III-2 L'association langue et intégration : une
évidence ?
1.1- Le sentiment d'intégration de mes
enquêtés : des déclarations mitigées et axées
sur l'autre
Cette partie, engagera une réflexion autour du
sentiment d'intégration ressenti par mes enquêtés. C'est
grâce à la question n° 9 : Avez-vous le sentiment
d'être bien intégré(e) par les français/la France ?
Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ou pas ? Qu'avez-vous fait pour y
arriver ou qu'est-ce qu'il vous faudrait ? que j'ai pu recenser ces
énoncés :
R46 : Oui, oui [...] parce que j'aime la
France, j'aime la langue française, parce qu'ici, quand
|
je sors dans la rue [...] les femmes me disent « bonjour
madame, bonsoir madame, ça va
|
madame, salut madame » [... ]je sens bien ici
|
|
F42 : Pas encore [...] je sais pas [...] les
autres m'ont acceptée je sens mais ça dépend [...]
|
y'a des moments, je me sens bien, des moments non [...] pas
tous [...] il y a différents des gens
|
[...] il y a quelques-uns qui m'acceptent, les autres
pas
|
|
G40 : ça dépend des personnes
[...] par la France, je n'ai pas de problèmes [...] ça
dépend si
|
la personne est positive ou négative
|
H50 : pour moi c'est un peu difficile
[...]je mets dans mon esprit de continuer toute ma vie ici
|
en France [...] il faut intégrer dans la
société française oui, mais y'a des limites [...]
l'intégration n'est pas difficile pour moi jusqu'à
maintenant
|
|
H37 : je fais ma possibilité comme
une femme de foyer [...] si on est quelqu'un de bien
|
pourquoi pas
|
|
96
Les réponses ont été mitigées. En
effet, la majorité des enquêtés n'a pas répondu par
l'affirmative de manière catégorique sauf les
enquêtées M30, R46 et R47 qui se
sentent plus ou moins intégrés pour des raisons très
personnelles et localisées par des références à
leur environnement proche :
M30 ne voulait pas vraiment s'étaler
sur le sujet et n'a cessé de me répondre de manière
brève et neutre : "oui, oui, oui," "y'a beaucoup de choses oui",
"non non jamais", "non non ça va". Encore une fois, je suppose que
son niveau en français ne lui permet pas non plus de s'étendre
sur cette problématique qui nécessite un niveau d'accès
à la pensée abstraite. Les seuls éléments qui lui
permettent de se sentir intégrée sont encore une fois
(A34 également avait soulevé cet aspect) :
pour la loi [...] les gens.
R46 est en France depuis moins d'un an, elle
m'explique se sentir très seule (elle n'a pas d'enfants, ne travaille
pas et son mari travaille toute la journée) et que sa seule occupation
est le cours de français à l'association. Les motifs qui lui
permettent de se sentir intégrée sont les suivants : parce
que j'aime la France, j'aime la langue française, parce qu'ici,
quand je sors[...] les femmes me disent "bonjour madame, bonsoir
madame, ça va madame, salut madame mais elle déclare
aussi se sentir intégrée par comparaison à sa situation en
Espagne où son environnement était moins accueillant «
elles ne dit pas salut [...] quand ils regardent une femme avec le
foulard, il fait comme ça (baisse les yeux » et quand je lui dis
« hola », elles ne répond pas [...]ici en France, je
ne connais pas les gens et ils me parlent dans la rue (R46).
Une grande partie des raisons évoquées implique une
reconnaissance des autres et un besoin de sociabilité (R46
déclarera à trois reprises, ne pas vouloir rester seule
chez elle et avoir besoin de sortir pour se sentir intégrée),
mais elle évoque aussi son goût pour le français et la
France.
R47, en France depuis 26 ans semble avoir
pris ses marques en France et se sentir intégré bien que des
références à son pays d'origine resurgisse dans sa
réponse : « oui, moi je peux pas si on me dit "vas-y au
Maroc" moi je peux pas (rires »), mais aussi des
références à des problèmes apparaissent dans sa
réponse, ce qui me laisse supposer que l'intégration n'a pas
été un processus aisé pour elle et qu'elle a dû
gagner sa place en se justifiant : « j'habite là, c'est vrai,
y'a que moi que je suis là et les autres ils sont tous
français, ça m'est arrivé (d'avoir des
problèmes) mais après j'ai dit voilà je suis pas,
ça fait longtemps que je vis là moi je suis français,
j'ai la carte d'identité français et ça va mieux
maintenant [...] avant on était
97
pas d'accord de beaucoup de choses »
(R47). Le paradoxe de sa réponse réside
dans le fait que R47 se sente intégré et
français mais que son discours indique des actualisations identitaires
contraires : une claire distinction entre elle et les autres (they/wecode,
Gumperz, 1989) apparait par les marqueurs discursifs « moi
» et « les autres », « ils
sont tous français », « je parle avec
eux » et quelques lignes plus loin, elle déclarera
« je leur explique, je dis voilà, je suis là, c'est vrai
je suis étranger » et finira par préciser
qu'aujourd'hui si elle se sent intégrée, c'est parce qu'elle
n'est plus « intru », qu'elle peut «
parler » et qu'elle est « comme une française en
France ».Ces oscillations reflètent encore une fois,
l'aspect dynamique de l'identité en elle-même, et encore plus chez
les migrants : « Au fil de la vie, par son caractère
extrêmement dynamique et éminemment pluriel, l'identité
peut osciller entre identité actuelle et ancienne pour les migrants
» (Biichlé, 2017) mais aussi son aspect complexe : «
L'identité complexe, plurielle, ne serait-elle pas la règle
plutôt que l'exception dans des situations de migration ? »
(Lüdi, 1995 : 247).
Pour les autres enquêtés, certaines
réponses ont été semées d'hésitations, en
grande partie parce qu'ils ne sentent pas forcément reconnus par les
français ou parce qu'ils doutent de leur reconnaissance. La part
d'implication de la société dans le processus
d'intégration de mes enquêtés semble être difficile
à évaluer et à appréhender :
F42 : pas encore f...] je sais pas f...] les
autres m'ont acceptée je sens mais ça dépend f...]
y'a
|
des moments, je me sens bien, des moments non f...] pas tous
f...] il y a différents des gens f...]
|
il y a quelques-uns qui m'acceptent, les autres pas
|
|
K43 : je sais pas f...] on sait pas f...]
pour ma famille oui mais pour la France, je sais pas, je
|
sais pas si moi est-ce que je suis intégrée ou
non
|
|
G40 : ça dépend des personnes
f...] ça dépend qui est devant toi, c'est dur parce que tu ne
sais
|
pas comment cette personne va réagir, tu ne sais pas
ce qu'elle va te dire, tu ne sais pas si elle
|
va être sympathique avec toi, est-ce qu'elle va
être agressive avec toi, si elle va te dire des
|
choses de travers, est-ce qu'elle va regarder ton visage,
est-ce qu'elle va t'écouter, tu vois ?
|
|
H37 : pourquoi pas f...] si je me sens moi,
je suis quelqu'un de bien et je fais ma possibilité et
|
les choses comme il faut beh si quelqu'un il pense quelque
chose de moi pas bien beh c'est à lui
|
de réfléchir c'est pas à moi
|
|
98
Certains enquêtés, déclarent ne pas se sentir
intégrés du fait qu'ils ne travaillent pas ou pas de
manière sereine :
K43 : je sais pas si moi est-ce que je
suis intégrée ou non parce que [...]je travaille pas, je
travaille pas
H50 : pour moi c'est un peu difficile
[...] il n'y a pas de choses fortes parce que je ne travaille pas
pour le moment
A34 : pour moi ? [...] je pense, beaucoup
de manque [...] je travaille pas tranquille,
Ces discours me laissent supposer, que l'intégration
perçue par mes enquêtés rejoint bien ma
représentation de l'intégration évoquée plus
tôt comme étant dépendante de deux acteurs : la
société et le migrant. Cette représentation me parait plus
saine car elle n'implique pas de hiérarchie entre les acteurs, la
personne immigrant est à égalité en termes de
participation avec les autres membres de la société (Hambye &
Romainville, 2015) et « l'élément intégré
n'est pas perçu comme devant être
neutralisé, comme devant perdre ses
caractéristiques initiales » (Tap cité par
Manço, 1999 : 16).
Dans l'ensemble, mes enquêtés se sentent plus ou
moins intégrés du fait qu'ils pensent bien faire de leur
côté pour y arriver : « je suis quelqu'un de bien et
je fais ma possibilité et les choses comme il faut »
(H37) « je fais très attention
[...] je parle avec eux gentiment » (R47)
mais aussi parce qu'ils ont l'impression d'être redevables
à leur pays d'immigration « la France [...] elle fait
tout mais il faut les gens aussi », «
ce n'est pas le pays de t'adapter à toi, c'est toi qui
t'adapter à le pays, il faut que tu montres de quoi tu es
capable » (G40) mais la non reconnaissance des
membres de leur société d'immigration les laisse perplexe quant
à affirmer qu'ils soient effectivement intégrés.
Un dernier élément m'a interpellé dans
ces représentations sur l'intégration : ils se
réfèrent pour la majorité à leurs interactions avec
leur environnement proche pour parler d'intégration : « ce qui
frappe dans le point de vue immigré, c'est qu'il met fortement l'accent
sur la dimension locale de l'intégration
(Lamchichi, 1999 : 150) et certains « associe
volontairement intégration et réussite personnelle
» (Ibid. : 150) :
99
G40 : du moment que je fais mon monde, ma
vie, tout va bien, c'est eux qui
|
payent mes factures ?
|
|
K43 : il fait des études, il a son
travail, il a sa maison, tout est bien et il fait pas
|
mal à les gens f...] pour moi, c'est être bien
intégré
|
|
H50 : maintenant il n'y a pas de choses
fortes pour moi parce que je ne travaille
|
pas pour le moment
|
|
A34 : je travaille pas tranquille, les
papiers, tu sors pas beaucoup, tu fais pas le
|
voyage parce que t'as peur, rien de papiers, t'es pas
acheté l'habit de bon
|
qualité parce que tu travailles bien, rien de voiture,
tu marches, tu prends le bus
|
ou le vélo
|
|
Enfin, seulement deux enquêtés ont soulevé
des interrogations sur l'aspect langagier comme étant une
barrière ou un moteur à leur intégration :
K43 : je sais pas si moi est-ce que je
suis intégrée ou non parce que je parle pas bien,
H37 : si je peux quand même
continuer les cours de français et parler bien f...] eh beh je
crois
Ces derniers éléments me permettent d'introduire
la dernière partie de cette analyse : le rôle, pas encore
conscientisé jusqu'à ce moment de l'entretien, que joue le
français dans leur représentation de l'intégration.
1.2- Une fois l'intégration pointée
du doigt, le français semble effectivement être un facteur
important de leur intégration
Cette dernière partie a fait l'objet d'une approche
méthodologique d'enquête différente du reste de
l'entretien. En effet, je n'avais jusque là, à aucun moment,
effectué de lien entre intégration et langue. C'est au cours de
la dernière partie de l'entretien, après m'être
assurée d'avoir obtenu leurs représentations sur la question et
attendu de voir si le lien se faisait automatiquement ou pas, que j'ai
décidé, de manière imprévue au départ, de
pointer du doigt ma problématique de manière claire pour les
enquêtés. Je leur ai demandé s'ils pensaient que la
langue/le français permettait l'intégration ou parfois, de
manière moins explicite, ce qu'ils
100
pensaient de la langue dans ce processus. L'ensemble des
enquêtés interrogés a répondu par l'affirmative,
confirmant ainsi l'importance de ce facteur dans le processus
d'intégration :
R46 : Oui, oui c'est important [... ]quand
je parle avec quelqu'un dans la maison des
|
associations ou dans l'école,
|
|
R47 : Oh oui c'est important, y'a que
ça en France, la langue, il faut s'améliorer, le
|
courage pour parler, il faut faire, c'est pas grave moi je
dis le travail et ça mais pour parler il faut qu'on parle
français [...] Ah oui c'est important [...]comme ça on
peut
|
expliquer ce qu'on veut déjà si par exemple je
veux aller à la CAF ou quelque part
|
comment je vais l'expliquer, tous les jours il faut
attendre quelqu'un qui va avec toi ? [...] j'ai dit il faut que je parle
français même y'a des fautes il faut, pour les autres je sais
pas
|
H37 : c'est important, c'est très
très important eh oui si moi j'habite en France et que je
|
ne peux pas communiquer, je peux pas parler français,
c'est difficile, comme quelqu'un
|
qui vient chez vous mon pays par exemple le Maroc, il parle
pas ma langue, il parle une
|
autre langue, comment il va s'exprimer s'il parle pas la
langue, c'est important
|
|
G40 : Oui, oui, apprendre à parler le
français c'est comme refaire sa porte[...]porte
|
pour le monde entier tu es libre, tu as ta liberté en
main, c'est comme si tu venais de
|
naitre mais tu voles, tu es né et tu voles, avant tu
ne volais pas parce que tu ne parlais
|
pas le français [...]tu peux pas trouver quelqu'un qui
va être auprès de toi pour te faire
|
la traduction tout le temps, ça c'est impossible,
moi-même pour cette expérience ça m'est
arrivé
|
K43 : Oui, pour moi oui parce que quand tu
vas faire quelque chose tu demandes les
|
choses ou tu cherches les choses et c'est facile [...] pour
moi c'est le plus important
|
d'apprendre le français
|
A34 : Euh tu parles tranquille, tu connais
l'autre [...] tu entres [...] dans une banque
|
tranquille, tu connais, tu parles, tu demandes un papier ou
quoi tu connais voilà tu
|
parles tranquille, t'as pas besoin de l'autre, à la
traduction
|
|
F42 : faut, y'a bien la langue, parle avec
les gens, avec les Français (inaudible) pour
|
moi c'est ça l'intégration [...] bien
comprendre les autres [...] pouvoir convaincre
|
|
Avant cette intervention consciente de ma part qui consistait
à pointer du doigt ma problématique, aucune connexion
intégration = maitrise de la langue n'a été
souligné par mes
101
enquêtés. C'est seulement à ce moment que mes
enquêtés ont déclaré que la langue permettait
l'intégration en développant ce rapport comme une évidence
:
R46 : Oui, oui c'est important
|
|
R47 : Oh oui c'est important, y'a que
ça en France, la langue
|
|
H37 : c'est important, c'est très
très important eh oui
|
|
G40 : Oui, oui, apprendre à parler le
français c'est comme refaire sa porte[...]porte
|
pour le monde entier
|
|
K43 : Oui, pour moi oui [...] pour moi c'est
le plus important d'apprendre le français
|
|
Si je reviens en arrière23, les
réponses obtenues à la question de la définition de leur
représentation de l'intégration n'indiquaient pas la langue comme
facteur d'intégration. Ce retournement de situation était
prévisible, je me doutais qu'en guidant les enquêtés vers
ce que je souhaitais faire ressortir, ils iraient dans ce sens et c'est pour
cette raison que je ne l'ai pas fait au début, en effet en aucun cas,
mes questions visaient de manière explicite à induire ces
réponses. J'aimerais faire ressortir ici les effets de raison
impulsée par une représentation prégnante telle que la
maitrise de la langue du pays d'immigration = une intégration
réussie. En effet, j'ai pu voir que l'existence de cette
représentation dans mon discours a conditionné leur
représentation sur l'intégration. Ainsi, je pense qu'a
l'échelle du pays d'immigration, l'existence de cette
représentation conditionne l'existence de la réalité sur
l'intégration.
Mon but ici n'est pas de dire que la langue ne facilite pas
l'intégration, bien au contraire, cependant, il me parait important de
rééquilibrer la question de l'intégration des personnes
immigrant en France. Trop souvent la langue constitue un facteur décisif
au sein des débats publics contemporains, et des enjeux liés
à sa maitrise et à son emploi y sont associés (Hambye
& Romainville, 2015). Par ailleurs, il devient normal aujourd'hui
d'admettre que des facteurs liés aux pratiques linguistiques des
migrants jouent un rôle dans les difficultés que rencontrent ces
populations pour s'intégrer (Ibid.) parfois même chez les
populations concernées elles-mêmes :
K43 : je sais pas si moi est-ce que je
suis intégrée ou non parce que je parle pas bien
[...] pour moi c'est le plus important d'apprendre le
français
23Cf. III-1 Définir
l'intégration
1.1- Représentations des enquêtés :
l'intégration perçue comme une démarche sociale
102
Le paradoxe dans tout ce revirement de situation réside
dans le fait que certains de mes enquêtés ont
déclaré plus tôt dans l'entretien ne pas parler le
français ou ne pas parler bien le français24 et se
sentir tout de même intégrés plus tard pour des raisons
diverses n'incluant pas la langue 25. A ce stade de l'entretien, la
langue devient le principal facteur d'intégration et même les
enquêtés qui avaient déclaré de manière plus
affirmée se sentir intégrés (R46 et
R47) mais ne pas bien parler le français : «
non, je suis pas top [...] j'aimerais bien parler le français »
(R47), « je ne sais pas parler en
français » (R46), y trouvent désormais
une logique au rapport intégration = langue et ne jurent que par le
facteur langue :
R47 : oh oui, c'est important, y'a que
ça en France la langue [...] c'est pas grave moi je dis le
travail [...] mais pour parler, il faut qu'on parle français
R46 : Oui oui, c'est important [...] je
pense que la langue, à mon avis que la langue
Ces positions révèlent également des
attitudes impliquant une certaine culpabilité qui me renvoie à un
schéma où les acteurs qui décident de leur
intégration par la langue (la France et les français) seraient en
position de supériorité en tant que « dominants » et
les immigrés seraient les « dominés » (Pallida, et
al., 2011 : 66). Des attitudes que j'ai pu relever en leur demandant ce
qu'ils avaient fait pour bien s'intégrer en France, s'il était
facile de s'y intégrer, si le français était une
priorité et si R47 après 20 ans en France, se
sentait française :
R47 : je fais très
attention [...] je parle avec eux gentiment [...] mais y'en a qui
parlent quelque chose avec moi, je leur explique, je dis voilà je
suis là c'est vrai je suis étranger mais je veux vivre
là et j'ai le droit de vivre là » [...] je peux
parler, je suis comme une française en France
R46 : ici, oui c'est facile [...] parce que
les gens ici ne sont pas méchants, il est très gentil [...]
qu'est-ce que tu vas faire dans un pays et que tu ne sais pas parler avec la
langue
24 Cf. I-2 Les langues en usage et leurs
contextes d'utilisation 1.3 Le français : une langue
d'usage inconsciente
25 Cf. III-2 L'association langue et
intégration : une évidence ?
1.1- Le sentiment d'intégration de mes
enquêtés : des déclarations mitigées et axées
sur l'autre
103
En effet, comment un tel discours : « je suis
étranger mais je veux vivre là et j'ai le droit
de vivre là » (R47) peut ne
pas révéler une hiérarchie considérant que
« L'immigré, c'est avant tout l'étranger qui vient
s'installer « chez nous » (Laacher, 2005 : 22).
Si ces discours prêtent à confusion et
amène les enquêtés à ne pas reconnaitre leur
pratique du français comme légitime et à légitimer
l'apprentissage du français comme facteur premier à une
intégration réussie, il m'apparait alors qu'ils adhèrent
à la représentation de « la langue comme entité
circonscrite, figée, préservée de la mouvance, de la
pluralité, de la rencontre » (Bretegnier & Ledegen, 2002 :
13). Je pourrais même faire un parallèle entre ce
procédé méthodologique d'induction de la réponse et
le procédé de transmission des représentations, en effet
il m'est difficile de sous-estimer la force d'attaque des
représentations sociales en général sur un individu car :
« Elles ont en elles une sorte de force,
d'ascendant moral en vertu duquel elles s'imposent aux
esprits particuliers » (Durkheim, 1968 : 625), on en est
tous imprégnés et elles régissent notre relation au monde
et aux autres (Jodelet, 1994) tout comme la force de la représentation
suivante : intégration = langue, que j'ai pu transmettre à mes
enquêtés en les guidant.
En termes de didactique du FLE/FLS, il est pertinent de se
confronter à cette problématique de l'intégration par la
langue et d'en observer les effets sur des locuteurs en apprentissage. En proie
à la confusion et aux doutes, l'apprenant d'une langue
étrangère se construit de par et avec la langue, il parait alors
important en tant qu'enseignants de veiller à accompagner et orienter
cette construction vers le désir de la langue apprise et non vers
l'obligation. Un désir qui n'exige pas de l'apprenant d'abandonner son
passé, ses langues et son identité, qui constituent des richesses
à qui veut bien le voir. Aussi, j'aimerais préciser que le bagage
linguistique et identitaire d'origine des apprenants ne l'empêchera pas
d'avancer dans son processus d'apprentissage et d'intégration, en effet,
les langues et identités d'origine et actuelle peuvent cohabiter.
J'aimerais avant de conclure mon travail de mémoire
effectuer une critique soulignant une des failles de mon approche
méthodologique. En ce qui concerne les représentations de mes
enquêtés sur la question de l'intégration, il m'a
été difficile de traiter les réponses obtenues de la
même manière. J'ai pu aborder de manière isolée, les
difficultés de compréhension de M30 et de
A34 26 sur la question de l'intégration et
évoquer les raisons
26 Cf. III-1 Définir
l'intégration
1.2- Difficultés de compréhension pour les
niveaux débutants : les cas de M30 et A341.1
104
éventuelles de ces difficultés. En termes de
méthodologie, il a fallut que je m'adapte. Je ne voulais absolument pas
diriger les réponses de mes enquêtés mais je devais
rebondir vite dans cette situation car comme je l'ai expliqué,
l'entretien se serait achevé à ce moment sans que je ne puisse
obtenir plus d'éléments de réponse sur ma
problématique. La seule solution que j'ai estimé être
appropriée à ce moment et qui me soit venue était de leur
expliquer avec mes mots, ma représentation, ce que j'entendais par
intégration en m'adaptant à leur niveau : prononciation lente et
articulation distincte des vocables, répétition du lexique
important « en France », «
intégrer » et utilisation d'un lexique simple et familier
: « demander », « faire des choses », « bien
», « les autres ». Les réponses obtenues n'ont
certes pas respecté ma démarche méthodologique de
départ mais je les ai quand même prises en compte en les
distinguant des autres. L'avantage d'avoir rencontré ces
difficultés au départ a été de pouvoir mener une
réflexion à ce sujet et d'améliorer les entretiens qui
suivirent en les orientant dans une démarche plus flexible. J'aurais
dû en effet prévoir lors de la réalisation de mon guide
d'entretien ce genre de barrière et prévoir des approches
différentes pour les enquêtés d'un niveau plus faible en
français (traduction de la notion dans leur langue primaire de
socialisation, synonymes moins abstraits, etc.). Ces entretiens m'ont aussi
permis d'approcher ce que peut représenter une classe de langue avec des
apprenants aux niveaux hétérogènes et de pouvoir
réfléchir à des solutions de différenciation
pédagogique. Enfin, ces situations me rappellent, qu'être
enseignant de FLE/FLS c'est aussi influencer l'apprenant dans son parcours
d'apprentissage du français et lui transmettre des
représentations (sur la langue, la culture, etc.) qui le guideront au
quotidien. Répondre de manière spontanée à un
apprenant peut être délicat sur des questions telles
l'intégration car elles impliquent l'individu dans un positionnement qui
ne peut pas rester neutre. Cet évènement m'a confronté
à la difficulté de pouvoir transmettre la « bonne
réponse » à mes apprenants et à la
responsabilité que celle-ci implique. J'ai fini par réaliser que
toutes ces interrogations qui régissent mon rapport à l'autre,
que ce soit en didactique du FLE/FLS ou vis-à-vis de la question de
l'intégration, relèvent de mon entente face à la norme
mais est-il seulement possible de s'en détacher ? si oui, quels sont les
conséquences derrière ?
105
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