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Le rôle que joue l'apprentissage du français dans le processus d'intégration des migrants en structures associatives

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par Shazia Nazir
Université d'Avignon - Master didactique du FLE/FLS et éducation interculturelle 2017
  

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II-2 Parler français : entre contournement et/ou affrontement de la norme

1.1 Une représentation erronée des pratiques langagières des apprenants

Dans les parties précédentes, j'ai pu montrer les effets négatifs du poids de la norme linguistique sur les représentations de mes enquêtés vis-à-vis d'eux même, mais aussi celles de leurs interlocuteurs vis-à-vis de mes enquêtés. Pourtant, si je prends en compte les profils sociolinguistiques de ces personnes (cf. ci-dessous) je peux démontrer que le problème n'est pas que linguistique car ces personnes sont en capacité de communiquer de manière indépendante et cohérente (cf. analyse plus bas) :

21 Personne n'a la même langue/le même langage parce que personne n'a eu la même expérience de la langue/ du langage.

80

CRITERES
D'ANALYSE

 

ENQUÊTÉS

R46

F42

G40

H50

R47

Temps passé

en France

1 an

11ans

6 ans

2 ans

26 ans

Niveau de

français (CECRL)

B1

B1

B1

B1

B1

Statut

Sans papiers

Nationalité française

Carte de

séjour

Demandeur d'asile

Nationalité Française

Exposition au français

-Primaire et

collège

-Depuis janvier 2017 à l'OGA

-Primaire et

collège

-Depuis 2016 dans

plusieurs associations

-Collège -Depuis janvier

2017 à
l'OGA

- Depuis l'âge

de 3 ans : école et famille -Depuis janvier

2017 en
associations

-Primaire

-Stages intensifs de français -Depuis 2016 en associations

Ce tableau reprend des éléments qui m'ont semblé pertinent de soulever car ils témoignent de la relation entre mes enquêtés, la France (la reconnaissance officielle de leur statut) et leur niveau de français. Ainsi je constate qu'à l'exception de R46 et de H50 toutes ont passées entre 6 et 26 ans de temps en France. Pour le cas de H50, c'est différent, car bien qu'elle soit arrivée seulement depuis 2 ans en France, elle a été exposée au français depuis ses 3 ans, à l'école et auprès de sa famille car le français fait partie du paysage sociolinguistique du Liban, elle est là-bas une langue présente dans la culture, l'enseignement et dans les interactions quotidiennes. Bien que la durée de présence passée dans le pays d'immigration ne détermine pas le niveau de français des apprenants car, il semble que : « plus que le temps passé en pays d'immigration, ce soit la « quantité » d'exposition à la langue de celui-ci qui favorise l'apprentissage » (Biichlé, 2007 : 287), il m'a semblé pertinent d'évoquer ce critère car il permet d'observer et de se questionner sur le fait qu'une enquêtée ayant passé 26 ans en France se retrouve dans la même situation de difficulté au quotidien avec sa pratique du français qu'une enquêtée arrivée il y a 1 an. Ce critère de durée permet également de comprendre la durée d'exposition de mes enquêtés dans la culture française et ses codes notamment auprès des administrations.

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Le deuxième critère est l'exposition au français de mes enquêtés : ils ont été exposés au français pour l'ensemble depuis le primaire et suivent des cours de FLE/FLS en associations depuis leur arrivée en France. Il semble donc que mes enquêtés soient donc sensibilisés un minimum à la langue française et à sa culture.

Enfin, j'aimerais exposer des arguments prenant en compte une évaluation extérieure de leur niveau de français : mes enquêtés ont tous été estimés de niveau B1 du CECRL par l'association OGA qui offre une formation linguistique en français et dans laquelle ils prennent des cours depuis 1 an au moins. Ce niveau correspond à un niveau seuil pour un visiteur en pays étranger et stipule que l'utilisateur est indépendant dans ses interactions, il possède : « la capacité à poursuivre une interaction et à obtenir ce que l'on veut dans des situations différentes [...] la capacité de faire face habilement aux problèmes de la vie quotidienne » (CECRL, 2001 : 32). Également, je relève que la compréhension des locuteurs de niveau B1 dépend de la pratique de l'interlocuteur ; je remarque ainsi que ce texte stipule que l'interlocuteur est censé utiliser un langage clair et standard :

« Peut comprendre les points essentiels quand un langage clair et standard est utilisé [...] Peut produire un discours simple et cohérent [...] décrire un espoir ou un but et exposer brièvement des raisons ou explications pour un projet ou une idée (CECRL, 2001 : 25)

Ces propos me laissent supposer que les personnes ayant interagi avec mes enquêtés ne parlent peut-être pas un français standard. C'est ce qui m'amène à insister sur la présence d'un phénomène diglossique en France entre un français standard et un français qui l'est moins, correspondant à celui que l'on retrouve dans les administrations et autres instances où norme et autorité se côtoient.

Un dernier critère officiel que j'aimerais traiter est le statut de mes enquêtés. L'ensemble des enquêtés ci-dessus, à l'exception de R46, dispose d'un titre officiel de séjour en France : carte nationale d'identité française, carte de séjour et exceptionnellement une enquêtée ayant le statut de demandeur d'asile. En ce qui concerne R46, l'obtention de la carte de séjour est soumis : « à la connaissance de la langue française dans le cadre de la signature du contrat d'intégration républicaine (CIR) » (Ministère de l'Intérieur, 2016). De plus, ce titre est soumis à des formations linguistiques entre 50 et 200 heures afin de progresser vers le niveau A1 où le locuteur « Peut communiquer de façon simple si l'interlocuteur parle lentement et distinctement et se montre coopératif » (CECRL, 2001 : 25).

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En ce qui concerne l'acquisition de la carte nationale d'identité française, mes 2 enquêtés l'ayant obtenu ont dû justifier d'un niveau de connaissance du français correspondant au B1 :

« Le niveau requis est le niveau B1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CERL). Il correspond au niveau d'un élève en fin de scolarité obligatoire apte à écouter, prendre part à une conversation et à s'exprimer oralement en continu.Il s'agit de maîtriser le langage nécessaire à la vie quotidienne et aux situations de la vie courante » (Direction de l'information légale et administrative (Premier ministre), 2017).

Ainsi, que ce soit en centres de formations linguistique, auprès d'institutions officielles ou par mes propres observations sur le terrain, le niveau B1 a été retenu. Tous ces arguments et faits me poussent à chercher ailleurs que sur le simple plan linguistique pour répondre à la question de l'intégration. En effet, j'ai estimé que leur niveau est suffisant pour communiquer au quotidien mais je ne suis pas la seule personne, puisque les organismes de référence en matière de formation en français l'ont aussi notifié et parfois les interlocuteurs sur le terrain de mes enquêtés eux-mêmes le confirme :

R46 : excusez-moi je ne sais pas parler bien le français », elle m'a dit « non tu sais bien, tu sais parler » et je me suis dit dans ma tête « pourquoi elle m'a dit « tu sais bien parler le français » et moi je sais pas parler beaucoup » [...J les français ils me disent non tu parles bien

H37 : y'a des gens quand on parle avec quelqu'un, ils nous aide de parler, à parler [...J c'est-à-dire à chaque fois je rencontre des personnes qui m'aident, même tu fais des fautes, continue à parler

Je me demande alors d'où proviennent les barrières auxquelles sont confrontés mes enquêtés si elles ne sont pas d'ordre linguistique? Il est étonnant de constater que la langue reste avant tout pour certains de mes enquêtés un modèle d'usage presque inaccessible et c'est précisément cette relation fermée entre la langue et la norme qui limite les possibilités des pratiques autres. De plus, cette relation offre une logique et une légitimité à la doxa suivante : maitrise de la langue = intégration, une représentation sur l'intégration qui sera traitée dans la dernière partie de mon analyse car elle amène aux interrogations paradoxales suivantes :

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comment est-il possible de se sentir intégré si on ne maitrise pas la langue du pays et comment est-il possible de maitriser la langue si on n'est pas intégré ?

Je tenterai d'approfondir cette réflexion au fur et à mesure de mon analyse, mais tout d'abord, je vais m'intéresser aux stratégies de contournement adoptées par mes enquêtés, qui participent à fuir la pression de la norme linguistique et représentent l'une des conséquences de l'insécurité linguistique.

1.2 Des stratégies de contournement et/ou d'affrontement de la norme linguistique

J'ai pu traiter des difficultés de mes enquêtés à réaliser que leur pratique du français est suffisante pour interagir avec leur interlocuteur, dorénavant, je voudrais démontrer en pratique, les stratégies qu'ils utilisent pour contourner, éviter ou affronter cette norme linguistique.

Comme j'ai pu le démontrer, c'est principalement le sentiment d'insécurité linguistique que ressentent mes enquêtés, qui a pour conséquence, de bloquer et d'empêcher ces locuteurs d'assumer l'existence de leurs pratiques et de définir leurs usages comme étant du français aussi, une langue existante. Ces blocages linguistiques ne sont pas anodins car ces personnes « peuvent souffrir de leur incapacité à contrôler le bon code dans les bonnes circonstances» (Prudent, 1981 : 22). C'est ce qui les pousse en quelque sorte à continuer de parler exclusivement arabe ou en substituant le français par l'arabe lorsqu'ils se sentent bloqués car ils se sentent plus à l'aise :

K43 : je préfère arabe parce que je suis à l'aisemais j'aimerais bien apprendre le français [...] des fois je me mets devant quelqu'un, j'arrive pas à parler [...] les enfants, ils parlent avec moi le français, parce que moi j'ai pas l'habitude de parler le français, c'est dur

H50 : je commence de parler en français mais lorsqu'on réfléchit par les mots qui manquent, j'arrête et je recommence par l'arabe

H37 : avec les enfants, j'aimerais bien parler correctement avec eux le français mais quelque fois je trouve pas les mots de discuter, comme on dit c'est pour ça que je mélange arabe et français

Les stratégies d'évitement sont très fréquentes dans les situations où le français qui doit être utilisé doit être formel, concis et où les enjeux pour les apprenants sont décisifs car

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ils concernent des difficultés et des besoins personnels importants dans leur quotidien : rendez-vous dans une administration, écriture d'une lettre, recours juridique, etc. :

R47: pour les banques [...]je veux pas tomber dans quelques pièges[...] comme ça on peut expliquer si par exemple je veux aller à la CAF

G40 : apprendre à se défendre dans la partie juridique [...] pour pas être dépendant des avocats [...] j'ai commencé à apprendre le français à côté du code juridique français et le code juridique brésilien

F42 : quand je veux faire le rendez-vous par téléphone

Leur solution est essentiellement, de contourner leur difficulté linguistique en faisant appel à une personne tierce pour les aider, un comportement qui peut résulter d'une grande insécurité linguistique et se manifester par l'usage de stratégies d'évitement (Goffman, 1974 : 20-24) :

A34 : j'ai besoin quelque chose comme ça et je vais prendre un ami

R46 : j'ai une amie [...] elle m'a accompagné chez la maison des associations

R47 : si je suis en difficulté, je vais chez Maria (assistante sociale) pour m'expliquer [...] ma belle-soeur elle vient avec moi 2

Dans certains cas, la difficulté linguistique et culturelle est tellement grande à surmonter que les solutions résident dans l'isolement de ces locuteurs : « L'une des façons d'éviter la difficulté consiste en un repli identitaire (voire un isolement social) qui évite le contact interculturel » (Blanchet, 2007 : 25) ou le mutisme, un signe caractéristique de l'insécurité linguistique (Gadet, 2003) :

K43 : je dis pas qu'est-ce que je veux dire mais je comprends ce qu'il me dit les gens [...] je me mets devant quelqu'un, j'arrive pas à parler

R46 : moi je reste toute seule [...] ils ne sortent pas (les mots) oui mais je comprends

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Dans certains cas, mes enquêtés affrontent/contournent les difficultés linguistiques en comptant sur eux-mêmes et des solutions à leur portée, telles que des applications mobiles de guidage et d'apprentissage de la langue, un déplacement directement à l'endroit du rendezvous pour éviter l'appel téléphonique qui représente une source d'angoisse pour un locuteur en difficulté linguistique, etc. :

H50 : jusqu'à maintenant, je compte sur moi, sur les applications pour les voies et les transports et c'est très bien jusqu'à maintenant

F42 : je préfère aller chez le lieu [...] parce que quand je veux expliquer quelque chose au téléphone pour moi c'est trop difficile

G40 : je faisais des traductions français/brésiliens [...] il y a un site « babbel », tu peux apprendre bien à parler le français

Ces éléments m'éclairent sur des besoins d'apprentissage en français et des pistes didactiques orientées essentiellement sur des situations authentiques : rendez-vous au téléphone/dans un administration, se repérer sur une carte/un plan, etc. Elles m'incitent également à prendre en compte le désir de mes apprenants à autonomiser leur apprentissage que je considère comme un pas vers l'autonomie langagière (Germain & Netten, 2004 : 58).

Ces stratégies d'évitement/de confrontation de la norme linguistique sont des choix stimulés par leur environnement, principalement par la composition de leur réseau social proche : « la plupart du temps, c'est le réseau social des personnes qui est pourvoyeur des contextes » (Biichlé, 2017). En effet, G40 et H50 ne sont pas mariées, G40 n'a pas d'enfants, elles dépendent financièrement d'elles-mêmes, ce qui les pousse à être autonomes et entreprenantes au quotidien :

« Qu'est-ce qui vous a permis d'avancer ? »

G40 : je m'expose [...] je donne plus de moi [...] je travaille, travaille, travaille [...] La force, le courage, la bienveillance [...] pendant du conflit ou j'ai été, je voyais que j'étais toute seule au milieu de vautours

H50 : ma personnalité est très forte, c'est la confiance [...] il faut compter sur soi-même [...] travailler bénévole avec argent, sans argent, il faut, c'est-à-dire entrer dans la société de plus en plus bien

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En termes de didactique, on retrouve les stratégies que je viens d'énoncer appliquées au sein de la société également au sein de la classe de cours. En effet, le locuteur migrant adopte aussi ce type de comportement en classe de langue car les difficultés vécues en société sont similaires à celles que ressent l'apprenant en société, la pression normative y étant toute aussi présente :

« un apprenant qui ignore certains mots ou constructions, ou qui n'est pas sûr de leur emploi, les évite et a recours à des périphrases, change de thème ou même cherche à éviter les situations où il pourrait être contraint à les utiliser »

(Klein 1989 : 31).

Il arrive également, à un certain stade d'apprentissage, que le locuteur ayant immigré en France depuis un certain temps (ou pas), s'arrête d'apprendre à un stade élémentaire car il estime avoir atteint ses objectifs en termes de communication avec les autres et que cela lui suffise quotidiennement, ses besoins langagiers sont satisfaits (Robert, 1984 : 40-42). Je n'écarte pas cette possibilité pour mes enquêtés. En effet, c'est peut être pour cette raison que mes enquêtés se retrouvent dans une situation d'insécurité linguistique et identitaire : dans un certain contexte ils se sentiront à l'aise car leurs besoins communicatifs seront satisfaits mais dès lors qu'ils se confronteront à un autre contexte, ces sentiment ressortiront.

J'aimerais désormais soulever le coeur de ma problématique en traitant dans les parties suivantes, du rôle joué par le français dans le processus d'intégration de mes enquêtés tout en orientant mon étude vers les implications en termes de didactique du FLE/FLS.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle