II-2 Enjeux liés à l'identité
La partie suivante vise à exemplifier le lien fort de
la langue envers l'identité et le positionnement qui s'opère
à la suite des interactions d'un locuteur. Cette partie
démontrera également les effets de ces divisions identitaires sur
les représentations d'une personne envers une langue et plus
précisément sur la pratique du français.
1.1 Interagir : un moyen de définir à la fois
notre identité et notre altérité
Comme je l'ai précédemment évoqué,
la langue constitue un facteur d'exclusion tout comme d'intégration
selon l'acception admise par un groupe (la norme dominante) et selon le rapport
d'un individu vis-à-vis de cette acception (son niveau de langue face
à la norme). Si je m'intéresse à l'identité d'un
locuteur, que j'entends plurielle par essence car elle se situe dans une
« multi-appartenance » (Charaudeau, 2009 : 3) du fait de son
âge, de son sexe, de sa profession, de sa classe sociale, etc. (Ibid.
3) mais aussi du fait de la situation actuelle de mon étude qui
s'intéresse au phénomène migratoire et positionne donc
dans: « une société qui se diversifie suite à des
flux migratoires, l'identité montre différentes facettes
notamment celle d'identité plurielle » (Reboul-Touré,
2011 : 17), je peux alors construire un lien fort entre langues et
identité. Une identité que j'inscris comme le résultat
d'un ensemble d'appartenances et de facettes :
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« vous vous prétendez français,
espagnol, japonais ; non, vous n'êtes pas identiquement, tel ou tel, mais
[...] vous appartenez à l'un ou l'autre de ces groupes, de ces nations,
de ces langues, de ces cultures » (Serres, 2003 : 114).
Cette panoplie d'appartenances implique de manière plus
ou moins explicite un ensemble de non-appartenances et c'est à travers
les langues que ces appartenances et non-appartenances sont perceptibles car :
« Notre langue structure notre identité, en ce qu'elle nous
différencie de ceux qui parlent d'autres langues et en ce qu'elle
spécifie notre mode d'appartenance » (Lamizet, 2002 : 5-6).
Les langues de par leur implication identitaire positionnent un individu qu'il
le veuille ou non dans un rapport hiérarchique vis-à-vis
d'autrui, elles l'impliquent dans certains groupes et le poussent à en
rejeter d'autres, ce qui le place ainsi paradoxalement :
« entre « attirance » et
« répulsion », entre identité et
altérité [...] c'est « l'équilibre » entre ces
deux pôles qui lui donne sa substance. On pressent, en outre, que
l'obligation de se situer conduit l'individu à adhérer
à des agglomérats sociaux et à en rejeter
d'autres » (Biichlé, 2007 : 84).
Ce rapport à autrui souligne la dualité de
l'identité : l'autre est moi et je suis l'autre, l'autre étant
mon semblable tout en étant différent de moi, ce qui rend
l'identité : « au niveau même de sa définition,
dans le paradoxe d'être à la fois ce qui rend
semblable et différent, unique et pareil aux
autres. Elle oscille donc entre l'altérité
radicale et la similarité totale »
(Lipiansky, 1992 : 7). En conséquence, pour mieux comprendre son
identité, c'est à travers l'altérité et la relation
qui s'installe avec autrui qu'il est possible d'y arriver et de mieux se situer
: « Chacun accède à son identité à partir
et à l'intérieur d'un système de places qui le
dépasse (Flahault, 1978 : 58). C'est donc bien à travers les
interactions avec autrui, et donc à travers la parole, que le
phénomène identitaire prend forme. Cette relation qui
s'établit avec et à partir de la parole permet à un
individu non seulement de se situer mais aussi de situer l'autre : «
il n'est pas de parole qui ne soit émise d'une place et convoque
l'interlocuteur à une place corrélative » (Ibid.
: 58).
J'aimerais insister sur le fait que ces deux notions
(identité et altérité) sont consubstantielles : on ne peut
définir l'identité sans approcher l'altérité.
L'identité implique ainsi une relation d'interdépendance entre la
conscience de soi qui se construit à travers l'autre « on ne
peut être soi-même seul. La conscience de soi ne se construit que
dans une relation d'identification et d'opposition à autrui »
(Lipiansky, 1993 : 35). Je peux aussi
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ajouter que l'altérité découle du simple
fait de notre existence en société « exister socialement
c'est être perçu comme distinct » (Bourdieu, 1980 : 67).
Enfin, je précise que l'identité se décline aussi bien de
par son versant individuel (« je ») que de par son versant collectif
(« nous »), les deux étant imbriqués et indissociables.
Pour conclure, je peux dire qu'il est impossible de s'arrêter sur une
définition de l'identité tant ce concept est dynamique, pluriel
et polysémique « la dynamique identitaire ne peut plus
être théorisée uniquement en termes de construction,
fut-elle définie comme un processus continu et inachevé »
(Demazière, 2007 : 17). Cette difficulté à
définir la notion d'identité, je le rappelle, est similaire
à celle que j'ai eu face à la notion de langue car toutes les
deux sont bien souvent abordées dans leur singularité ce qui
efface les autres langues et les autres identités possibles d'une
personne.
J'ai pu montrer que parler c'est interagir avec autrui mais
aussi pouvoir se définir en tant qu'individu. Toute l'importance de
comprendre pour l'apprenant que parler c'est agir sur ses interlocuteurs
réside dans le fait qu'il pourra ainsi mieux appréhender son
environnement et avoir un rôle actif dans son processus
d'intégration. Je vais dorénavant me pencher sur une forme de
pouvoir plus ou moins implicite qui imprègne chacun de nous et qui
amène un individu à déterminer le bon du mauvais, à
prendre parti, à juger, à évaluer, à analyser, etc.
le monde qui l'entoure : il s'agit des représentations sociales (RS),
que je vais définir dans la partie qui suit.
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