. 39.

89 Ibid. p. 121-122.

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Les discussions sur les différences entre la lecture sur papier et à l'écran portent souvent sur les côtés négatifs du numérique mais Gugliemo Cavallo et Roger Chartier90 rappellent que la lecture numérique a levé quelques contraintes importantes liées au texte imprimé. Selon eux, les textes numériques rendent possible d'associer l'écriture à la lecture car les nouveaux supports permettent très souvent de faire des annotations, du copier-coller, de transformer un texte et d'en communiquer la version modifiée. Il y a donc une plus grande interaction entre le texte et le lecteur par rapport au codex.

c) Compétences technologiques

L'instrumentation de la lecture est sans doute une des différences importantes entre la lecture papier et numérique. Claire Bélisle91 rappelle que le lecteur doit à la fois maîtriser des logiciels et des outils techniques et savoir se repérer dans un univers culturel dont les valeurs sont différentes de celles du monde imprimé. Il doit connaître et savoir utiliser des outils de navigation mais aussi toute une gamme d'outils que l'on peut trouver sur le Web. Il est à noter que le lecteur doit être familier avec l'ensemble des machines électroniques susceptibles de pouvoir héberger un texte, c'est-à-dire ordinateur, tablette, ordinateur portable et smartphone pour qu'il puisse évoluer facilement dans cet espace. Cet aspect requiert que le lecteur soit plus actif et interagisse avec l'information et les connaissances. De la même manière, la lecture en ligne ne consiste pas simplement à lire mais aussi à savoir interpréter les images, les dessins, les vidéos et les représentations graphiques. Bien que l'apprentissage de la lecture soit toujours basé sur la connaissance des phonèmes et graphèmes, cela ne suffit plus. D'ailleurs, selon Claire Bélisle, cet « élargissement » des modes de lecture multiplie les compétences à acquérir afin de savoir véritablement bien lire avec le numérique.92 En effet, dans le cadre de la lecture numérique, les compétences technologiques sont indissociables de la lecture même.

90 Gugliemo Cavallo et Roger Chartier (dir.) Histoire de la lecture dans le monde occidental. Paris, Editions du Seuil, 2e édition, 2001.

91 Claire Bélisle (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre III, p. 143.

92 Ibid. p. 145.

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Claire Bélisle fait remarquer que les compétences technologiques mettent les « natifs du numérique » et les nouveaux arrivants dans le monde numérique sur un plan différent en favorisant les jeunes.93 Pourtant, une enquête de 201094 montre que la présence des outils numériques dans l'environnement des jeunes ne signifie pas qu'ils développent automatiquement des compétences qui leur permettent, par exemple, de réussir à l'école. En effet, le taux de réussite du certificat Informatique et Internet (i) en 2010 était, malgré son amélioration, inférieur à 36 %. En fait, seules des activités comme rechercher des informations et communiquer à distance, qui ne nécessitent pas vraiment un processus d'appropriation, sont maîtrisées par plus des trois quarts des élèves de 15 ans. Par contre, plus d'un sur deux serait incompétent dans les activités qui nécessitent un savoir-faire spécifique, comme la réalisation d'une présentation ou des documents pouvant être imprimés. En fait, les compétences liées à l'utilisation régulière de certains logiciels et jeux vidéo ne couvrent pas l'ensemble des connaissances numériques nécessaires qu'il faut acquérir pour pouvoir évoluer dans l'univers numérique de manière autonome et raisonnée. Bien que ces informations ne concernent pas les élèves du collège car certificat Informatique et Internet (i) est destiné aux étudiants faisant des études supérieures, elles donnent une indication sur le niveau général des compétences technologiques. Il n'y a donc pas de raison de supposer que les plus jeunes auraient des compétences plus élevées.

93 Ibid.

94 Jocelyne Trémenbert, Mesure des compétences numériques, une évaluation à partir des domaines du I, Observatoire OPSIS, 2010. https://www.marsouin.org/IMG/pdf/article_competences.pdf

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984