1.3 Hiérarchiser les langues et leurs usages
Mes enquêtés proviennent pour la majorité
de pays où la situation sociolinguistique ramène au
phénomène de diglossie (Maroc et Liban). En effet, le concept de
diglossie (Ferguson, 1959), a été largement inspiré par la
situation sociolinguistique des pays du
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Maghreb (Biichlé, 2007 : 65) et le Liban offre
« une situation de diglossie, voire de triglossie entre l'arabe
littéraire, l'arabe moderne et l'arabe dialectal libanais »
(Habib, 2009 : 7). Ce phénomène correspond à la
cohabitation au sein d'un même espace géographique de deux
variétés éloignées d'une même langue : une
variété haute (« High ») qui correspond dans le cas de
mes enquêtés, à l'arabe classique/fusha et une
variété basse (« Low ») qui se réfère
pour eux à l'arabe dialectal marocain ou libanais.
Ce qui m'interpelle dans ce phénomène de
diglossie, c'est la séparation fonctionnelle des variétés
: la variété basse correspond à la langue utilisée
quotidiennement (famille, travail, amis) par les locuteurs issus de ces pays et
la variété haute n'est jamais utilisée dans les
conversations ordinaires, quel que soit le secteur de la communauté
(Grosjean, 1982 : 131), elle est réservée aux discours
politiques, sermons, cours universitaires, journaux, poésie, etc.
(Ferguson, 1959 : 431).
En ce qui concerne la situation du français en France,
je me suis interrogée sur la légitimité d'un tel
phénomène car ce pays reste « un cas paradigmatique des
tensions entre monolinguisme et plurilinguisme, entre la langue et le pouvoir
» (Harguindeguy & Cole, 2009 : 939). Néanmoins, il me
semble que de telles interrogations se justifient du fait que la situation
sociolinguistique de la France soit ambiguë envers la reconnaissance de
ses langues : « dans une France qui a (plus ou moins) reconnu
ses « langues régionales » et s'interroge sur
sa diversité culturelle, les conflits de langues
ont-ils pour autant disparu » (Ottavi, 2013
: 111). Dans mon analyse, je m'interrogerai à situer la situation
sociolinguistique de la France et de celle des parlers de mes
enquêtés et mettrai en lien ces éléments avec la
notion de diglossie que je définis comme la cohabitation de deux
variétés parentes en usage dans un même espace
géographique :
« l'une symbole de prestige,
généralement associé aux fonctions nobles de la forme
écrite d'une langue, variété haute,
l'autre symbole des fonctions terre à terre de la vie quotidienne,
variété basse chacune remplissant ainsi une part
bien à elle dans la société et dans la vie des personnes
» (Tabouret-Keller, 2006 : 114)
Si je souhaite comprendre le rôle que joue
l'apprentissage du français dans l'intégration de mes
enquêtés, il me parait important de comprendre la situation
sociolinguistique dans laquelle ils se trouvent. Les rapports de force
engendrés par une situation de diglossie peuvent avoir des
répercussions sur la reconnaissance de l'identité des
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individus. En France, les dénominations des langues ont
une importance car elles permettent de situer les pratiques des locuteurs et de
déceler une hiérarchie entre elles :
« La solution la plus communément
adoptée, en français du moins, est l'attribution du nom de
langue à la langue normalisée, de
dialecte à la forme orale, ou d'un autre nom
tel que parler, patois,
idiome, parler étant
le terme le plus général qui désigne l'ensemble des moyens
d'expression employés par un groupe ou au sein d'un groupe »
(Tabouret-Keller, 2006 : 110).
Cette partie a été l'occasion pour moi de
développer les enjeux liés à la connaissance du
français, particulièrement pour des migrants en situation
d'apprentissage. La partie suivante se situe dans la continuité de cette
réflexion et permettra de développer les enjeux identitaires
liés à la connaissance du français.
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