1.2 Une histoire de représentations : « Vrai
français » vs « mauvais français »
Il est d'abord essentiel de comprendre la notion de
représentations sociales (RS) car elles sont
générées et transmises par le discours, elles «
enracinent le discours dans un contexte symbolique familier pour les deux
participants classiques de la communication (Negura, 2006 : 5).
Ainsi, il parait pertinent de comprendre que « Chaque
énoncé peut alors devenir un indicateur des
représentations sociales qui participent à sa constitution
» (Ibid. : 5) car je serai amenée dans cadre de cette
étude à les analyser au sein des discours de mes
enquêtés. Les affirmations qualifiant la parole d'un locuteur de
« bon » ou de « mauvais » m'amène également
à m'orienter vers les représentations sociales qui circulent dans
chaque individu et lui permet de se positionner.
Approcher les RS et leur fonctionnement est essentiel car
elles permettent à un individu de se comprendre, de comprendre les
autres et ainsi de pouvoir se comporter de manière adéquate en
fonction de ces éléments de compréhension. Pour cela,
l'individu crée et
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absorbe des représentations qui lui permettent de se
situer dans un espace constitué d'objets, de personnes, d'idées,
etc. afin de « bien s'y ajuster, s'y conduire, le maîtriser
physiquement ou intellectuellement, identifier et résoudre les
problèmes qu'il pose » (Jodelet, 2003). Ces RS constituent
« une forme de connaissance, socialement élaborée et
partagée, ayant une visée pratique et concourant à la
construction d'une réalité commune à un ensemble social
» (Ibid.). Il est difficile de parler de
représentation individuelle et propre à un individu car la RS
possède 2 versants : l'un étant cognitif et
individuel car elle émane certes d'un individu et de sa
perception du monde et l'autre étant social et collectif
car elle dépend d'états sociaux et de la
collectivité dans son intégrité ; les deux ne pouvant
être séparés car imbriqués (Durkheim, 1898).
C'est grâce à ces représentations qu'un
individu est capable de fonder des groupes, d'y adhérer ou pas, selon
que ses représentations convergent ou pas avec celles du groupe fondant
ainsi des identités collectives. Il est important de soulever pour mon
étude que les RS ont permis à mes enquêtés de
s'ajuster à une situation ou du moins à la représentation
qu'ils se font d'une situation : ici celle de l'entretien. En effet,
j'évoquerai dans mon analyse l'impact des RS sur mes
enquêtés, sur leurs interlocuteurs, sur moi-même mais
également l'impact de celles-ci sur mon recueil de données.
Comme je l'évoquerai dans mon analyse, ces RS sont
pratiques car elles permettent
aux individus d'interpréter la réalité et
de mieux appréhender l'autre. Elles possèdent une fonction
régulatrice importante, en ce qu'elles régissent les relations
entre les individus et leur environnement. Il est possible, par ailleurs de
distinguer quatre fonctions essentielles de ces RS :
· Une fonction cognitive, qui permet
aux individus d'intégrer, dans leur système de pensées, de
nouvelles informations (auxquelles ils adhèrent) afin de mieux
comprendre la réalité,
· Une fonction d'orientation,
permettant aux personnes d'adopter des conduites et des comportements
appropriés en fonction du contexte, ce qui engendre des attitudes, des
opinions et des comportements (la RS possède notamment, un aspect
prescriptif en ce qu'elle définit ce qui est licite, tolérable ou
inacceptable),
· Une fonction identitaire, qui a pour
but de situer les individus dans leur environnement et de définir une
identité sociale et personnelle gratifiante,
· Une fonction justificatrice, qui
permet de justifier telle ou telle pratique dans un contexte social
donné (prises de position et comportement d'un groupe)
(Abric, 1994 : 188).
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L'importante quantité d'informations (et par
conséquent, de représentations sociales) que l'environnement
transmet à un individu, le pousse à effectuer un tri parmi
celles-ci. Ce tri l'amène à former des
stéréotypes définis comme des «
croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles,
généralement des traits de personnalité, mais souvent
aussi des comportements, d'un groupe de personnes » (Leyens, Yzerbyt
& Schadron, 1996 : 24). Les stéréotypes permettent une
économie cognitive considérable en ce qu'elles
représentent des outils de simplification de la réalité.
Ils aident à mieux comprendre une réalité complexe,
constituent un gain de temps essentiel au fonctionnement cognitif d'un
individu, j'estime ainsi qu'ils ont :
« une fonction d'économie cognitive
importante dans les activités de jugement et de perception dans
la mesure où ils se résument à peu d'informations
(quelques adjectifs le plus souvent) et que ces informations sont
facilement accessibles » (Charron et alii.,
2014 : 281).
Les RS et les stéréotypes relèvent tous
deux d'une activité collective (mais dépendent aussi de
l'expérience individuelle) et modèlent non seulement la
connaissance que l'individu a du monde mais aussi les interactions sociales. Il
convient cependant d'établir une distinction car « la
représentation sociale désigne un « univers d'opinions
», le stéréotype n'est selon lui que la cristallisation d'un
élément ; il sert seulement d'indicateur » (Amossy
et alii., 2011). Aussi, l'avantage qu'il est possible d'attribuer
à la représentation sociale par rapport au
stéréotype, est celui de ne pas être chargée de
connotations négatives car en effet « le propre de la
stéréotypie, c'est d'être grossière, brutale, rigide
et de reposer sur une sorte d'essentialisme simpliste » (Maisonneuve,
1989 : 141).
En termes de transmission, les RS naissent, circulent et
évoluent dans les rapports sociaux, elles sont façonnées
par les interactions sociales (Billiez et Millet, 2001 : 33). Pour ce
mémoire, je chercherai à comprendre le rôle joué par
l'enseignement et l'apprentissage du français au sein du processus
d'intégration de migrants et pour cela je serai amenée à
prendre en compte leurs difficultés et blocages au sein de leur
processus d'apprentissage. Certains apprenants sont affectés par ces RS
car « certaines RS sont des obstacles, des voies de garage, voire des
freins à l'apprentissage » (Py, 2004 : 15).
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En conclusion, l'affirmation qui qualifierait le
français de « bon » ou « vrai » se rattache à
une représentation sociale du bon usage du français qui
correspond au « maniement du français légitime,
étiqueté comme le « bon » français »
(Billiez, 1985 : 101) et qui est parlé par une classe «
moyenne » ou « supérieure » : « Il est
supposé pratiqué par les locuteurs ayant un statut social
élevé, les autres variétés en étant
dès lors regardées comme des déviances » (Gadet,
2003 : 18). Ce modèle normatif prônant un usage « correct
» de la langue suppose un ensemble de pratiques linguistiques dominantes
et légitimes. Par opposition, le « mauvais français »
quant à lui correspondrait entre autres à «
l`attitude qu'ont les francophones par rapport à la
variation linguistique : tout ce qui n'est pas la langue standard est
nécessairement mauvais » (Beaudoin-Bégin, 2011). Aussi,
il est important de noter que ces représentations reposent sur la
comparaison avec un français standard qui se confond bien souvent avec
la langue parlée elle-même : « As probably the most
highly standardized of European languages, the `French language' has come to be
conventionnaly confused with that of standard language (SL)
»8 (Twain, 2007 : 241). Ces
représentations sociales permettent de mettre en évidence l'un
des autres points essentiels de mon analyse : les représentations qu'ont
mes enquêtés vis-à-vis de leur niveau de français et
le lien qu'ils en font avec l'intégration.
J'ai pu montrer les rapports entretenus entre les notions de
langue(s) et de pouvoir à travers des enjeux définis en termes de
pratique du français et d'identité des locuteurs. La prochaine
partie fera le lien entre les langue(s) et la notion d'intégration.
8 Considérée comme étant
sûrement la langue européenne la plus standardisée, la
« langue française » se confond de manière
courante/conventionnelle avec la langue standard (SL) (Twain, 2007 :
241).
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