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Le rôle que joue l'apprentissage du français dans le processus d'intégration des migrants en structures associatives

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par Shazia Nazir
Université d'Avignon - Master didactique du FLE/FLS et éducation interculturelle 2017
  

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CHAPITRE I : LANGUE(S) ET DIDACTIQUE

Ce chapitre a pour but d'introduire et d'éclairer mon travail de recherche autour des notions de langue(s) et de didactique. Dans un premier temps, je ferai un rappel des notions relatives aux publics d'apprenants essentiellement présents au sein des structures associatives françaises et j'évoquerai la nécessité de s'adapter à son public tout en prenant du recul face aux catégories que j'aborderai (I-1). Dans un second temps, je m'attacherai à aborder la langue/les langues en tant qu'objet d'étude afin de souligner la difficulté éprouvée en tant qu'enseignant de langue à se situer en termes d'approche didactique (I-2).

I-1 Enseigner le français : une nécessaire adaptation 1.1 Catégoriser le français pour mieux cerner son public

Je souhaite commencer tout d'abord par préciser les sigles et catégories suivantes : FLM, FLE, FLS, Illettrisme et Alpha, car j'estime que ces informations sont nécessaires si l'on traite de la formation linguistique au sein des structures associatives françaises et plus précisément de celle où j'ai effectué mon recueil de données, car les publics présents ont des profils hétérogènes. Souvent ces profils d'apprenants se retrouvent au sein d'une même classe, par manque de moyens (financiers, matériels, humains, etc.) des structures. Ce qui soulève la difficulté, mais également la nécessité d'identifier pour le formateur, cette diversité de profils d'apprenants et de pouvoir les gérer simultanément, dans l'idéal.

Ces appellations établissent des parcours d'apprentissage du français distincts les uns par rapport aux autres et sont principalement abordées d'un point de vue méthodologique : « c'est-à-dire au regard des contenus, des méthodes et des fonctions d'enseignement qui les rapprochent et/ou les éloignent les unes des autres » (Goï & Huver, 2012 : 25). Cette démarche de catégorisation du français soulève des besoins d'apprentissage hétérogènes que le formateur se devrait de prendre en compte en théorie, cependant les catégories suivantes :

« ne peuvent pas être considérées comme des catégories exclusivement objectives
[...] mais doivent être aussi vues comme subjectivement construites »
(Ibid. : 25).

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En effet, il ne s'agit pas de placer les apprenants dans des cases aux frontières établies et rigides mais plutôt de se représenter l'apprentissage du français sous la perspective d'un continuum en FLE/FLS/FLM (Auger, 2010 : 73) où l'apprenant serait libre d'évoluer à son rythme.

Je précise que j'orienterai essentiellement mes explications pour la formation linguistique d'adultes migrants car il s'agit du public ciblé par ce mémoire. Par ailleurs, j'aimerais préciser en amont que la particularité des apprenants de mon étude réside dans le fait qu'ils apprennent la langue du pays d'immigration en situation d'immersion linguistique, ainsi « ils apprennent en milieu guidé, c'est-à-dire pendant les cours de langue, mais également en milieu social, c'est-à-dire « sur le tas » (Adami, 2012 : 20). Tout l'intérêt de cet apprentissage est ainsi de faire sens sur le quotidien de l'apprenant car ce n'est pas l'utilité de la langue qui est ici recherchée mais plutôt l'utilité de son apprentissage qui a: « une portée directe sur la vie quotidienne et les problèmes de motivation » (Ibid. : 20). La pertinence du travail de l'enseignant est ainsi immédiatement vérifiable en dehors du cours et l'apprenant peut juger de son utilité effective et c'est ce paramètre qui différencie ces apprenants des publics FLE traditionnels (Ibid. : 20).

Désormais, je vais brièvement entrer dans le détail de ces catégories en mettant en avant les profils d'apprenants suggérés par ces dernières, le but étant d'avoir un premier aperçu des profils d'enquêtés constituant mon corpus.

1.2 FLM/FLE/FLS

Cette relative distinction se doit d'être explicitée car face à la diversité des sigles existants visant à encadrer les pratiques d'enseignement/apprentissage du français, il nécessaire d'y voir plus clair et de cibler ceux qui me seront utiles pour la bonne compréhension de cette étude.

Premièrement, il est important de rappeler que je ne peux considérer que le français est la langue maternelle (FLM) ou l'une des langue(s) primaire(s) de socialisation2 de tous les apprenants de français et ainsi je ne peux me permettre de l'enseigner tel quel. Une réflexion didactique autour de l'enseignement du français a donné lieu aux catégories ci-dessous.

2 Cette lexie a été empruntée à Luc Biichlé dans Langues et parcours d'intégration d'immigrés maghrébins en France, 2007 : 21, et sera utilisé dans cette étude pour les mêmes raisons qu'il évoque : la lexie « langue maternelle » pose problème car elle renvoie à la langue de la mère et écarte ainsi celle(s) du père ou d'autres proches ayant pu transmettre des langues dans l'entourage de mes enquêtés.

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Le FLE prend en compte l'enseignement/apprentissage du français, en France ou à l'étranger, à un public dont la langue primaire de socialisation n'est pas le français. Les dispositifs de formation accueillent bien souvent des publics mixtes : migrants, Français analphabètes ou scolarisés, illettrés français ou francophones, primo arrivants, immigrés installés depuis une longue date, immigrés de seconde génération, etc. A cette diversité des profils d'apprenants s'ajoute une diversité sur la provenance géographique des migrants qui sont souvent de langues et de cultures éloignées du français et du modèle socioculturel français ce qui influence leur rapport au travail, à l'école et au savoir (Archibald & Chiss, 2007 : 273-277). D'autre part les niveaux de scolarisation et de qualifications sont très différents, il y a divers profils au sein d'une même classe ce qui rend les frontières voulues entre les groupes en formation rapidement floues (Ibid. : 274-275).

Le FLS quant à lui a des acceptions larges selon l'auteur qui le définit et le pays concerné car il s'agit d'un concept lié aux notions de langue et de français et que sur « chacune des aires où il trouve son application, c'est une langue de nature étrangère » (Cuq, 1991 : 139). Il concerne un domaine d'enseignement du français « inscrit dans les pratiques depuis la fin du XIX° siècle, concernant les publics ruraux allophones et les publics scolaires des pays colonisés, mais dénommés comme tel depuis 1969 » (Hamez, 2014 : 1).3 Il s'agit de l'enseignement du français à des personnes dont la langue première de socialisation n'est pas le français mais qui vivent dans une région ou un pays francophone. Le FLS est une « langue non maternelle qui, dans le pays considéré, a un statut particulier » et représente une « langue d'enseignement » (Verdelhan-Bourgade, 2002 : 19). C'est le cas d'une grande partie du public qui compose mon corpus provenant majoritairement du Maroc où le français y est enseigné dans les écoles et est considérée comme une « langue de scolarisation » (Bigot de Préameneu, 2011 : 105). D'un point de vue didactique, le FLS se situe « entre la didactique du français langue étrangère (DFLE) et la didactique du français langue maternelle (DFLM) » (Ibid. : 105).

3 Tiré sur le site du CASNAV : http://ww2.ac-poitiers.fr/casnav/spip.php?article350, inspiré des travaux dirigés par Jean-Pierre Cuq dans le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde (2003) et dans Le français, langue seconde : origines d'une notion et implications didactiques (1991), consulté le 16/06/2017

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1.3 Illettrisme et alphabétisation

L'illettrisme concerne des personnes scolarisées en France (ou à l'étranger mais en français) n'ayant pas acquis une maîtrise suffisante de la communication écrite, parfois orale et les autres savoirs et compétences de base (Leclercq & Vicher, 2002). Ce public est constitué bien souvent de jeunes adultes ou d'adultes ayant connu l'échec scolaire et cumulant des difficultés diverses. Il se différencie de l'analphabétisme car il touche une population qui a fréquenté l'école. Les analphabètes et les illettrés ont cependant en commun d'être gravement gênés dans la vie quotidienne et/ou professionnelle (Bouyssière Catusse, Roques, et alii., 2011). En ce qui concerne le public alpha, il s'agit de personnes non ou peu scolarisées dans leur pays d'origine ou en France. Souvent âgé, ce public est constitué d'immigrés de la première génération débutants en lecture/écriture, ils sont parfois en France depuis plusieurs années (entre 10 et 25 ans), parlent et comprennent le français de manière approximative et proviennent majoritairement du Maghreb, d'Afrique de l'Ouest et de Turquie (Archibald & Chiss, 2007 : 276).

Je rappelle qu'il s'agit là de différences de concept au niveau didactique et non linguistique « Personne ne parle le français langue seconde, pas plus d'ailleurs que le français langue étrangère (FLE) ou le français langue maternelle (FLM) » (Cuq, 1995 : 2). Ces concepts m'amènent aux moyens nécessaires à mettre en oeuvre pour que des apprenants s'approprient au mieux le français. Dans la continuité de cette réflexion didactique autour du français, je vais maintenant amener à relativiser ces notions en abordant la notion de norme(s).

1.4 Des catégories à relativiser : une question de norme(s)

Aborder la question de l'enseignement du FLE/FLS auprès des publics dans les associations en France c'est comprendre qu'il est nécessaire en pratique, de prendre du recul face à l'ensemble de ces catégories. L'enseignement du français est en effet à relativiser car il n'existe pas de méthode d'enseignement idéale tout comme il n'existe pas de langue idéale ; chaque formateur, en fonction de sa conception de la langue aura ainsi une conception d'une norme linguistique qui lui sera propre et qui le guidera sur le terrain. Elle prendra bien sûr, différentes formes en fonctions des différentes normes existantes car « la conception de la norme linguistique se manifeste à tous les stades du système d'enseignement français, avec des conséquences formatives diverses » (Debono, 2011 : 89). Par ailleurs, j'observe que ces

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catégorisations ne peuvent pas prendre en compte la portée de l'appropriation qu'en fera le formateur et le sens qui lui donnera en pratique. D'autres facteurs relatifs au contexte d'enseignement/apprentissage sont bien sûr à ne pas négliger : objectifs de la structure et des formateurs, méthodologies mises en place, situation sociolinguistique, parcours personnels, académiques et professionnels des acteurs, etc. (Goï & Huver, 2012 : 26).

Les enseignants ont comme fil conducteur une même langue (le français) sujette à différentes façons de l'enseigner en fonction de la norme qu'ils appliquent, du standard, ou du modèle qu'ils poursuivent :

« On parle, on apprend, on acquiert un idiome qui a pour nom français, pluriel dans ses variations observables, bien qu'il soit fortement unifié par une norme écrite à tendance centralisatrice » (Cuq, 2013 : 2).

En ce qui concerne le français et comme dans beaucoup d'autres langues, la norme qui prédomine pour guider l'oral est bien souvent écrite et se réfère à sa grammaire : « Nul n'est censé ignorer la loi linguistique qui a son corps de juristes, les grammairiens » (Bourdieu, 2001 : 71). J'ai été confrontée au poids de cette norme dans les énoncés de mes enquêtés qui l'ont évoqué comme étant une barrière vis-à-vis de leur intégration. Ces données me donneront ainsi des clés pour mieux comprendre les représentations de mes enquêtés quant à leur intégration en France et leur rapport à la langue. Je remarque en outre, le fait que cette norme linguistique prescrite a un pouvoir restrictif sur la parole, particulièrement pour les personnes en situation de migration qui parlent parfois d'autres variétés de français non reconnues : « un regard réflexif sur les contenus de cette grammaire révèle son caractère répressif à l'égard de la diversité et de l'élasticité des usages effectifs du français en France et hors de France » (Ibid. :71). C'est le cas de mes enquêtés qui ont appris le français au Maroc.

J'ai pu montrer qu'il existe des sigles dont l'intérêt de les connaître pour l'enseignant est de mieux répondre aux besoins des apprenants par la prise en compte des spécificités de chaque public. Cette réflexion autour de la didactique du français me permet de mieux orienter mes pratiques sur le terrain. Cependant, la complexité et la diversité des terrains d'intervention ne laissent pas souvent de place à l'application de ces directives. Il reste néanmoins utile pour mon étude d'approcher ces notions car je serai amenée à les reprendre. Comme je l'ai brièvement évoqué, ces catégories relèvent de la conception d'une/des normes qu'un locuteur se fait du français et de ce qui entoure son enseignement.

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Je peux d'ores et déjà entrevoir l'enjeu de ma problématique et voir le lien effectué entre l'apprentissage du français et l'intégration. En effet, il s'agit pour ces espaces de formation linguistique d'offrir aux apprenants une formation linguistique rapide et fonctionnelle, faisant office de tremplin vers l'intégration à la société, ainsi apprendre le français aurait pour ces apprenants un double objectif : celui de l'intégration au sein de la classe et plus largement à celle de la société (Chnane-Davin & Cuq, 2009 : 76) :

« les aspects fonctionnels et la nécessité d'une certaine rapidité dans la formation se rejoignent dans la poursuite d'un objectif spécifique, celui d'une double intégration : à un groupe restreint (classe, groupe professionnel) et à un groupe plus large (communauté scolaire, socialisation dans un environnement francophone) » (Ibid. : 76)

Enfin, j'ai pu observer que des normes régissent la façon dont on conçoit la langue mais aussi de son enseignement. Je peux me demander en quoi ces normes relatives aux domaines de la didactique et de la linguistique se sont retrouvées mêlées à des considérations politiques et ont menées à l'idée que l'intégration à une société devait passer par la maîtrise de « la langue ».4 C'est pour cela qu'il est utile de prendre connaissance des normes présentes à différents niveaux : que ce soit en didactique comme je viens de le montrer, au niveau institutionnel ou au sein de la recherche scientifique comme je le montrerai plus bas afin de mieux comprendre les représentations de mes enquêtés sur leur rapport à l'intégration en France.

Je vais maintenant préciser dans la partie qui suit, ce que regroupe la notion de langue en m'appuyant sur des bases linguistiques et sociolinguistiques, toujours dans une volonté de préciser ma pensée pour cette étude mais aussi pour tenter de mieux comprendre les enjeux liés à l'enseignement et l'apprentissage du français.

4 La langue est ici évoquée au singulier par opposition à « langues ». Distinction que je préciserai dans la partie II/ LANGUE(S) ET POUVOIR

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I-2 Qu'est-ce qu'une langue/des langues ? 1.1 Distinguer langue et parole

Mieux appréhender la notion de langue permet de mieux diriger son enseignement et amène à mieux comprendre ce que l'on attend des apprenants en classe de langue. Cette partie vise à reprendre et à expliciter l'opposition langue/parole et à positionner ma démarche d'analyse des discours de mes enquêtés.

La pensée saussurienne effectue une opposition langue/parole : la langue est définie comme un système abstrait de signes qu'il est possible d'apprendre au sein d'une même communauté (De Saussure, 1916). La parole s'oppose à la langue et se définit comme l'usage effectif de la langue. La langue représente « le dispositif interprétatif partagé, présupposé par la parole individuelle » (Achard, 1993 : 4), elle joue un rôle majeur car elle est « nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s'établisse » (De Saussure, 1964 : 37). Je constate alors « une coupure entre langue et parole, entre le système et l'actualisation individuelle - et sociale - de ce système » (Turpin, 1995 : 3). Si j'ai choisi d'aborder brièvement cette conception de la langue, ce n'est pas parce que je cautionne cette approche mais plutôt parce qu'elle constitue encore aujourd'hui une représentation prégnante de ce que doit être la langue et de comment elle doit être enseignée. J'aborderai plus en détail, dans mon analyse, les conséquences d'une telle représentation sur l'apprentissage d'une langue mais aussi sur le processus d'intégration des migrants en situation d'apprentissage.

En ce qui concerne ce mémoire, c'est sur une perspective de la parole de l'apprenant en situation de communication ou de « discours » pour « l'usage effectif de la parole, acte de langage et non simple actualisation de la langue » (Achard, 1993) que mon étude portera soulevant ainsi le fait qu'il ne suffit pas de connaître une langue, il faut aussi connaître celle-ci au sein de son contexte social, c'est ce qu'on appelle la « compétence de communication » qui se définit comme « la connaissance des règles psychologiques, culturelles et sociales qui commandent l'utilisation de la parole dans un cadre social » (Hymes in Galisson, 1976 : 106). Une nouvelle façon de penser la langue et de l'envisager qui a eu un impact dans les méthodes d'enseignement/apprentissage dites communicatives en prônant l'idée que « pour communiquer, il ne suffit pas de connaître la langue, le système linguistique, il faut également savoir s'en servir en fonction du contexte social » (Hymes, 1974 : 34).

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En effet, communiquer ne se réduit pas à la maîtrise de certains éléments linguistique, il ne s'agit pas non plus du simple fait d'être capable de parler et de faire une phrase correcte, cela va bien au-delà, il s'agit de comprendre que parler ne relève pas d'une pratique individuelle mais sociale car :

« La compétence suffisante pour produire des phrases susceptibles d'être comprises peut-être tout à fait insuffisante pour produire des phrases susceptibles d'être écoutées... L'acceptabilité sociale ne se réduit pas à la seule grammaticalité » (Bourdieu, 1982 : 42).

Je vais dorénavant approcher l'idée que la langue en tant qu'objet d'étude a vu naître une séparation idéologique entre deux domaines de recherche interdépendants : la linguistique et la sociolinguistique. Sans m'écarter de ma problématique, je pense qu'il est important de rappeler que la langue reste un objet d'étude conflictuel pour mieux comprendre les conflits liés à l'intégration à l'échelle de la société et précisément à l'échelle de mes enquêtés.

1.2 Une divergence sur la conception de la langue

J'ai traité dans la partie précédente, de la conception saussurienne de la langue comme étant à la fois « un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires adoptées par le corps social pour permettre l'exercice de cette faculté chez les individus » (de Saussure, CLG : 25) et c'est ce qui m'a permis d'aborder la notion de langue selon une perspective bien définie : celle de la linguistique structurale.

Dans cette conjecture, il est « exclut du champ de la linguistique l'étude des « facteurs externes » influençant la langue, pour se concentrer sur la « linguistique interne » : l'étude de la langue comme système (Azeroual et al., 2016 : 255). Ainsi, la langue se réduirait à un système où les facteurs externes du contexte ne seraient pas pris en compte, on voit par là une perspective idéalisée où « l'étude des langues doit dégager les lois linguistiques qui gouvernent la langue » (Ibid.). On considère ainsi la langue comme un objet idéal qui exclut alors le locuteur et le contexte dans lequel il s'inscrit et se produit, ce qui selon moi ne peut être possible car : « Exclure le social de la langue, c'est exclure la relation entre la langue et qui la parle, c'est d'abord exclure la parole et son sujet » (Chudziñska, 1983 : 156). Pour mon étude, il m'est impensable de privilégier une approche décontextualisée des langues car elle efface la diversité des pratiques langagières existantes. Mes enquêtés parlent tous d'une façon

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différente, ils sont le reflet de la diversité des variétés de français présentes en France. Leurs propos étaient pourtant tous aussi compréhensibles et exploitables, alors adopter une position de réflexion sur le système langue seulement m'est inimaginable car ce serait « privilégier la logique interne d'un objet abstrait-langue, privilégier le produit, le système et la structure au détriment des conditions de production et d'utilisation de ce produit » (Ibid. : 156).

Cette conception saussurienne suggère une séparation dualiste entre la langue prise en compte d'une part comme un système et d'autre part considérée comme un fait social, ce qui soulève des critiques auprès des linguistes, amenant ainsi aux débuts d'une nouvelle discipline :

« la séparation entre la langue comme système et la langue comme fait social a été critiquée par certains linguistes. Le refus de laisser de côté les « facteurs externes « dans l'étude de la langue a donné naissance à la sociolinguistique » (Azeroual et al., 2016 : 255),

Cette discipline se présente comme « la structure et l'évolution du langage au sein du contexte social formé par la communauté linguistique » (Labov, 1978 : 258) et qui prend pour objet d'étude « les mêmes traits qu'en linguistique - phonologie, morphologie, syntaxe, lexique et sémantique - mais intègre aussi les facteurs sociaux expliquant l'état et les évolutions de la langue » (Azeroual et al., 2016 : 255). Sans pour autant renier les apports de la tradition saussurienne, j'aimerais me permettre de remettre en cause deux de ses postulats. D'une part l'idée que les faits linguistiques ne peuvent être compris « qu'à partir d'autres faits linguistiques (et qu'en particulier les changements linguistiques dépendent essentiellement de pressions et de caractéristiques internes à la structure de la langue) (Forquin, 1978 : 79) ; et d'autre part, le fait qu'un locuteur possède une intuition immédiate et complète de sa langue, de sorte qu' « il n'est pas nécessaire d'aller chercher dans le champ social des données linguistiques que chacun peut trouver en soi déjà toutes constituées et toutes prêtes pour l'analyse » (Ibid.).

Il pourrait alors paraître redondant, sauf stratégie disciplinaire existentielle, d'inclure le « socio » dans la lexie « sociolinguistique » tant l'étude de la langue ne peut, être envisagée sans une nécessaire prise en compte de tout son aspect social car : « Au sens strict, la sociolinguistique est la linguistique elle-même » (Forquin, 1978 : 79) mais cette lexie tient là tout son sens car elle permet d'inclure ce qui a été négligé : l'aspect essentiellement social de

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la langue. Ainsi, la sociolinguistique permettrait de prendre en compte « les variations en fonction des contextes (différences stylistiques) et en fonction des groupes sociaux (différences sociales) » (Ibid. : 79), ce qui expliquerait les différences de langage entre locuteurs. C'est cet aspect qui n'a pas été pris en compte par la linguistique, c'est à dire le fait que le système interne de la langue mais aussi l'aspect externe correspondant à son usage en pratique sont imbriqués en un seul et même système. Cette discipline témoigne ainsi des langues dans leur inévitable évolution, ce qui soulève tout l'aspect dynamique et vivant des langues et m'amène ainsi à mieux accepter l'autre et ses langues.

Toute cette réflexion autour des langues m'a poussé à orienter ma démarche vers un paradigme de recherche se positionnant du point de vue de l'individu qui parle et interagit avec d'autres personnes et qui favorise la diversité des usages car : « No two speakers have the same language, because no two speakers have the same experience of language 5(Hudson, 1980 : 11).

En conclusion de ce chapitre, j'ai pu établir un rappel des sigles permettant de catégoriser le français d'un point de vue didactique afin de permettre une meilleure lisibilité de ce travail, de me familiariser avec les publics composant mon corpus mais aussi j'ai pu observer des positionnements scientifiques autour de la notion de langue(s) et des divergences qui reflètent toute la complexité du rapport à la langue et de son encadrement tant au niveau didactique (pour les formateurs) qu'au niveau institutionnel (centres de formations, associations, etc.). Ainsi, je ne peux clairement définir ce qu'est une langue sans me heurter aux différentes conceptions des linguistes car au final il n'existe pas de langue unique mais des langues, je ne peux pas non plus donner une méthode d'enseignement idéale du FLE/FLS tant elle ne pourrait pas inclure toutes les spécificités d'un terrain, d'un formateur, d'un public, etc. Néanmoins j'ai pu donner une direction à cette étude en adoptant une position prenant en compte la diversité des usages linguistiques. J'adopterai alors pour mon analyse une position prenant en compte un ensemble d'éléments interdépendants que l'on pourrait qualifier « d'espace sociolinguistique » (Auzanneau et al., 2012 : 48) et considérant tout élément du contexte de production de la parole, qu'il soit sous-jacent ou manifeste, dans la mesure du possible :

5 Personne n'a la même langue/le même langage parce que personne n'a eu la même expérience de la langue/ du langage. Il y a ici ambiguïté du terme « language » qui signifie en anglais à la fois langue et langage.

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« des lieux géographiques et/ou socio-symboliques, des situations de communication, des réseaux, des activités et des types de relations interpersonnelles, ainsi que des variétés, langues ou usages, et traits disponibles comme ressources, et les relie dans une non dualité, et qui d'autre part, implique toujours qu'un espace donné soit relié à d'autres espaces sociolinguistiques, proches ou distants, potentiels, latents ou manifestés » (Auzanneau et al., 2012 : 49).

Désormais, je vais aborder la question de la langue en tant qu'enjeu de pouvoir qui dépasse la sphère de recherche en sciences humaines et touche à notre quotidien et à ceux des apprenants. Comme le suggère ma problématique, il n'est pas anodin que l'apprentissage du FLE/FLS au sein des structures associatives rejoigne une visée intégrationnelle car elle représente un puissant outil de construction identitaire, culturelle mais aussi et surtout politique : « Le contenu symbolique des langues correspond à leur pouvoir identitaire, c'est à dire au reflet qu'elles offrent des nations les plus variées (Hagège, 2003)6. Cependant, cet outil politique qui permet à un individu de se construire une identité, d'intégrer des groupes, etc. l'amène aussi à se déconstruire et à l'écarter d'autres individus car la langue, en tant qu'enjeu de pouvoir « peut être générateur de conflit » (Ibid.). Ce sont ces éléments qui me permettent d'introduire la partie qui suit.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry