1.2 Origines et conséquences des
représentations sur l'immigration
Les immigrés suscitent effectivement bien souvent des
représentations péjoratives. Il m'a alors semblé pertinent
d'essayer d'appréhender les raisons de ces considérations
étant donné que cela concerne mes enquêtés et que je
pense qu'il est important d'essayer de saisir, en amont, comment ils sont
représentés pour mieux comprendre ce à quoi ils sont
confrontés dans leur vie. Ainsi, cela me permettra notamment de mieux
interpréter leurs réponses lors des entretiens effectués
et tenter par là une analyse plus appropriée. Parmi les raisons
retenues j'observe que le migrant dérange de par son statut même
et que les qualificatifs ne manquent pas pour soulever son
étrangéité :
« l'immigré est atopos, sans
lieu, déplacé, inclassable
[...] Déplacé, au sens d'incongru et
d'importun, il suscite l'embarras; et la difficulté que
l'on éprouve à le penser - jusque dans la science, qui reprend
souvent, sans le savoir, les présupposés ou les omissions de la
vision officielle - ne fait que reproduire l'embarras que crée son
inexistence encombrante » (Bourdieu, 2006 :
13)9
La question qui se pose au sujet de ces représentations
sur l'immigré/l'immigration n'est pas de savoir si tout cela est vrai ou
faux car chacun choisit d'adhérer ou pas à une opinion comme
évoqué dans la partie précédente, mais plutôt
de savoir (de manière quelque peu utopique) comment il est possible de
stopper de telles idées : « Comment empêcher que se
propage le virus d'une métonymie désignant non l'immigration,
mais l'immigré comme coupable ? » (Morice, 2011 : 6) car elles
contribuent également à l'émergence de
représentations péjoratives allant jusqu'à la
stigmatisation des migrants qui « subiront une perte de statut et
seront discriminés au point de faire partie d'un groupe particulier : il
y aura « eux » qui auront une mauvaise réputation et «
nous », les normaux » (Noiriel, 2007 : 684).
Une stigmatisation qui divise et amène à la
création de deux groupes opposés, ce qui n'est pas sans me
rappeler le « they code » et le « we code » (Gumperz, 1989)
: une opposition entre « eux » (ce à quoi on ne s'identifie
pas) et « nous » (ce à quoi on s'identifie). Les
immigrés sont ainsi pointés du doigt par le groupe de
référence « nous » (« notre identité
», une identité nationale) représentant la norme du groupe
majoritaire, et s'opposeraient par conséquent en s'inscrivant dans le
groupe « eux » (« notre altérité »).
9 Préface du livre d'Abelmalek Sayad :
L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, tome 1
: L'illusion du provisoire (2006)
35
J'insiste ici sur le fait qu'il s'agit d'une perspective
réversible, en effet, la perspective que je viens d'évoquer
pourrait très bien s'inverser et ainsi laisser place à la
perspective des immigrés. On aurait alors un « we code » qui
représenterait les immigrés, les étrangers en fonction de
« tout ce qui définit l'idée qu'ils se font
d'eux-mêmes, tout l'impensé social par lequel ils se constituent
comme "nous" » (Sayad, 1994 : 8) et un « they code » qui
correspondrait aux autres : tous les Français.
L'ensemble de ces représentations placent les migrants
et donc mes enquêtés par la même occasion, dans une position
inconfortable dès leur arrivée, les laissant penser qu'ils ne
sont pas les bienvenus. Si je prends en compte ce contexte
représentationnel hostile, je peux déjà y voir l'un des
freins potentiels à une intégration réussie.
Si je cherche à comprendre la provenance de ces
représentations au sujet de l'immigré/l'immigration, j'estime
d'une manière générale qu'elles prennent source dans
« la « pensée d'Etat », base anthropologique sur
laquelle reposent tous nos jugements sociaux » (Sayad, 1999 : 400),
c'est ce qui fonderait ainsi nos représentations a priori et
inciterait certaines personnes à croire que l'immigration porterait en
elle-même des maux mais aussi les amèneraient à
décupler la culpabilité qu'il leur est attribué en cas
d'infraction effective commise ou d'actes conflictuels :
« Tout se passe comme si c'était
l'immigration qui était en elle-même
délinquance, délinquance, au regard de nos
catégories de pensée qui, en la matière, sont, on
ne le dira jamais assez, des catégories nationales
» (Ibid. : 401).
Parallèlement les outils de diffusion de ces
représentions péjoratives au sujet de l'immigration contribuent
à élaborer la pensée commune certes mais aussi à la
rendre de plus en plus accessible à un grand nombre d'individus. Les
principaux moteurs de cette propagation sont représentés par les
médias et les journaux : « les représentations
négatives des immigrants ont été élaborées
d'abord dans les rubriques sociale, politique et internationale des grands
journaux » (Noiriel, 2007 : 685) mais aussi les «
hebdomadaires, [...] actualités télévisées, bref
[...] tous les organes d'information qui fabriquent aujourd'hui l'opinion
» (Ibid. : 684). Je précise également que les
biais par lesquels passent ces représentations ont une importance
certaine car ils contribuent à donner une perspective conflictuelle et
accrocheuse aux informations diffusées autour de l'immigration :
36
« Ces phénomènes sociaux prennent une
résonance particulière lorsqu'ils font l'objet
d'un traitement politique ou médiatique :
l'immigration s'y présente toujours comme un
problème » (Rea & Tripier, 2003 : 3-4).
Je remarque que le sentiment d'insécurité
crée par ces informations provient d'institutions auxquelles, il est
souvent accordé du crédit : « les discours politiques et
médiatiques sur l'immigration font des immigrés une cause
d'insécurité » (Ibid. : 3-4). Ces informations
circulent auprès de tous et sont censées refléter la
réalité de l'immigration à partir des mots et des discours
choisis et construits par les médias, cependant il est
intéressant de se demander s'il ne s'agit pas plutôt d'une
réalité construite visant à nous influencer dans une
vision péjorative des immigrés. En effet, ne serait-il pas
là plutôt une question de perspective que de réalité
car :
« S'il est vrai que le langage reflète -- ou
tente de refléter -- la réalité et l'interprétation
que l'on donne de cette réalité, il est également vrai que
ce même langage imprime un sens à la perception de la
réalité qu'il interprète. Autrement dit,
les mots ont un sens, et leur agencement dans le discours est
censé faire sens » (Vianna, 2015 : 3).
Si j'ai pu constater que l'immigré dérange par
son statut, je peux aussi comprendre que l'origine même du mot entraine
des peurs de par la difficulté à le définir, se laissant
ainsi en proie aux dérives politiques : « Chargé
d'incertitude, le mot même d'immigration véhicule des peurs. C'est
pourquoi il est si souvent objet de passion politique » (Rea &
Tripier, 2003 : 4). Aussi, face à la masse inconsidérable
d'informations à ce sujet il est difficile d'empêcher selon moi,
la propagation de telles RS car comme je l'ai montré plus haut, elles
permettent un gain de temps et facilitent la compréhension des
phénomènes complexes qui entourent un individu. C'est pourquoi je
ne tenterai pas de définition arrêtée de ce
phénomène car l'objet de cette étude sera de traiter des
représentations sociales de mes enquêtés sur leur
intégration en France et le lien qu'ils en font avec leur apprentissage
du français. Cependant, je prends en compte ce qui a été
vu dans cette partie comme un lien à ma problématique car :
« l'immigration est principalement une question nationale via la
problématique de l'intégration » (Favell, 2010 :
44).
Dans cette partie, il m'a été possible de
souligner l'un des premiers freins probables à l'intégration des
immigrés : les barrières représentationnelles faisant de
ces personnes des cas
37
à problèmes d'emblée. Je
m'intéresserai par la suite aux motifs de départ de ces
personnes, ce qui me permettra de mieux comprendre les raisons qui les ont
poussés à immigrer en France. C'est ce qui m'amènera
également par la suite, à émettre des hypothèses
sur les écarts dans leurs parcours d'apprentissage du français et
me permettra de mieux appréhender leur motivation à
s'intégrer.
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