CHAPITRE III : LANGUE(S) ET INTEGRATION
Cette partie entre dans le coeur de ma problématique en
exposant le lien qu'il est possible d'effectuer entre langue(s) et
intégration. Les représentations sociales ont été
précédemment définies comme permettant à un
individu de se représenter une réalité complexe. Je
montrerai dans cette partie que le phénomène migratoire, en tant
que processus complexe à appréhender, est particulièrement
touché par un amas de représentations souvent péjoratives.
Entre représentation et réalité, il semble difficile de
comprendre pourquoi ce lien s'opère automatiquement. La part du
réel dans cette représentation semble d'autant plus difficile
à percevoir car il faut : « inclure dans le réel la
représentation du réel » (Bourdieu, 1982 : 136). Je
ferai en sorte d'aborder dans les parties suivantes, l'immigration sous
l'aspect des RS mais aussi au travers des motifs réels d'arrivée
de mes enquêtés (III-1) puis je tenterai de finir
ma partie théorique avec les notions d'intégration, de sentiment
d'intégration et j'associerai maitrise de la langue et
intégration (III-2).
III-1 L'immigration : de la représentation à
la réalité
1.1 Le « problème » de l'immigration
Mon corpus comprend majoritairement des femmes et un homme
provenant du Maroc mais aussi une femme provenant du Liban et une du
Brésil. Ces personnes ont immigré en France pour des raisons
diverses (travail, regroupement familial, droit d'asile, etc.). Ces profils
parcellaires d'immigrés sont avant tout et simplement des parcours de
personnes ayant quitté leur pays. J'entrerai plus en détail dans
les profils de mes enquêtés dans la méthodologie. Il ne
s'agit pas dans cette partie de reprendre l'histoire de la migration en France
ni même d'insister sur le pays d'origine de mes enquêtés et
de faire des correspondances de type : pays d'origine équivaut à
tel profil d'enquêté, car mon but n'est pas de prendre en compte
ces données trop générales pour en faire des liens
incongrus avec le sentiment d'intégration de mes enquêtés.
Par contre, je prendrai en compte les éléments liés
à leur propre apprentissage du français dans le pays d'origine.
Aussi, je rappelle que l'objet de ce mémoire reste l'étude des
phénomènes linguistiques en lien avec des paramètres
sociologiques et qu'il est donc important de soulever quelques aspects de cette
discipline.
Le problème que j'aimerais ici mettre en avant n'est
pas celui de l'immigration mais plutôt celui de la
problématisation de ce phénomène en France. En effet,
depuis quelques
33
années, « la société, les
institutions, les individus, prêtent une attention
préoccupée au phénomène migratoire. Celui-ci
revêt en ce moment des allures d'urgence » (Mahieu & Reca,
2007 : 733). Lorsqu'il est question d'aborder l'immigration et
l'immigré, de manière systématique ils sont
associés à une série de problèmes :
« Produit, le plus souvent, d'une
problématique imposée de l'extérieur, et
à laquelle il n'est pas toujours facile d'échapper le
discours (scientifique ou non) tenu sur l'immigré
et sur l'immigration se condamne, pour pouvoir parler de son objet,
à le coupler avec toute une série
d'autres objets ou d'autres problèmes. Est-il d'ailleurs
possible d'en parler autrement ? (Sayad, 2006 : 16).
Bien que l'immigration puisse être approchée et
définie d'une manière neutre et simple : « Le terme
« immigration », tel que nous l'employons aujourd'hui désigne
non seulement le déplacement des individus d'un endroit à un
autre, mais aussi le franchissement d'une frontière »
(Noiriel, 2007 : 22) avec un raisonnement logique prenant en compte des
faits, des personnes et des parcours : « cette immigration ordinaire
relève [...] de principes de justification qui lui donnent son sens et
sa raison d'être : travail, regroupement familial, recours à des
soins, formation professionnelle ou poursuite d'études universitaires
» (Laacher, 2005 : 102), elle est souvent détournée et
réduite à la personne de l'immigré : L'immigré,
c'est avant tout l'étranger qui vient s'installer « chez nous
» (Ibid. : 22). Ces discours, contribuent selon moi,
à placer les immigrés dans une situation de culpabilité
intrinsèque, ils sont ainsi perçus d'emblée comme
coupables : « Et comme l'immigré justement, parce qu'il est
immigré, est toujours coupable d'une culpabilité qui
excède l'infraction qu'il peut avoir commise » (Pallida et
al., 2011 : 66). Ainsi, leur seule présence sur le territoire
d'accueil suffit à les rendre fautifs : « La présence
immigrée est toujours une présence marquée
d'incomplétude, présence fautive et coupable en
elle-même » (Sayad, 1999 : 401). Je constate que cette
position de culpabilité attribuée aux immigrés renvoie
à une situation où celui qui attribue est en position de
supériorité et le schéma suivant se dessine : «
Dominants - les citoyens du pays d'immigration - et dominés - les
immigrés » (Pallida, et al., 2011 : 66).
Après avoir abordé le « problème
» de l'immigration, je vais maintenant m'intéresser aux sources qui
ont généré de telles représentations et essayer
d'en comprendre les raisons ainsi que les conséquences.
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