CONCLUSION
Ce travail arrivé désormais à sa fin,
reste l'objet de préoccupations et de questions restées sans
réponses. Il m'a en effet été impossible de me
débarrasser de l'ensemble des interrogations survenues tout au long de
ce périple où fusaient des interrogations scientifiques,
personnelles et professionnelles, qui m'ont poussée à
réfléchir de plus en plus et m'ont parfois écartée
de mon raisonnement initial. J'ai très vite compris que faire un travail
de recherche consiste aussi à savoir se remettre en question et ne pas
toujours rester sur ses positions de départ. Je m'étais mise dans
une position de défense vis-à-vis de ce que j'estimais être
une adroite supercherie politique visant à nous faire croire que seule
la langue pouvait aider un migrant à s'intégrer et ne
m'étais pas rendue compte que la question devait se poser autrement. Ce
qui me semblait être au départ une problématique
tournée dans le bon sens : aborder l'apprentissage du français
à travers l'optique de l'intégration des populations
immigrées, a petit à petit été
réorienté par les dires de mes enquêtés. Largement
perçue comme une démarche sociale d'interaction vers l'autre,
l'intégration ne semble pas se résoudre par l'apprentissage du
français. Il aurait été plus pertinent d'aborder le
rôle que joue l'intégration de ces publics dans leur processus
d'apprentissage du français car il constitue un levier d'action plus
important. Leurs parcours d'intégration soulèvent essentiellement
des problèmes de reconnaissance sociale, une reconnaissance de l'autre
au niveau professionnel, personnel et identitaire.
Je ne nie pas la prégnance de la représentation
visant à surestimer la langue dans l'intégration des migrants et
ce que cela implique sur les parcours d'apprentissage de mes
enquêtés ni même la force par laquelle elle guide leur
pratique au quotidien. Cependant, il me semble juste de ne pas oublier que la
langue reste pour mes enquêtés une force d'action, elle
représente un outil d'indépendance et d'autonomie, de conviction
et de sociabilisation leur permettant d'accéder à
l'intégration.
Au fur et à mesure que j'avançais, je me rendais
compte à travers les énoncés de mes enquêtés,
qu'ils étaient eux aussi victimes de cette représentation qui
semble affecter non seulement leur identité en tant qu'individu mais
aussi en tant qu'apprenant. Afin de mieux comprendre mes enquêtés,
j'ai essayé de rentrer dans leur logique représentationnelle en
me positionnant moi aussi comme une personne immigrant dans un pays
étranger. Je me suis souvenue de mes expériences à
l'étranger (et même en France) où le sentiment
d'insécurité linguistique me pesait et m'empêcher de
m'exprimer : cours de langues, rencontres avec des locuteurs allophones,
voyages touristiques et familiales, etc. Ces expériences, loin
d'être
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comparables à la situation de beaucoup de personnes
immigrant en France car elles ont été entreprises dans un but
parfois récréatif ou professionnel, ont contribué à
remettre en cause mon identité. Nous avons tous eu (ou presque) un jour
l'expérience de se retrouver l'étranger de quelqu'un et de se
sentir démuni face à une langue qu'on ne maitrise pas ou
très peu. La perte de statut qui va avec nous rend conscients que
l'apprentissage de la langue du pays d'immigration est un facteur à
prendre en compte dans la vie et l'intégration de ces personnes
car :
« apprendre à parler le
français c'est comme refaire sa porte f...]
une porte pour le monde entier, tu es libre, tu as ta liberté en
main, c'est comme si tu venais de naitre f...] tu es né
et tu voles, avant tu ne volais pas parce que tu ne parlais pas le
français » (G40)
Si apprendre le français amène
nécessairement l'apprenant à se définir en tant
qu'individu, il semble alors important de préserver cette
identité à travers les interactions qu'il a avec le monde
extérieur (« face-work », Goffman, 1974). C'est en ce sens que
je ne néglige pas l'importance et le rôle que joue la langue pour
l'apprenant de FLE/FLS. C'est également dans cette direction qu'en tant
qu'enseignant de FLE/FLS nous devons agir afin d'aider l'apprenant dans la
construction d'une identité harmonieuse avec et par la langue.
Cependant, il reste à prendre en compte que l'intégration est une
démarche binaire, elle implique également la part que la
société d'immigration offre au migrant afin de contribuer
à la réussite de son processus d'intégration (De Pietro et
Matthey, 2003 : 144). En effet, si cette partie ne considère pas la
personne immigrant en tant qu'individu et locuteur à part entière
de cette société, comment est-il possible pour elle de se faire
une place ? : « Pour ma famille oui mais pour la France je
sais pas, je sais pas si moi [...] je suis intégrée ou non
parce que je parle pas bien »
(K43).
Ne pas pouvoir s'exprimer dans un français «
correct » représente une source d'inconfort pour les migrants qui
ont tendance à s'isoler et ainsi à ne pas pratiquer la langue.
S'engage ainsi tout une dynamique d'isolement et d'enfermement auprès de
ces personnes. Le phénomène migratoire implique comme j'ai pu
l'évoquer, des chamboulements considérables en termes
d'identité mais aussi au niveau langagier. S'exprimer dans une langue
c'est aussi exprimer une identité et si celle-ci n'est pas
considérée, alors l'apprenant aura du mal à
s'intégrer. La réponse à ma problématique à
savoir : le rôle que joue l'apprentissage du français au sein du
processus d'intégration des migrants en France, se trouve
confrontée à des résultats mitigés. A
première vue, les réponses de mes enquêtés ne m'ont
pas menée vers une piste impliquant la langue comme facteur
d'intégration, en effet, une majorité d'arguments se
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dirigeaient vers des savoir être et des savoir faire
à mettre en pratique en société pour s'intégrer
beaucoup plus que l'apprentissage du français. Par la suite, il s'est
avéré qu'en reformulant mes questions et en les dirigeant
précisément sur ma problématique, ceux-ci se soient
retrouvés face à un paradoxe : celui de considérer la
langue comme facteur premier d'intégration. Si au départ, je
pensais confirmer le fait que la langue n'est pas ressenti comme un facteur
d'intégration pour mes enquêtés, il me semble
désormais impossible de l'affirmer. La transmission et le guidage vers
la représentation langue = intégration me semble avoir
été un facteur déclencheur dans ces réponses.
Je retiendrai alors pour étude qualitative
limitée en termes de temps et de corpus, qu'il est difficile d'envisager
un travail conséquent en tant que qu'étudiant car l'objet d'un
tel travail nécessite un travail de fond et un recul qui survient
parfois très tard dans le cheminement de notre recherche. Aussi, ces
périodes d'observation et d'enquêtes m'ont fait réaliser
l'importance d'instaurer une relation de confiance et d'apaisement en termes de
communication avec nos apprenants. En effet, lors de mes entretiens, beaucoup
d'apprenants se sont révélés être des personnes
très à l'aise avec la langue une fois la pression normative
amoindrie : pas d'évaluation ni de jugement de leur parole. J'ai pu voir
des apprenants se révéler et interagir de manière
aisée. Je pense que le cadre de la classe ne doit pas se réduire
à un simple cours de français, il devrait être un
échantillon de ce à quoi l'apprenant sera confronté mais
aussi un lieu où sa parole devrait être prise en
considération dans sa pluralité, j'estime qu'il représente
une micro société devant agir comme un tremplin vers la
société pour les migrants, une transition accompagnée et
guidée par l'enseignant. Quoi qu'il en soit, je pense que les
associations permettent cette transition de manière plus ou moins
éclairée et que leur travail doit être reconnu, car souvent
limités en termes de moyens, elles agissent bien souvent comme elles le
peuvent et non comme elles le voudraient toujours.
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