1.3 Motifs de migration : entre volonté et
obligation
En ce qui concerne mes enquêtés et leurs choix
d'immigrer en France, je peux déjà dire qu'il ne s'agit pas de
migrations touristiques à caractère temporaire mais plutôt
de migrations politiques et économiques ayant une visée
d'installation sur le long terme. Parmi ces types de migrations, deux
nécessités ont motivé leur départ : les uns ont
choisi de migrer pour améliorer leurs conditions de vie, les autres
parce qu'ils y ont été obligés pour sauver leur vie. On
distingue alors la migration volontaire de la migration forcée. En ce
qui concerne la migration volontaire, il s'agit d'un
départ préparé et organisé. Au sein de mon
étude il y a des personnes ayant immigré en France pour du
travail ou celles ayant bénéficié du regroupement familial
:
« Il s'agit ici de familles
où la décision d'émigrer a été prise dans le
cadre d'une situation non extrême, où elles ont
eu au moins le temps de préparer le
déménagement. Les perturbations internes de la famille, ou
externes à elle, qui déclenchent l'idée d'émigrer
sont variées (raisons professionnelles, mariage avec un étranger,
retour au pays après un séjour extérieur prolongé)
mais la plupart du temps, elles relèvent d'une
stratégie destinée à améliorer les
conditions de vie » (Barudy, 1992 : 55).
La migration forcée se
différencie de la migration volontaire car elle n'est pas voulue et
qu'elle résulte souvent d'une décision prise en urgence, pour mon
étude j'évoquerai le cas des demandeurs d'asile en attente du
statut de réfugié :
« Dans ce cas, il s'agit de perturbations
qui, par leur intensité ou leur durée, sont
ressenties comme une catastrophe pour les membres de la
famille. La décision d'émigrer émerge comme une
réponse adaptative prise entre la vie et la mort. C'est
le cas, par exemple, de la migration liée à des situations de
répression politique, de guerre et de catastrophe naturelle
» (Barudy, 1992 : 53).
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Enfin, que la migration soit volontaire ou non, il y a
les sans-papiers, ce sont des personnes entrées
illégalement en France sans être en possession des documents
nécessaires (passeports et visas) ou qui sont entrés
légalement au début mais qui ont prolongé leur
séjour au-delà du délai légal, on retrouve
notamment les personnes déboutées du droit d'asile (Wihtol de
Wenden, 2010 : 54).
Dans tous ces cas, à leur arrivée en France, les
migrants sont confrontés à de nombreux changements en termes
d'identité (vêtements, habitudes culinaires, langue(s), etc.). Ce
voyage interroge de manière incessante les composantes de leur
identité et de celle du pays d'immigration car cette immigration apporte
des changements culturels (Sallaberry, 2009). Le changement
linguistique apporte le changement culturel pour le migrant car il va devoir
apprendre à penser par le discours de la nouvelle langue car «
la pensée s'informe dans du discours, et le discours, c'est la langue
mise en scène socialement, selon les habitudes culturelles du groupe
auquel appartient celui qui parle » (Charaudeau, 2009 : 16) mais
aussi à revoir les représentations propres à son pays et
à sa/ses langue(s) d'origine car :
« la migration impose, dans la plupart des cas, la
confrontation avec un ou des systèmes linguistiques différents,
une sorte de (bi)multilinguisme « obligé », une remise en
cause des représentations » (Biichlé, 2007 : 89).
En effet, quitter son pays, c'est aussi changer de langue et
apprendre à se débrouiller avec cette langue : « c'est
se trouver en présence non seulement d'un système linguistique
différent, mais d'une nouvelle manière de communiquer, de se
définir soi-même par rapport au monde » (Lüdi et
Py, 1986 : 56). Les migrants se retrouvent ainsi dans une situation de conflit
cognitif entre l'identité qu'ils avaient dans leur pays d'origine et
celle qu'ils doivent reconstruire/réajuster dans leur pays
d'immigration, c'est pour cela que : « La migration reste par
excellence un lieu de conflit identitaire » (Lüdi, 1995 : 242).
Ce conflit cognitif s'opère également parce que le migrant doit
apprendre à s'adapter à un nouveau contexte et ainsi
développer de nouvelles aptitudes ce qui bouleverse ses anciennes
aptitudes conçues pour son environnement d'origine :
« la famille avant d'être
bouleversée par les événements qui vont la
pousser ou la décider à émigrer, avait
développé dans son contexte des modalités
adaptatives (comportements et croyances) dans le but de faire face
à ses changements internes [...] et aux changements de son environnement
naturel et social » (Barudy, 1992 : 52)
La diversité des facettes identitaires présentes
chez un individu témoigne de
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l'impossibilité de considérer l'identité
d'un individu comme monolithique. Chez les migrants, il est encore plus
difficile de parler d'identité unique car en plein processus migratoire,
leur identité évolue sans cesse : « le positionnement
identitaire dépendra des pratiques sociales dans lesquelles les
individus évoluent, et l'identité prendra de nouvelles formes
selon le contexte dans lequel se déroule le discours »
(Barbier, 2008 : 5). Ainsi, en prenant en compte tous ces
éléments, il me parait plus pertinent d'envisager
l'identité des migrants comme plurielle : « L'identité
complexe, plurielle, ne serait-elle pas la règle plutôt que
l'exception dans des situations de migration ? » (Lüdi, 1995 :
247).
Les raisons pour lesquelles ces personnes émigrent
jouent un rôle essentiel car elles conditionnent leur bonne installation
en France. L'intégration de ces personnes en dépendrait
même, tout l'enjeu pour ces personnes serait de passer outre ces
barrières socioculturelles et de : « surmonter ses ruptures et
conflits socioculturels afin de s'intégrer ou de se positionner dans la
société globale » (Manço, 2002 : 71) car il se
pourrait que ces premiers éléments puissent mettre :
« en péril le processus de détachement
par rapport aux personnes et aux expériences connues dans le milieu
d'origine et, en même temps, constituer un obstacle au processus
d'ouverture au nouvel environnement » (Barudy, 1992 : 55).
L'intérêt d'évoquer ces profils de
migrants c'est aussi de réaliser qu'en tant enseignants de FLE/FLS nous
sommes en face d'apprenants mais surtout de personnes en situation de
difficultés au quotidien car ils sont en plein chamboulement
identitaire. La particularité de ce public en termes de didactique du
FLE/FLS réside dans le fait que ces migrants en apprenant le
français ont pour objectif de s'intégrer socialement «
les migrants ont, en apprenant la langue du pays d'accueil, un projet et un
objectif précis puisqu'il s'agit pour eux de s'intégrer dans la
société » (Adami, 2012 : 20). Ainsi, la
situation des migrants influencera le travail de l'enseignant qui s'orientera
idéalement sur leurs besoins premiers au quotidien.
J'ai pu constater que la position intermédiaire de
migrant pouvait être difficile à porter pour un apprenant de
FLE/FLS, dans la partie qui suit, je montrerai en quoi l'apprentissage du
français amène à la question de l'intégration et
quels sont les enjeux qui reposent autour de ces questions.
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